Beerserk, une jeune entreprise créée en 2020, est un exemple d’intégration des enjeux climatiques et de protection de l’environnement, dès la création, dans un secteur traditionnel comme celui de la production de bières.
BEERSERK EN BREF
Les enjeux du secteur de l’agroalimentaire
Le secteur agroalimentaire doit répondre aux défis de l’industrie et de l’agriculture :
- L’agriculture représente environ 20 % des émission à gaz à effet de serre (GES) de la France et 23 % environ dans le monde
- L’agriculture est à la fois une source de puits de carbone (c’est-à-dire de captage de CO2 avec les prairies, les sols agricoles, les haies, etc.) mais aussi d’émission de méthane (surtout en lien avec l’élevage).
- L’agriculture intensive a un impact sur l’artificialisation des sols avec l’utilisation de pesticides ou d’engrais.
- Les processus industriels sont, quant à eux, consommateurs de ressources (matières premières) et d’énergie.
Conscient de l’impact des processus de production des bières sur l’environnement, Valentin Schmitt a décidé de créer des bières respectueuses de la nature. C’est avec cet objectif en tête que Beerserk est née en 2020.
Cette jeune entreprise illustre qu’il est possible de fonder son business model en respectant l’environnement et le climat. Beerserk saisit des « éco-opportunités » (en proposant des nouveaux produits/offres plus éthiques) et réduit son impact environnemental grâce aux actions mises en place tout au long de son cycle de production.
Les « éco-opportunités » : l’innovation de l’offre
En pénétrant sur le marché des bières naturelles, ancrée le plus possible dans l’écosystème local (des fournisseurs jusqu’aux distributeurs), Beerserk souhaite assurer un processus responsable et une meilleure pérennité de production et d’approvisionnement.
Les bières* gruit (ou bière d’autrefois, dont la fabrication utilise des plantes aromatiques locales, en alternative ou complément du houblon) sont des boissons élaborées à partir de matières premières locales telles que l’eau, le bois de chauffage, le houblon et les plantes du Parc régional Monts d’Ardèche. Valentin Schmitt a décidé de produire ces bières pour réduire l’utilisation de houblon biologique dont la production française est limitée, en raison de la forte sécheresse de 2022 et à la forte croissance du nombre de brasseries artisanales. L’utilisation de houblon biologique obligerait Valentin à s’approvisionner à l’étranger, en augmentant les émissions de gaz à effet de serre liées au transport.
Dans sa gamme, Beersek proposera des bières d’assemblage, en utilisant des barriques usagées des vins naturels achetés à des vigneron(nes), avec une logique de réutilisation des matériaux et de recherche de caractéristiques olfactives du terroir. En proposant cette offre de produits, Valentin a pour objectif de soutenir la création d’une filière locale de houblonnières biologiques et de réduire la consommation de matières premières.
Au-delà de la création d’un produit, Beerserk tente de construire un écosystème innovant, fondé sur l’utilisation de procédés responsables. Cela passe aussi par des actions de mise en relation et de partage d’innovations avec d’autres brasseurs, notamment via les réseaux sociaux.
Mais concrètement, quels procédés a mis en place Valentin Schmitt pour créer ses bières ?
Les actions inspirantes côté opérations
Toutes les bières de Beerserk sont issues de procédés qui permettent une meilleure utilisation des ressources énergétiques et des matériaux. Le cycle de vie des bières est pensé pour réduire l’utilisation des ressources naturelles (en particulier l’énergie), les émissions de CO2 et les déchets. Aucun bilan carbone certifié n’a encore été fait, mais la démarche a consisté à s’informer (auprès de labels mais aussi de ses pairs) sur les alternatives bas carbones et moins consommatrices de ressources pour les appliquer lors de la fabrication de ses bières.
Beersek adopte des bonnes pratiques pour chaque étape du cycle de vie du produit.
Approvisionnement de matériaux en France et en Europe
Beerserk fait le choix de limiter les circuits d’approvisionnement pour réduire les émissions de CO2 liées au transport de matériel. D’autre part, , Valentin Schmitt préfère réutiliser des installations plutôt qu’en acheter des nouvelles.
Les actions clés :
- Achat de cuves d’occasion ou de cuves neuves de production 100 % Européenne.
- Bois de chauffage du foyer provenant des résidus d’élagage ou des palettes de récupération des industries voisines.
- Achat de houblons biologiques d’Ardèche et du malt dans la Drôme avec un système de traçage de la provenance.
- Céréales provenant des malteries artisanales de la région AURA.
- Eaux de captages locaux. À terme, Valentin Schmitt souhaite passer au traitement par ultraviolets afin de réduire le contact du produit avec d’autres procédés.
- Levures non lyophilisées et propagées sur place : pour garantir la qualité de la bière, Beerserk a investi 12 000 euros dans l’installation d’un laboratoire sur place pour y effectuer la propagation de levures, qui actuellement, proviennent du Canada.
Production d’électricité à partir de solaire thermique et contrat de fourniture d’électricité de sources 100% renouvelables
Si le solaire thermique ne permet pas de satisfaire les besoins du cycle de production, Beerserk choisit des fournisseurs d’électricité qui garantissent un achat depuis des centrales de production d’énergies renouvelables.
Cycle de production avec système de chauffage au bois et diminution des rejets de CO2
Pour la phase d’ébullition, Valentin a conçu et réalisé un four à triple foyer « rocket » qui brûle les fumées de combustion et donc utilise très peu de bois, avec une efficacité proche de 90% de la masse de bois.
Pour l’étape de fermentation, Beerserk vise la création de bulles naturelles et la récupération du CO2 émis à travers un système de soupape (nommé « bondonneur ») régulant la concentration de CO2 dissout dans la bière. « En méthode traditionnelle », nous explique Valentin Schmitt, « le CO2 émis lors de la fermentation est rejeté dans l'atmosphère, et , avec un ajout de sucre, on redonne la carbonatation au produit. » . Or, avec un bondonneur, il y a de multiples avantages :
- la réduction de l’empreinte carbone, en évitant le rejet dans l’atmosphère du CO2 ;
- la non utilisation du sucre, qui provient de cultivations hors Europe;
- le gain de temps, d’énergie et d’espace de stockage car une refermentation en bouteille conservée dans un local chauffé, n’est pas nécessaire.
« Les plus grosses brasseries ont souvent l'équipement nécessaire pour capturer le CO2, le purifier et le conditionner pour leur propre usage. Les plus petits modèles se trouvent aux alentours de 36 000€ et sont pertinents pour des brasseries avec des production de l’ordre de 5000 hl/an, c’est-à-dire, 25 fois plus de production que ma brasserie. » Valentin Schmitt
C’est pourquoi Valentin Schmitt a l’intention de développer un prototype en coopération avec d’autres brasseurs, ayant la même capacité de production que Beerserk, pour obtenir les mêmes niveaux de performance à un coût inférieur, pour chaque équipement. Il cherche à partager les budgets de recherche et le développement en s’associant avec d’autres brasseurs ayant les mêmes besoins et les mêmes ambitions.
Valentin pense compenser le reste des émissions de CO2 produites lors de la fermentation, avec des projets de maraîchages sous serre (qui pourraient être chauffés et irrigués par l'eau rejetée par la brasserie), ou la culture d'algues (comme la spiruline).
Mise sous emballage et livraison
Les étapes finales de mise en bouteille et livraison sont aussi pensées dans une optique circulaire.
Les actions clés :
- La location de fûts avec « SooFût », qui permet de louer des fûts et payer un service pour 10 euros par mois;
- Les bouteilles consignées avec « Ma bouteille s’appelle reviens », une entreprise de Valence spécialisée dans le lavage et la réutilisation de bouteilles et bocaux.
- Le plus pour l’environnement : à travers la location, Beerserk évite la création de nouveaux fûts ou bouteilles et diminue donc l’utilisation de ressources minières. Les charges de Valentin ne concernent que le service de lavage et non pas le contenant.
- L’avantage économique : la crise économique, conséquence de la crise sanitaire et de la fermeture des frontières, ainsi que la crise énergétique actuelle, ont fait augmenter les prix de l’acier ou du verre, rendant économiquement avantageuse la location.
- La colle des étiquettes est hydrosoluble et les bouteilles sont placées dans des cartons recyclés;
- Diversification de la livraison, qui aujourd’hui se fait en camion, en utilisant le transport fluvial avec la coopérative « Les Canaliens ». Le transport fluvial permet en effet de diminuer les émissions par tonne de livraison.
Ce témoignage permet enfin d’aborder les « questions qui fâchent », à savoir comment réussir le financement des actions de labélisation quand on est un créateur et comment communiquer sur les actions en faveur de l’environnement.
*Selon la réglementation et les procédés en vigueur, les « gruits » ne sont pas à proprement parler, des bières, car la recette ne respecte pas les caractéristiques nécessaires à obtenir une telle classification.
Une étude de cas de Laura Parmigiani