Alors que la pression continue de s’accroître sur les entreprises, notamment à travers la crise énergétique ou les évènements climatiques dans le Sud-Ouest (incendies), il devient capital pour les PME-ETI de se saisir des enjeux de la transition bas-carbone. Cet article met en lumière plusieurs études réalisées récemment en France et au Royaume-Uni. Il dresse un état des lieux de la situation des PME face aux enjeux climatiques. L’ensemble de ces informations disponibles qui concernent deux proches voisins, invite à une prise de recul et à un croisement des enseignements, afin de dégager des lignes de force, et d’éventuelles implications quant à la transition bas-carbone de ces entreprises. Les points communs ? un haut niveau de sensibilisation malgré un niveau d’action moindre, centré sur l’opérationnel et freiné par le financement, la technologie, ainsi que la demande.
Les deux études réalisées par Bpifrance Le Lab sur le climat en 20201 et 20212 proposent de nouvelles pistes de réflexion et d’action adaptées aux PME-ETI mener leur transition vers un monde bas-carbone. D’autres travaux récents de 20203 et 20214,5, conduits au Royaume-Uni, traitent eux aussi du sujet.
En prenant garde à ne pas s’enfermer dans des conclusions fermes et définitives, un certain nombre d’enseignements communs semble se dégager des études françaises et britanniques :
• Les dirigeants de PME sont individuellement sensibilisés et se déclarent informés à propos des enjeux de la transition bas-carbone, mais l’intégration dans leur stratégie demeure relativement faible ;
• Ces entreprises se concentrent surtout sur des actions portées vers l’opérationnel, les petits gestes, le rentable, le réglementaire, mais ne touchent pas (encore) à leur business model ;
• Le financement et la technologie constituent les principaux freins déclarés pour la transition bas-carbone des PME, mais ce sont sur ces leviers majeurs que les entreprises les plus engagées et avancées agissent ;
• Les dirigeants de PME attendent beaucoup plus de mobilisation de leurs clients.
UN HAUT NIVEAU DE SENSIBILISATION EN FRANCE COMME AU ROYAUME-UNI, MAIS PEU D’ACTIONS
Dans les deux pays, le constat est que les dirigeants de PME sont très informés et sensibles aux enjeux de la transition bas-carbone : de l’ordre de trois-quarts pour la France et de la moitié pour le Royaume-Uni. En revanche, l’intégration des défis de cette transition dans leur stratégie est plus faible ; elle concerne environ la moitié des entreprises.
En France, 77 % des dirigeants1 déclarent connaître les notions de « scénario 2°C », d'« atténuation du changement climatique » et de « neutralité carbone », et 90 % indiquent s’informer sur les enjeux climatiques et environnementaux. Cependant, 49 % répondent ne pas intégrer l’enjeu climatique dans la stratégie de l’entreprise, et seulement 32% affirment suivre les sujets climatiques en interne. Enfin, le climat arrive en avant-dernier dans les enjeux qui impactent le plus la stratégie d’entreprise.
Au Royaume-Uni, on retrouve un haut niveau de conscience4 car la réduction des émissions carbone est une priorité ou une très haute priorité pour 47 % des TPE-PME. C’est aussi 80 % des PME qui déclarent qu’il faudrait dépenser plus pour la protection de l’environnement et 59 % considèrent même que les entreprises devraient placer l’environnement en priorité avant les profits et la croissance5. Quant au niveau d’information, 78 % des TPE-PME affirment connaître les implications du changement climatique pour leur entreprise, et 83 % indiquent être informées de l'engagement du gouvernement à atteindre des émissions « Net Zero6 » d'ici 2050. Les actions enclenchées sont moindres cependant, avec seulement 56 % des entreprises qui ont mis en place des mesures diffuses liées à la stratégie de l’entreprise.
LES PME FRANCAISES ET BRITANNIQUES SE CONCENTRENT D’ABORD SUR DES ACTIONS OPERATIONNELLES SUR SITE MAIS PAS (ENCORE) SUR LEUR BUSINESS MODEL
Les PME sont très rationnelles lorsqu’elles agissent face aux enjeux de la transition-bas carbone. Elles se concentrent avant toute chose sur l’opérationnel sur site, en privilégiant ce qui est obligatoire, ce qui nécessite un coût limité ou ce qui permet un retour sur investissement positif. Dans le détail, plus de la moitié des PME agissent via des petits gestes ou les obligations réglementaires. Elles renouvellent aussi souvent leurs équipements pour qu’ils soient plus efficients, et permet de réduire les coûts de fonctionnement. Dans une moindre mesure, les PME agissent sur l’opérationnel hors site, en investissant dans l’organisationnel. Enfin, les actions qui concernent l’évolution de l’offre restent très minoritaires, alors qu’elles constituent le cœur de la transition bas-carbone des PME.
En France, 71 % des PME-ETI recyclent les déchets des bâtiments1. A propos de l’efficacité énergétique, 62 % comptent agir dessus pour réduire leur empreinte carbone. Au sujet du choix des fournisseurs, 26 % en sélectionnent selon des critères environnementaux. Enfin, 22 % des PME-ETI interrogées écoconçoivent des offres et produits et 10 % comptent changer leur business model pour réduire leur empreinte carbone.
Au Royaume-Uni, 63 % des TPE-PME ont mis en place des actions de réduction des déchets, de recyclage ou d'upcycling4. Quant au sujet de l'efficacité énergétique, c’est le domaine où les entreprises sont les plus actives, que ce soit au niveau des locaux ou des équipements : 78 % déclarent au moins une action dans ce domaine. Au sujet des fournisseurs, 31 % recherchent des produits bas-carbone qui pourraient être achetés auprès ? des fournisseurs. Enfin, la proposition de nouveaux produits ou services bas-carbone est une action d’importance moyenne, mises en place par 25 % des PME3.
EN FRANCE COMME AU ROYAUME-UNI, LE FINANCEMENT ET LA TECHNOLOGIE CONSTITUENT LES FREINS PRINCIPAUX A LA TRANSITION BAS-CARBONE DES PME, MAIS CE SONT CES DEUX LEVIERS MAJEURS SUR LESQUELS S’APPUIENT LES ENTREPRISES LES PLUS ENGAGEES
Le financement et la technologie constituent deux des principaux freins à la mise en transition des PME-ETI en France et au Royaume-Uni. Mais ce sont aussi deux des principaux leviers activés par les entreprises les plus précurseurs en matière de transition bas-carbone de leur activité. Ces entreprises sont pour l’instant minoritaires : 9 % de PME de type « carbon correcting », c’est-à-dire les plus avancées dans la transition, au Royaume-Uni, ou bien 2 % de PME qui sont au niveau de maturité maximum vis-à-vis de la transition bas-carbone.
Cité comme premier frein, le financement est pourtant le nerf de la guerre de la transition bas-carbone des PME-ETI.
Ces entreprises ont par nature des ressources financières limitées, alors qu’une transition bas-carbone demande des financements importants pour les investissements. Ces financements peuvent concerner de nouvelles machines, ou des compétences (formation et recrutement) et l’élaboration de nouvelles offres.
En France, le premier frein cité par les dirigeants de PME-ETI interrogés pour la réalisation de leur transition bas-carbone, se trouve être l’aspect financier, pour près de la moitié d’entre eux (49 %)1. De façon cohérente, les dirigeants de PME-ETI attendent un soutien fort en priorité des pouvoirs publics (Etat, ministères, collectivités locales et Union européenne), majoritairement sous la forme de subventions (64 %) et d’incitations fiscales (59 %). Une réglementation équitable est également attendue par la moitié des dirigeants interrogés (49 %), à l’image du projet de taxe carbone aux frontières de l’UE.
Au Royaume-Uni, c’est la même chose : le coût d’investissement initial est la barrière la plus fréquemment citée par les dirigeants de TPE-PME (21 %)4. Il existe un clair consensus sur le fait qu’une intervention par le biais du système fiscal encouragerait l'action (64 %). Enfin, les financements extérieurs (incluant les prêts et les subventions) sont vus comme étant utiles par la moitié des entreprises.
La technologie est aussi un frein majeur à la transition des PME.
En France, les dirigeants de PME-ETI interrogés1 placent l’absence de solutions technologiques comme le deuxième frein pour réaliser leur transition bas-carbone (32 % des répondants). Alors que paradoxalement, la technologie est le premier levier envisagé pour réduire l’empreinte carbone des PME-ETI : 71 % comptent investir dans de nouvelles technologies à cet effet.
Au Royaume-Uni, la deuxième barrière citée par les TPE-PME, est l'absence d'une technologie/infrastructure ou de véhicules appropriés (18 % des entreprises)4. On peut y voir également un certain paradoxe, car elles ne semblent pas mettre les moyens en R&D pour faire émerger des innovations nécessaires à leur transition : c’est la dernière des huit actions « net zero » mises en place, qui concerne seulement 14 % des PME5.
LES DIRIGEANTS FRANÇAIS ET BRITANNIQUES ATTENDENT UN PLUS FORT ENGAGEMENT DE LEURS CLIENTS
La demande constitue un levier important pour la transition bas-carbone des PME, qui reste encore à développer. En effet, la majorité des dirigeants semble aujourd’hui résignée à l’idée de fédérer des consommateurs engagés, ce qui peut limiter leur niveau d’implication. C’est une conséquence logique : si l’on attend des entreprises qu’elles fassent des transitions sans un engagement des clients, cela place un risque à la charge des PME-ETI qui seraient pourtant dans ce cas précis les plus vertueuses. Des dirigeants précurseurs y arrivent pourtant : en étant force de proposition et en mettant plus en valeur leurs nouvelles offres.
En France, le peu ou pas de reconnaissance client constitue le troisième frein à la transition bas-carbone des PME-ETI interrogées (cité par 29 % d’entre elles)1, alors même que la moitié des dirigeants pense que ce sont les clients qui doivent porter l’action et l’effort dans le cadre de l’urgence climatique. Un point de consensus semble être que les consommateurs sont aujourd’hui prêts à accepter un surcoût de l’ordre de quelques pourcents, en échange d’un bonus santé et ou environnemental évident et clairement présenté (par exemple via des labels ou des certifications).
Au Royaume-Uni, la demande des clients pour des produits ou des services bas-carbone n’est pas perçue comme un levier facile à activer. Elle arrive en effet en avant dernière position des différents moteurs possibles qui poussent à l’action les PME britanniques (note de 2,5/5 en termes d’importance)5. Le maintien ou l’accroissement des ventes est la première priorité de ces entreprises, devant la baisse des coûts et la baisse des émissions carbone.
Un article d'Aurélien Lemaire, responsable d'études Bpifrance Le Lab
Sources :
1) Bpifrance Le Lab, Les dirigeants de PME-ETI face à l’urgence climatique, juillet 2020
Enquête en ligne auprès de 1 006 dirigeants de PME-ETI, de 10 à 4 999 salariés (surreprésentation de l’industrie et des services, sous-représentation du commerce et du tourisme ; sous-représentation des PME de 10 à 49 salariés). Questionnaire de 20 min en moyenne ; Entretiens auprès de 19 dirigeants de PME-ETI et de 10 experts.
2) E. KESIDOU, A. RI, Drivers and Performance Outcomes of Net zero practices: Evidence from UK SMEs, Enterprise Research Center, juin 2021
Enquête téléphonique auprès de 1 019 dirigeants ou directeurs de PME, de 7 à 249 salariés, représentative au niveau des secteurs économiques et des nations britanniques (approche par quotas et redressement à la fin pour ajuster la représentativité)
3) British Business Bank, Smaller business and the transition to net zero, octobre 2021
Enquête téléphonique auprès de 1 200 dirigeants ou directeurs de TPE-PME de 0 à 249 salariés. Représentatif au niveau du nombre de salariés, du secteur d’activité, et de la région (approche par quotas et redressement à la fin pour ajuster la représentativité). Entretien de 27 minutes en moyenne.
4) Bpifrance Le Lab, Agir face aux enjeux climatiques, septembre 2021
Etude en deux volets, analyses bibliographiques, et 11 études de cas de PME-ETI de 10 à 4 999 salariés précurseurs en matière de transition bas-carbone (bibliographie et entretiens d’une heure en moyenne avec le dirigeant et ou les directeurs et responsables de ces sujets)
5) Enterprise Research Centre, State of Small Business Britain 2020, 2020
Enquête auprès de 1000 PME britanniques, de 10 à 249 salariés