Le risque climatique est étroitement lié à l’usage des énergies fossiles lui-même facteur incontournable du développement économique. Le changement climatique qui s’opère devrait modifier les profils des risques pays, via les impacts directs du changement climatique (risques physiques) et ceux liés à l’adaptation du modèle économique pour y faire face ou le limiter (risques de transition). Le nombre restreint des données historiques, l’absence de modèle passé pour calculer les implications futures de la hausse des températures sur l’activité des pays, de même que l’incertitude sur l’horizon de matérialisation des risques rendent le risque climatique particulièrement difficile à appréhender. Malgré ces limites, certains indicateurs d’ores et déjà disponibles permettent de dresser une première image des pays potentiellement les plus vulnérables.
Un risque climatique est étroitement lié à l’usage des énergies fossiles
Le risque climatique est un risque étroitement lié à l’usage des énergies fossiles qui est un facteur omniprésent du développement économique intensif depuis plus d’un siècle. Le pétrole, le gaz naturel, le charbon sont les principales sources d’énergie utilisées notamment pour la production d’électricité et le chauffage, dans l’industrie et les transports (Cf. graphique 1). Le consensus général liant l’utilisation de ces ressources et son corollaire, les émissions de gaz à effet de serre (GES), avec le réchauffement de la planète conduit les économies de la planète à intensifier leurs politiques pro-climat.
Graphique n° 1 – Répartition sectorielle des émissions de GES en provenance des sources fossiles
Entré en vigueur en novembre 2016 et ratifié par 189 Etats, l’Accord de Paris1 fixe un objectif mondial pour contenir l’élévation moyenne des températures en dessous de 2°C, comparé à l’ère préindustrielle, à la fin du siècle tout en poursuivant les efforts pour limiter cette hausse à moins de 1,5°C. Pour y parvenir et contrairement aux précédents accords pour le climat, l’Accord de Paris s’inscrit dans une approche universelle2 de contributions nationales (appelée NDC3), où chaque pays détermine son propre objectif. Si aucune mesure contraignante pour les pays n’est envisagée, l'Accord de Paris contient tout de même des obligations. Tous les pays doivent ainsi soumettre une nouvelle contribution tous les 5 ans et respecter le principe du « non-retour en arrière » en matière de réduction d’émissions par rapport à leur précédente contribution. Les pays s’engagent ainsi à revoir périodiquement à la hausse leurs ambitions en matière de réduction de GES. Le principe de la « responsabilité commune mais différenciée4» des pays implique une obligation d’efforts plus importants par les pays développés.
A noter que les efforts collectifs envisagés semblent à ce stade insuffisants pour limiter l'augmentation de la température mondiale à 2°C d'ici à la fin du siècle et que l’objectif souhaité de moins de 1,5°C, semble d’ores et déjà très difficilement atteignable. Si une bonne partie des nations représentées (143 sur 192) ont en effet soumis des NDC nouveaux ou actualisés, leur impact combiné les met sur la voie d'une réduction des GES de seulement 9 %5 d'ici 2030 (par rapport aux niveaux de 2010), loin des 45 % nécessaires pour limiter la hausse de la température de la terre à 1,5°, comme souligné par le GIEC.
En ce sens, les négociations intergouvernementales sur le changement climatique qui se tiennent à la COP26 à Glasgow sont cruciales pour combler le fossé actuel entre les ambitions et les résultats.
Graphique n° 2 – Evolution des émissions de gaz à effet de serre (GES*) au niveau mondial
Le risque climatique influe sur l’appréciation du risque pays
La définition standard du risque climatique distingue 2 types de risques principaux : le risque physique et le risque de transition. Le risque physique est induit par la multiplication de phénomènes naturels résultant du changement climatique. Il peut être lié à des événements aigus qui font référence aux événements météorologiques (cyclones, ouragans, sécheresse, inondations…), mais aussi aux évènements chroniques, faisant référence aux changements à long terme des schémas climatiques (hausse chronique des températures, élévation constante
du niveau de la mer…).
Le risque de transition recouvre l’ensemble des risques associés à la restructuration du système économique vers une économie à faible émission de carbone. Ces risques peuvent être d’ordre technologique6, de marché7, règlementaire et juridique8. Ils peuvent aussi présenter des risques financiers, économiques et de réputation9 pour les pays et les entreprises. Les liens entre le risque climatique et l’analyse risque pays sont assez naturels. Les risques physiques peuvent par exemple infliger des dommages importants aux infrastructures des pays pouvant affecter les opérations locales. De façon générale l’impact sur les capacités de production agricoles, industrielles peuvent porter atteinte à l’équilibre des comptes publics et à la stabilité sociale10.
Le risque de transition vers une économie à faible émission de carbone est susceptible d’affecter, de façon plus ou moins brutale, les modèles économiques des pays également (réduction de la demande de certains biens et services, perte de revenus en devises, hausse de l’inflation…).
La modélisation est marquée par de nombreuses incertitudes
Le risque climatique se révèle particulièrement complexe à mesurer. D’une part, le nombre de données historiques disponibles est restreint, d’autre part, nous manquons de modèle passé pour calculer les potentielles implications futures de la hausse des températures sur le
PIB des pays ainsi que pour estimer leur horizon de matérialisation.
Alors même que de nombreux travaux de recherche scientifiques compilés par le GIEC permettent d’estimer l’impact du changement climatique sur les écosystèmes naturels et humains, son ampleur, sa fréquence ou encore la localisation précise de ces changements restent incertains à ce stade. Cela rend plus complexe et difficile la réalisation des prévisions des manifestations physiques et de conséquences notamment socio-économiques pour les pays.
Sur le plan de la transition, l’incertitude est tout aussi présente. En témoigne la difficulté des Etats à fixer un prix sur la tonne de carbone rejetée dans l’atmosphère via les taxes carbones ou les marchés de droits d’émissions notamment. La difficulté est d’appliquer une tarification carbone qui soit suffisamment incitative pour pousser les acteurs économiques à investir dans des projets de réduction de leur empreinte carbone, tout en évitant les distorsions économiques que cela pourrait engendrer11.
La grille d’analyse du risque climatique est une première tentative pour inclure le risque climatique aux risques pays
Dans la perspective de comparer la vulnérabilité physique des pays face au changement climatique, nous
mobilisons des indicateurs d’exposition des pays aux aléas climatiques fournis par l’indice ND-GAIN12 en se basant sur six secteurs jugés essentiels (alimentation, eau, santé, écosystème, habitat humain et infrastructures).
L’objectif est de mesurer la vulnérabilité et la sensibilité du secteur aux évolutions des conditions climatiques mais aussi la capacité d’adaptation face à ces changements.
Dans la perspective d’appréhender l’intensité du risque de transition, plusieurs dimensions sont évaluées. D’abord les « conditions initiales », via le niveau de l’intensité en émissions de GES ainsi que sa trajectoire récente13 ou encore le mix énergétique14, afin d’évaluer l’ampleur de l’effort à fournir. L’intensité carbone des produits exportés (c’est-à-dire la quantité de CO2 émise pour produire) est aussi un indicateur intéressant à prendre en considération compte tenu du développement potentiel de la tarification carbone aux frontières15. Les exportations sont en effet le plus souvent la première ou deuxième source d’entrées de devises dans les pays en développement et ceux qui exportent des produits très intenses en carbone risquent d’être moins compétitifs et/ou de perdre leurs parts de marché à l’export16.
Enfin, les indicateurs d’évaluation de la politique climat17, ainsi que les dépenses publiques pour la protection de l’environnement sont aussi des sources d’information utiles.
D’autres éléments pourraient être mobilisés pour une évaluation complète du risque systémique du climat au niveau d’un pays : la qualité et l’efficacité des institutions, les capacités budgétaires… Ces éléments faisant déjà partie de l’analyse globale risque-pays, ils ne sont pas discutés ici.
Les pays sont inégalement exposés aux risques physiques et de transition
Sur les risques physiques, la géographie des risques naturels montre de fortes disparités entre les pays développés et ceux en voie de développement. Les pays en développement et à faible revenu semblent en effet plus susceptibles de subir de manière disproportionnée les conséquences négatives du réchauffement climatique. En effet, leur dépendance aux secteurs les plus exposés au climat (agriculture, sylviculture par exemple) fragilise davantage leurs activités (production consommation exportations...). La moindre qualité ou l’absence d’infrastructures, parfois le manque de moyens budgétaires réduisent également la capacité de ces pays à surmonter les crises et leurs effets, comparé aux pays développés18. Ainsi, en prenant en compte une moyenne simple des indicateurs de risques physiques par zone géographique, l’Afrique subsaharienne (à 47 contre 57 pour la moyenne monde) et l’Asie émergente (à 52) ressortent comme les régions les plus exposées au changement climatique.
Le lien entre le niveau de développement des pays et les risques de transition semble en revanche moins évident (Cf. graphique 3). Si les principaux pays contributeurs du réchauffement climatique sont les pays développés et certains grands pays émergents, les indicateurs mobilisés ici pour capter les différentes dimensions du risque de transition montre que la situation est très hétérogène entre les pays de chaque catégorie de revenu. Chez les économies à haut revenu ou les grands émergents, ce sont surtout les économies très dépendantes des hydrocarbures (poids dans le PIB, part des recettes budgétaires et d’exportations et mix énergétique), en particulier dans la région du Proche Orient19, qui ressortent sans surprise avec les plus mauvais scores. La zone euro présente en revanche une moyenne supérieure à celle des autres pays avancés (50, contre 48 respectivement), tirée globalement par des exportations moins intensives en carbone, une trajectoire des émissions de GES à la baisse et une politique climat et de protection de l’environnement active. Parmi les zones émergentes, l’Amérique latine (51 de moyenne) bénéficie d’une matrice énergétique fortement axée sur le renouvelable, tandis que les émissions de CO2, ainsi que la trajectoire à la hausse des GES en Asie émergente limitent la moyenne de la zone à 48.
Graphique n° 3 – Relation entre la vulnérabilité climatique par pays en fonction de la catégorie des revenus
En résumé, la mobilisation de plusieurs indicateurs permettent de dresser une première image du risque climatique sur plusieurs dimensions au niveau d’un pays (Cf. carte monde qui est une synthèse des indicateurs mobilisés dans cette analyse). Le nombre restreint des données historiques, ainsi que l’absence de modèle passé pour calculer les implications potentielles futures de la hausse des températures sur l’activité des pays, de même que leur horizon de matérialisation, limite cependant la portée de l’analyse.
1 L’Accord de Paris sur les changements climatiques est un instrument juridique international par lequel les États ont établi quels étaient leurs droits et leurs obligations face aux causes et aux effets des changements climatiques.
2 Il s’agit du principe de l’universalité, où l’ensemble des pays doivent participer aux efforts de réduction d’émissions de GES étant donné que les effets du changement climatique touchent tous les continents.
3 Les contributions déterminées au niveau national (NDC), présentent les politiques et mesures climatiques des pays pour réduire les émissions de GES et/ou s’adapter aux changements climatiques dans de nombreux secteurs. Il peut s’agir par exemple de décarboner l’approvisionnement en énergie avec des transferts vers l’énergie renouvelable, l'amélioration de l'efficacité énergétique, une meilleure gestion des terres, de l'urbanisme et des transports.
4 Dans le cadre des négociations climat, les pays en développement soulignent régulièrement la responsabilité historique des pays développés dans le changement climatique. Dans ce contexte, la convention-cadre des Nations-Unies pour le changement climatique (CCNUCC de 1992) a établi le principe de la « responsabilité commune mais différenciée » des pays, impliquant une obligation d’efforts plus importants par les pays développés.
5 Au 25 octobre, 143 parties avaient soumis des NDC nouveaux ou actualisés et au sein de ce groupe, environ 71 parties ont communiqué un objectif de neutralité carbone vers le milieu du siècle.
6 Les améliorations ou innovations technologiques qui soutiennent la transition peuvent avoir des répercussions significatives sur les économies, en perturbant certaines parties des modèles économiques actuels.
7 La modification significative de l’offre et de la demande de certains produits jugés en inadéquation avec l’effort de transition pourrait impacter l’organisation actuelle de certains marchés, laissant apparaitre différents risques liés notamment à la baisse de revenus de certaines organisations.
8 Les mesures politiques relatives au changement climatique représentent le cadre réglementaire structurant la mise en route de cette transition économique (mécanismes de tarification du carbone pour réduire les émissions de GES, réorientation de l'utilisation de l'énergie vers des sources d'émission plus faibles, …). L'incapacité des organisations à s'adapter au changement climatique, aux nouvelles réglementations, ainsi qu’un calendrier de mesures inadapté peut ainsi avoir des répercussions négatives importantes sur les systèmes économiques.
9 Le changement climatique a été identifié comme une source potentielle de risque pour la réputation des organisations. La perception qu’ont les clients d’une organisation peut avoir des répercussions sur la situation financière de ces entités.
10 A titre d’illustration, la sécheresse prolongée en Syrie entre 2006 et 2011 aurait été à l’origine d’un important déplacement de population des zones rurales vers les zones urbaines contribuant en partie à la guerre civile
actuelle. Source : Kelley, et al. (2015)
11 Il s’agit notamment du (i) dumping climatique : un fabricant aux coûts plus élevés peine à rester dans le marché et sa part de marché est prise par des concurrents non soumis au prix du carbone; et des (ii) fuites de carbone: lorsque la production est transférée vers d'autres pays à plus faible ambition pour la réduction des émissions, ou lorsque les produits du pays sont remplacés par des importations plus intensives en carbone.
13 Source : World Resources Institute 14 Le mix énergétique inclut les énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel), les diverses énergies renouvelables (hydraulique, éolien, solaire, géothermie), ainsi que le nucléaire.
15 Il s’agit notamment du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) de l’UE.
16 La mise en place d’une tarification carbone aux frontières viserait en effet, entre autres, à inciter les pays exportateurs à commencer à décarboner leurs exportations pour continuer à bénéficier d’un accès compétitif et/ou sans restrictions aux marchés qui appliqueraient la tarification carbone sur les importations.
17 Source : CCPI
18 A titre d’illustration, le tremblement de terre de 2010 en Haïti, d’une magnitude de 7 contre 9 pour celui de Fukushima au Japon en 2011 a fait 14 fois plus de victimes, compte tenu notamment de la précarité des infrastructures en Haïti.
19 Le Qatar, le Koweït, les Emirats Arabes Unis, le Bahreïn et l’Arabie Saoudite font partie des 10 pays les plus émetteurs de CO2 par habitant.
Un article d'Adriana Meyer :