Avis d'expert : Philippe Moati nous partage son regard sur l'impact du client en B to C au moment de la transition écologique
"Il y a bien aujourd'hui une envie d'intégrer la dimensions responsable dans la consommation, mais le consommateur parle plus fort que le citoyen"
Philippe Moati est professeur agrégé d'économie à l'Université Paris-Diderot, Co-fondateur de l'Obsoco, et Membre du Conseil d'Orientation de Bpifrance Le Lab.
Le Lab : Est-ce que les consommateurs sont prêts à modifier leurs comportements d’achat et participer de cette manière à la transition écologique ?
Philippe Moati : " On sent qu’il y a une disposition. Dans le cadre de nos enquêtes, nous avons montré qu’une majorité de Français aspire à consommer mieux, que ce soit autant voire moins qu’avant. Cette part a fortement progressé au cours des cinq dernières années, et il y a une forme d’insatisfaction avec le modèle de consommation dominant, avec les excès de l’hyper-consommation.
Par ailleurs, dans le cadre d’une autre enquête portant sur les conceptions que les Français se font d’une société idéale, nous avons montré que l’utopie écologique l’emporte. On ne peut s’empêcher de rapprocher ce résultat de la brusque montée de la sensibilité environnementale en France, notamment au cour des deux dernières années. Cette prise de conscience, liée à la dramatisation suscitée par exemple par la montée du discours sur l’effondrement, invite à l’action. Bien sûr, on est ici dans le registre des idéaux, des aspirations, et les comportements effectifs sont toujours un compromis entre des idéaux et des contraintes, mais cela révèle la présence d’un terreau porteur. Et la surprise, c’est que l’adhésion à cette utopie n’est pas simplement liée à la peur des effets du réchauffement climatique, ou de la crise environnementale. Il y a une adhésion positive à un mode de vie et de consommation plus sobre : circuits courts, mutualisation et partage, seconde main, faire soi-même…, avec en surplomb un désir de ralentissement et de recentrage sur le local."
Le Lab : Que signifie « consommer mieux » pour les Français ?
Philippe Moati : "En général, cela renvoie à la qualité. En tête, l’innocuité de ce qui est consommé, mais très près derrière on trouve la durabilité des produits (associée à la dénonciation de l’obsolescence programmée), le respect de l’environnement et des parties prenantes, ainsi que la production locale. Les consommateurs se montrent particulièrement réactifs aux offres qui savent combiner un avantage individuel et un bénéfice collectif. C’est typiquement le cas avec l’achat d’occasion où au gain de pouvoir d’achat s’ajoute la satisfaction d’avoir économisé des ressources naturelles. Idem avec la durabilité des biens d’équipement. "
Le Lab : Cette aspiration à « mieux consommer » se traduitelle, dans les faits, par une acceptation à payer plus des produits ou services qui sont plus vertueux pour le climat ou l’environnement ?
Philippe Moati : "Pour que l’aspiration à la qualité s’accompagne d’un passage à l’acte, encore faut-il que les consommateurs disposent d’une signalisation crédible de la qualité les engageant à accepter de payer plus. Or, en la matière, il reste beaucoup à faire. L’exemple du succès du label rouge dans l’alimentaire devrait convaincre de l’intérêt qu’il y a à s’engager dans des démarches d’objectivation de la qualité.
La disposition à payer plus cher un produit mieux disant uniquement sur le plan de la responsabilité (sans bénéfices consommateur directs) est plus problématique. Il y a bien aujourd’hui une envie d’intégrer la dimension responsable dans la consommation, mais le consommateur parle souvent plus fort que le citoyen. Le premium de prix doit rester très modeste au risque de ne toucher que la fraction des consommateurs les plus en rupture avec le modèle de consommation dominant. Mais ces derniers, qui font de la consommation un acte quasi-politique, sont de plus en plus nombreux. "
Le Lab : Quelles sont les implications de cette dynamique de consommation qui émerge pour les dirigeants de PME-ETI ?
Philippe Moati : "Pour les entreprises, il y a quelque chose à saisir. Le conseil à donner à un dirigeant c’est ça : travailler le lien qu’il y a entre la dimension responsable et le bénéfice consommateur. Là, il y a une disposition à payer. Je pense que c’est la martingale : fournir à la fois un bénéfice consommateur et un bénéfice sociétal, collectif. Nous avons tous envie de faire quelque chose mais nous n’avons pas envie de nous faire hara-kiri. Et si on veut valider cette disposition à monter en gamme, il faut se donner la peine de signaler la qualité.
De plus, quand on est une PME, on n’a pas besoin de s’adresser à un marché de masse, il y a donc des opportunités à saisir. Les consommateurs sont profondément hétérogènes et je pense qu’aujourd’hui, les adeptes d’une consommation responsable, qui a du sens, ont dépassé le cercle militant. Nous ne sommes plus uniquement sur de la niche extrême. Cela ne dispense pas d’avoir une démarche marketing efficace, de savoir créer un discours et d’avoir des produits qui correspondent malgré tout aux attentes des clients.
Je crois que c’est ça qu’il faut retenir : si on est uniquement sur le domaine du responsable, il ne faut pas que le sacrifice soit important et il est compensé par une sorte de gratification personnelle, le sentiment de contribuer au bien commun… Il y a toujours une contrepartie !"
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