Si les outils digitaux semblent procurer d’innombrables avantages en matière climatique et environnementale (diminution de l’utilisation de papier, gestion à distance des certains processus industriels entraînant une diminution des déplacements …), plusieurs experts se sont penchés sur les conséquences de l’augmentation exponentielle des consommations du secteur numérique, en craignant le pire.
Dans notre étude « Les dirigeants de PME-ETI face à l'urgence climatique » parue en juin 2020, nous analysions, entre autres, les impacts de l’urgence climatique et environnementale sur trois secteurs (agroalimentaire, transport et bâtiment). Mais quid du secteur du numérique ?
Digital et environnement
Les outils de télétravail tels que les visio-conférences réduisent les besoins de déplacements et les émissions carbone associées, mais consomment de l’électricité. Le passage du papier à la donnée digitale permet de réduire les espaces physiques de stockage et l’utilisation des ressources naturelles, mais la fabrication d’un ordinateur ou d’un portable dans des pays fortement carbonés avec des ressources rares puisent des matières. La donnée digitale, bien qu’invisible, doit aussi être stockée dans de grands data centers climatisés en permanence.
Les chiffres soutiennent cette inquiétude. Fin 2019, le numérique était responsable de 4 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial, une part qui pourrait doubler à l’horizon 2025. A n'en pas douter, avec l'influence du Covid-19 sur les habitudes de travail, ces tendances seront revues à la hausse. Si l’on s’intéresse de plus près à la répartition des émissions de carbone du secteur par segment d’activité, 25 % de ces émissions proviennent des data centers, 28% des infrastructures réseau et la part la plus importante provient des équipements des utilisateurs finaux avec 47% des émissions, selon l’ADEME. En France, le bilan carbone du numérique est légèrement inférieur, avec 2% des émissions françaises (15 Mt éqCO2 par an en 2018). Ces rejets limités de CO2 est dû surtout au mix énergétique français, très décarboné grâce au nucléaire, et non pas à une moindre utilisation des appareils.
Bien que le secteur du numérique et l’utilisation du digital aient une part relativement faible dans la consommation énergétique mondiale, l’augmentation des émissions est constante et le secteur consomme des matières premières dont les stocks décroissent irrémédiablement (métaux, terres rares...) Toutefois, l’enjeu principal de l’impact du numérique sur l’environnement réside dans la fabrication des équipements et dans leurs usages. Ces usages nous concernent donc tous, du particulier à l’entreprise, et des solutions simples de sobriété existent.
LA PRODUCTION DE TROP NOMBREUX ÉQUIPEMENTS INDIVIDUELS A UN LOURD COÛT ENVIRONNEMENTAL
On comptera près de neuf équipements électroniques par personne en Europe en 2021, contre cinq en 2016 (ordinateur, smartphone, tablette, montre connectée...). Ces équipements ont une forte empreinte surtout au moment de leur fabrication.
Une étude de The Shift Projet menée en 2019 répertorie l’empreinte énergétique et carbone de différents appareils électroniques (smartphones, ordinateurs etc.). L’analyse englobe tout l’ensemble de leur cycle de vie : de la consommation d’énergie lors de leur fabrication, jusqu’à l’utilisation, avec la production de gaz à effet de serre associée.
Par exemple, la production d’un smartphone consomme proportionnellement à son poids presque 80 fois plus d’énergie que la fabrication d’une voiture (voir schéma 1). Cette énergie est consommée dans les pays de production, tels que la Chine, dont les mix énergétiques sont peu décarbonés (56% de la consommation énergétique en Chine venait du charbon en 2018).
Graphique : Intensité énergétique comparée par kilo produit entre un smartphone et une voiture
L’USAGE EXCESSIVE DES TECHNOLOGIES CLOUD
Au-delà de leur production, l’utilisation de ces appareils est de plus en plus excessive avec une démultiplication des logiciels et des flux de données en temps réel. C’est ce que David Layani, CEO du groupe Onepoint, ETI experte de la transformation digitale, appelle « l’obésité logicielle » :
« On peut identifier deux sources importantes d’augmentation de l’impact écologique. D’une part, l’obésité logicielle : notre consommation de données a été multipliée par 38 en dix ans ! D’autre part, l’effet rebond (ou paradoxe de Jevons) : plus les capacités de stockage et les bandes passantes ont augmenté, plus l’attention sur les limites a diminué… De nombreuses entreprises peuvent avoir 2 à 3 fois plus de serveurs virtuels qu’elles n’avaient de serveurs physiques. »
Les systèmes de cloud ou l’utilisation de services en SaaS (Software as a Service) donnent en effet un service qui n’a pas besoin de stocker des logiciels sur son propre serveur d’entreprise ; mais leur utilisation n’est pas sans impact physique.
Selon un rapport publié par la Commission Européenne en 2020, les centres de données d’informatique en cloud représentaient 10% de la consommation des data centers en 2010, 35 % en 2018, et devraient passer à 60% en 2025 ! Les data centers représentent en revanche 2,7 % de la consommation électrique européenne en 2018, avec une croissance constante qui dépasse l’efficacité énergétique engendrée par les avancées technologiques. Autrement dit, on consomme plus que ce qu’on arrive à économiser grâce aux nouveaux appareils toujours plus performants.
Les data centers tentent pour autant d’adopter des solutions moins énergivores. CIV France & ses Datacenters ADC le démontre :
« Nos datacenters utilisent tout d’abord les technologies les plus récentes pour refroidir les systèmes numériques de la manière la plus efficace (la bonne énergie étant celle que l’on ne consomme pas) et développent aujourd’hui toutes les solutions de valorisation de l’énergie fatale » (Sébastien Cousin, directeur général de CIV, qui a pour objectif de devenir « générateur d’énergie et à bilan carbone neutre voir mieux »).
LA CONSOMMATION D’ÉNERGIE EST INÉGALE SELON L’APPAREIL ET SON MODE D’UTILISATION
L’impact climatique varie largement selon l’utilisation qu’on fait tant en matière de durée et de type d’appareil :
- regarder une vidéo pendant 30 minutes en France produit autant de CO2 que l’utilisation d’une voiture thermique sur vingt mètres, ou 4gCO2e.
- La télévision est cent fois plus gourmande en énergie qu’un smartphone.
- L’utilisation du réseau 4G consomme quatre fois plus d’énergie que le WiFi.
- La 5G, malgré sa performance en débit de données, aurait un bilan carbone plus élevé encore que la 4G.
«Il est temps de déconstruire les fantasmes sur le numérique ou sur l’IA» (David Layani, directeur général du groupe Onepoint, qui croit «au lien entre tech et green».)
DES SOLUTIONS SIMPLES ET EFFICACES
La bonne nouvelle ? La prise en compte de ces défis est déjà un enjeu majeur pour les acteurs économiques, institutionnels, et du secteur lui-même. Les consommateurs doivent commencer à jouer leur part aussi.
C’est en effet avec la modération dans l’achat d’équipements et la consommation de contenus, ainsi qu’avec les bons réflexes d’utilisation, que le numérique pourra rester compatible avec les enjeux environnementaux et climatiques. Préférer le WiFi ou le streaming en basse définition, éteindre les appareils, garder plus longtemps ses équipements (garder une tablette 4 ans plutôt que 2 ans améliore de 50% son bilan environnemental selon l'ADEME), acheter des équipements de seconde main (par exemple les smartphones reconditionnées et sous garantie) ; ou céder ses équipements à des structures qui les revalorisent plutôt que les jeter… toutes ces actions peuvent diminuer l’impact du numérique sur le climat et l’environnement.
Pour retrouver des recommandations relatives aux usages et aux outils, l’ADEME a recensé toutes les bonnes pratiques pour un numérique sobre. Tout dirigeant peut s’en saisir et l’appliquer dans son entreprise… ou à la maison.
Un article de Laura Parmigiani