A travers les témoignages, nous abordons les principaux freins identifiés par les dirigeants lors du passage à l’action et demandons aux dirigeants précurseurs de partager leurs conseils et leur vécu.
Bertrand BAILLY
DG de Davidson
Si vous étiez encore une PME, avec une trésorerie moins confortable qu’aujourd’hui, quels conseils donneriez-vous au Bertrand Bailly de l’époque pour se lancer dans le changement ?
Bertrand Bailly : « C’est difficile de répondre à cette question, car selon le secteur dans lequel vous intervenez, ce ne sont pas du tout les mêmes leviers qu’il faut activer. Pour moi il ne s’agit pas d’une question de taille. Cela dépend plutôt du degré d’implication dans des activités polluantes, car c’est évidemment plus compliqué quand vous êtes un aciériste que lorsque vous développez une offre de recyclage à la base. Le conseil que je leur donnerais c’est d’abord de conduire une vraie réflexion stratégique en amont avec la direction générale. Cela part des DG. Il faut que les DG soient d’accord pour réorienter leur business et pour mobiliser les moyens permettant une transformation profonde de leur entreprise. C’est la condition pour survivre au « Grand Basculement », pour reprendre le titre du livre de Philippe Dessertine (Le Grand Basculement, 2021).
Les entreprises ne peuvent pas continuer à appliquer des « rustines ». Un client m’a appelé pour conduire un ACV de ses produits (analyse de cycle de vie, ndlr.) afin de réduire les matériaux et l’impact carbone. Mais le problème était mal posé. C’était toute l’offre qu’il fallait revoir. Car peut-être que dans 5 ans son produit sera un service reposant davantage sur la réparation ou l’allongement de vie de ses matériels, plutôt qu’une offre (de vente) volumique. Il faut avoir une approche de transformation du business, avec une vision d’évolution à 10-20 ans. C’est un effort de réinvention digne des ceux que certains ont produit au moment où on parlait d’ubérisation. Cela vaut pour Davidson : Nous sommes arrivés à la conclusion que notre business devait évoluer. Il faut qu’on mette en place des missions qui respectent les ODD. Cela nous prendra des années.
Le manque de financement est souvent cité comme un frein au démarrage des actions de transformation écologique par les dirigeants de PME et ETI. Quels moyens avez-vous mobilisé pour démarrer votre transition ?
Tout d’abord il faut accepter de mettre de la R&D là-dessus, donc de dépenser sans garantie sur les résultats. Un exemple concret : pour développer le site « impakt.solutions » (comprenant des solutions qualifiées pour les entreprises en transformation, ndlr.), 5 développeurs, 1 product owner et 1 designer ont travaillé à plein temps cet été, pour un budget d’environ 150 000 euros. Le site est public, gratuit et accessible à tous, donc il ne va pas générer de revenu direct. En revanche, nos clients dans les directions IT et les directions achats sont de plus en plus formées à la RSE et recherchent des vrais interlocuteurs qui ne font pas du « greenwashing ». Il s’agit donc de montrer nos actions et de capitaliser de façon très efficace sur tous les sujets liés à la transition. Il y a un enjeu de marque qui est très fort.
La bonne nouvelle est qu’il me semble que le monde de la finance opère un basculement, même si nous n’en sommes qu’au début. Les flux financiers se réorientent vers les entreprises qui font un effort, car j’imagine que c’est une condition pour « verdir » ses investissements. A terme, les entreprises démontrant un impact réel devraient bénéficier d’un « Goodwill »* afférent.
A minima celles qui ne sont pas en mesure de le faire, devraient subir une dépréciation de leur valeur.
*terme financier indiquant l’écart entre la valeur d’acquisition d’une entreprise et la quote part des capitaux propres de cette entreprise revenant à l’acheteur (Vernimmen). Dans ce contexte, il s’agirait d’une sorte de plus-value d’une entreprise « verte ».