Pour accompagner la sortie de son étude « Créativité déroutée ou augmentée – comment le numérique transforme les industries de la French Touch », Bpifrance Le Lab a souhaité prolonger sa réflexion à travers la publication d’une série d’entretiens illustrant l’évolution des industries culturelles et créatives.
L'interview de Steaven Richard, ferronier d'art
Steaven Richard nous a livré sa vision du métier d’artisan et de ses évolutions. Pour lui, la clef du succès repose sur l’ouverture aux autres et au monde. Son désir d’associer son art aux nouvelles technologies lui ouvre désormais de nouvelles opportunités, qu’il compte partager et faire découvrir, notamment grâce à une présence active sur les réseaux sociaux. Bpifrance Le Lab vous propose de découvrir cet entrepreneur hors norme et inspirant.
Steaven Richard – Crédit photographique Ben Massiot©
Le Lab : Pouvez-vous nous présenter votre activité ?
SR : Nous sommes un atelier de ferronnerie d’art. Depuis 2001, nous réalisons des travaux originaux dans ce domaine, dont la mise en texture sur planche (tôle) de métal, chose que nous sommes les seuls à faire au monde. Notre cœur de métier est la décoration d’intérieur (portes d’ascenseurs, rampes, escaliers, etc.).
L’histoire de l’atelier a été marquée par l’année 2013, qui a été un véritable point de rupture. Alors que l’atelier était parisien, logé dans une petite surface, nous avons reçu une commande de la part du studio de Karl Lagerfeld de Chanel, pour réaliser un sol en métal texturé. Nous avons pu livrer la commande mais nous avons dû tenir des cadences extrêmes pendant quatre ou cinq mois. Cette épreuve a été le début d’une longue réflexion pour moi. J’ai amorcé une révolution individuelle et entrepreneuriale : j’ai dû sortir de mon statut d’artisan.
Le Lab : Pouvez-vous nous en dire plus ?
SR : Il y avait nécessité à se réformer. J’ai donc commencé à côtoyer des institutions et des organisations professionnelles, à rencontrer des gens avec des formations différentes, comme des ingénieurs. Là, j’ai commencé à prendre conscience de nos limites quant à nos capacités à problématiser. Tout ça s’est fait en rencontrant des gens extérieurs au secteur, l’entre soi étant ce qu’il y a de pire.
Le Lab : Est-ce à ce moment-là, que vous avez investi les outils numériques ?
SR : Quand nous avons déménagé ici (Valenton 94), nous avons initié un nouveau savoir-faire avec la mise en texture par laminage. Nous avons aussi pu gagner de la place, suffisamment pour avoir un laminoir de production. En parallèle du développement technique, nous avons développé l’idée qu’il fallait des outils numériques pour ne plus travailler seulement en 2D mais aussi en 3D. Notre chaise Odonate (cf. photo ci-dessous) n’aurait pas pu être développée sans la modélisation 3D, la capacité à développer la géométrie complexe de chaque segment, l’usinage avec la fraiseuse numérique et enfin, l’assemblage à la main, de manière traditionnelle. Ça, c’est l’aboutissement de la mise en texture par laminage et le travail dans un environnement numérique, du dessin jusqu’à l’usinage.
Crédit photographique – Nicolas Scordia©
Le Lab : Comment vous êtes-vous formé à ces techniques ?
SR : J’étais à l’affut des nouveautés techniques et technologiques pendant quelques temps. Ensuite, j’ai eu un stagiaire avec un profil atypique, Sami. Il a une formation d’architecte, mais s’est reconverti en ferronnier. En discutant avec lui, j’ai eu le sentiment que c’était la bonne personne. C’est donc lui qui a suivi la formation pour maîtriser SolidEdge (logiciel de dessin 3D développé par Siemens). Ces outils permettent de faire des choses qui auraient été impossible à faire de manière traditionnelle. Le savoir traditionnel reste très présent, mais y ajouter de la technologie augmente considérablement le champ des possibles.
Chaise Odonate – Crédit photographique Nicolas Scordia©
Le Lab: Quel est votre parcours à vous ?
SR : J’ai un profil atypique. Mon seul diplôme c’est un CAP de Maréchal Ferrant. J’ai évolué dans l’univers des chevaux puis après avoir fait un tour d’Europe, je me suis tourné vers la ferronnerie d’art, qui est une application de la forge mais plus artistique.
En parallèle, j’avais une formation artistique puisque quand je me suis installé j’ai voulu faire de la sculpture. Arrivant d’un univers très traditionnel, l’intégration de l’univers « underground » des plasticiens parisiens m’a apporté un nouveau regard. Aujourd’hui je suis partenaire d’architectes d’intérieur, de designers, … Et c’est aussi pour ça que nous avons la réputation d’avoir une forte valeur ajoutée esthétique, et d’être très innovant dans nos propositions (nouvelles patines, nouvelles textures,…). C’est quelque chose qui plait beaucoup à mes clients, qui sont très friands de nouveautés.
Le Lab : Intégrer la nouveauté et conduire le changement, c’est tout un état d’esprit. Avez-vous eu besoin d’être accompagné ?
SR : Oui tout à fait. A la sortie du chantier Chanel, la Chambre des métiers m’a suggéré un cabinet avec lequel ça s’est très bien passé. Leur approche était pertinente et n’était pas dogmatique. Elle consistait à faire prendre conscience à l’individu qu’il est autonome et qu’il doit agir pour le changement.
S’il y a un critère à retenir dans le choix du cabinet « accompagnateur », c’est la capacité d’adaptation des consultants à la typologie de l’entreprise, et notamment lorsque cette dernière est artisanale. Car souvent, les dirigeants de ces entreprises ont un parcours scolaire court. Ils n’ont que très peu d’outils d’analyse, et très peu d’outils pour problématiser une situation. Quand l’artisan a un problème, il tâtonne. Quand le problème est de moyenne intensité, il peut y arriver. Mais quand le problème est grave et s’intensifie, cela a été mon cas sur certains chantiers, la technique de tâtonnement n’est plus opérationnelle. Le travail d’analyse de l’entreprise est compliqué à faire et se fait dans la douleur. Quand vous discutez avec des artisans qui n’ont pas fait ce travail, on a l’impression qu’ils subissent une sorte de fatalité.
Le Lab : Est-ce que l’on peut dire que vous êtes passé d’un artisanat traditionnel à moderne ?
SR : Oui on peut dire ça. Je peux communiquer sur de nouveaux savoir-faire, de l’innovation, … Je peux prononcer ces mots sans rougir. Ne serait-ce que commercialement, c’est porteur.
Je viens tout juste d’embaucher une personne pour augmenter notre visibilité sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, nous avons des comptes sur Facebook, Linkedin, Twitter, Instagram, Pinterest… L’idée c’est de pouvoir montrer ce que l’on fait, les coulisses de l’atelier. On veut faire vivre et rendre interactif l’Atelier, notamment grâce à une matériauthèque en ligne. L’image de l’atelier a radicalement changé. On veut avoir une image d’artisan créateur. Tout ça s’inscrit dans une démarche stratégique, et dans le développement d’une vision de long terme.
Pour visiter le site internet de l’atelier, c'est par ici.
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