Avec l’entrée en vigueur de la directive européenne CSRD au 1er janvier 2024, les entreprises n’ont jamais autant rendus compte de leurs impacts environnementaux. Bastien David, maître de conférences à la Toulouse School of Management, étudie les pratiques des entreprises sur leurs rapports climat, et comment ces rapports extra-financiers prennent de l’importance au sein des organisations de toute taille. Entre obligations et avantages, quels sont les enjeux pour les entreprises ?
Bastien David occupe le poste de Maître de conférences au sein de TSM depuis septembre 2023 et il est spécialisé en comptabilité environnementale. Il a obtenu son doctorat à l’université Montpellier en 2022. Il a précédemment occupé des postes d’ATER et de PRAG à l'Université Montpellier. Bastien a également été financé par l’agence de la transition écologique (ADEME) pour réaliser sa thèse et il est également agrégé d’économie et gestion. Il s'intéresse particulièrement au reporting climat des entreprises, mais de façon plus générale aux éléments qui façonnent la construction et la lecture de ce reporting. Il s’intéresse également aux politiques d’atténuation et d’adaptation au changement climatique réalisées par les entreprises.
Les entreprises ont-elles obligation de fournir un rapport extra-financier incluant leur impact sur l’environnement ?
Bastien David : Toutes les entreprises ne sont pas sous le même cadre législatif en la matière. Les grandes entreprises ont connu des obligations progressives de plus en plus poussées sur les rapports climat, depuis la loi NRE (Nouvelles régulations économiques) de 2001. Plus récemment, l’Union Européenne a instauré la taxonomie verte en 2020, qui permet de classer les activités économiques ayant un impact bénéfique sur l’environnement. Et depuis le 1er janvier 2024, la France a transposé la directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). Elle concerne essentiellement les grandes entreprises, mais elle s’étendra aux PME cotées en 2026. La directive CSRD les oblige ainsi à fournir davantage d’informations ESG (Environnementales, Sociales et de bonne Gouvernance) dans leurs rapports annuels, mais la spécificité de cette directive est qu’elle se base sur le principe de la double matérialité. C’est-à-dire que les entreprises doivent diffuser des informations relatives à l’impact du changement climatique sur leur entreprise (simple matérialité), mais également l’impact de l’entreprise sur le climat (double matérialité).
Quelle est la philosophie sous-jacente à ces réglementations ?
Bastien David : L’objectif principal est de pouvoir objectiver les actions des entreprises sur la question climatique, et de pouvoir mieux les comparer sur cette dimension. Ces réglementations visent à encourager les acteurs économiques à adopter des pratiques durables.
Et pour les autres entreprises ?
Bastien David : Les PME et ETI non-cotées, et a fortiori les TPE, n’ont pas de telles obligations. Elles se voient proposer des lignes directrices. Mais il est fort probable que ce ne soit qu’une question de temps, et il est à prévoir que la législation évoluera pour qu’elles aussi aient à fournir des informations extra-financières qui rendent compte de leurs actions et engagements climatiques. Cela étant dit, la plupart des PME ne sont pas encore matures sur le sujet, et beaucoup sont encore dans une phase de compréhension de la relation entre leur entreprise et le changement climatique. Il est donc important qu’elles se saisissent de ces sujets.
Quels sont les enjeux pour une entreprise à fournir un rapport extra-financier ?
Bastien David : Pour les grandes entreprises, c’est évidemment d’abord un enjeu réglementaire : elles ont obligation de le faire. Mais il y a aussi des enjeux financiers importants pour l’ensemble des entreprises. Les consommateurs et les clients deviennent particulièrement sensibles aux questions environnementales. En s’affichant comme un acteur de la lutte contre le changement climatique, une organisation bénéficie donc d’une meilleure image, ce qui est un facteur concurrentiel. Et c’est aussi un avantage pour attirer des capitaux auprès des investisseurs.
Les rapports extra-financiers sont-ils souvent demandés par les investisseurs, même auprès d’entreprises qui n’ont pas d’obligation sur ce sujet ?
Bastien David : Les PME voient parfois ces informations comme optionnelles, fournies sur la base du volontariat, mais elles se trompent en pensant cela. Aujourd’hui, les investisseurs demandent de plus en plus des informations extra-financières. Cela leur permet de mieux étudier le risque de leurs investissements et de se positionner aussi comme leviers de la durabilité des acteurs économiques. Pour les PME, la collecte des informations extra-financières devient donc de fait obligatoire si elles ne veulent pas se priver des capitaux des fonds d’Investissement Socialement Responsables (ISR).
Comment les PME peuvent-elles fournir ces informations ?
Bastien David : Les deux standards les plus répandues à l’international pour aider les entreprises à proposer un reporting extra-financier sont le Task Force on Climate-Related Financial Disclosures (TCFD) et la Global Reporting Initiative (GRI). Ces standards offrent des lignes directrices assez larges pour aider les rédacteurs des rapports allant de la publication des émissions de gaz à effet de serre, à une participation de l’entreprise à l’économie circulaire, la protection des ressources aquatiques, ou encore la protection de la biodiversité. Les 6 objectifs proposés par la taxonomie européenne peuvent également guider les entreprises dans la publication de ces informations. Les PME peuvent également réaliser un bilan carbone à partir de la méthode ABC de l’ADEME afin d’avoir une idée de leur impact en matière d’émission de gaz à effet de serre.
Quelles sont les données d’importance dans un rapport extra-financier ?
Bastien David : Au niveau global, on retrouve des données concernant l’exposition au risque environnemental, l’utilisation locale des ressources, les émissions de CO2… Cependant, l’intérêt principal d’un standard comme la taxonomie européenne est de proposer un cadre pour lier les rapports extra-financiers aux rapports financiers. La taxonomie européenne propose par exemple des KPI spécifiques, comme le chiffre d’affaires, les dépenses d’investissement et les dépenses d’exploitation directement liées aux activités durables de l’entreprise. Cela permet d’intégrer les actions environnementales de l’entreprise au rapport comptable, et les transformant en lignes sur un exercice financier.
Dans la mesure où le rapport extra-financier des PME est communiqué sur la base du volontariat, n’y a-t-il pas un risque de greenwashing ?
Bastien David : C’est en effet un risque. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire d’auditer ces informations extra-financières et d’appliquer des sanctions en cas de diffusion de fausses informations. Un autre levier de lutte contre le greenwashing est la formation des commissaires aux comptes. Même si ce nombre d’heures a augmenté sur l’audit des rapports de durabilité avec la CSRD, cela reste encore insuffisant à mon sens sur l’ensemble de leur parcours, notamment lors de la formation en DCG et DSCG, qui sont des diplômes préalables pour poursuivre sur le diplôme de commissaire aux comptes.
La législation et les standards sont-ils suffisants pour mesurer efficacement l’impact environnemental d’une entreprise et sa résilience ?
Bastien David : De nouvelles méthodologies voient le jour, comme le « science-based targets », qui visent à aider les entreprises à baser leurs objectifs de réduction d’émission de gaz à effet de serre sur des objectifs fondés sur la science. Cette méthodologie vient davantage crédibiliser les actions de lutte contre le changement climatique des entreprises, car elle se base notamment sur les accords de Paris qui visent à limiter la hausse des températures de 1,5°C à l’horizon 2050 et d’y assurer une neutralité carbone à ce même horizon. Pour aller plus loin, il faudrait que ce genre d’approche soit intégré aux standards et à la législation. Ce qui est sûr, c’est que l’Europe avance vite sur le sujet. Tous les deux ans environ, une nouvelle réglementation voit le jour. Les entreprises, quelle que soit leur taille, doivent donc s’informer régulièrement sur le sujet, et être prêtes à s’adapter rapidement.