Une ambition et des objectifs plus prudents ou une meilleure conduite de l’entreprise ?
Les deux premiers articles de cette série consacrée aux femmes entrepreneures des quartiers nous ont permis d’esquisser leurs portraits personnels et de leurs entreprises. Dans le premier article, nous avons vu que leur faible présence parmi les créateurs d'entreprises dans les quartiers (30% de femmes seulement), pouvait s'expliquer par des difficultés supplémentaires liées aux charges familiales ou à une situation économique initiale moins favorable. Et que cela semblait caractériser l'entrepreneuriat féminin en général. Dans le second article, nous avons vu que les créatrices d'entreprises dans les quartiers s'impliquaient plus souvent dans certains secteurs (commerce, restauration, santé et social, administration publique et services), caractérisés par une clientèle individuelle nombreuse. Et pour certains secteurs, cela nécessitait un degré de qualification plus élevé. De plus, leur projet entrepreneurial plus modeste au démarrage, semble néanmoins plus solide au cours des trois premières années, avec un potentiel de développement plus important.
Retrouvez nos deux précédents articles :
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Focalisons-nous maintenant sur leurs moteurs, leurs freins et leurs atouts à la création. Après un démarrage d'activité plus humble que les hommes, tourné vers l'autonomisation économique, les femmes entrepreneures des quartiers semblent prendre conscience du potentiel de développement de leur entreprise.
Des projets plus souvent motivés par un désir d’indépendance
Les projets des femmes entrepreneures des QPV sont motivés le plus souvent par un désir d’indépendance
C'est moins l'aventure, ou le goût pour l'entrepreneuriat, qui semble pousser les femmes entrepreneures des quartiers à se lancer dans l'entrepreneuriat, que la concrétisation d'un projet de vie (l'indépendance) ou d'une nouvelle idée. L'indépendance est une motivation centrale pour la majorité des entrepreneurs. Mais cette motivation semble un peu plus forte encore parmi les femmes entrepreneures des quartiers (63% vs. 60% pour les hommes). Elles se lancent également plus souvent que les hommes pour proposer une nouvelle idée (15% vs. 9%), mais moins souvent par goût pour l'entrepreneuriat (35% vs. 38%).
Les femmes des QPV créent plus d’entreprises dans l’objectif d’assurer leur propre emploi par rapport aux hommes
Aussi, quand elles créent leur entreprise, c'est plus souvent que les hommes pour assurer leur propre emploi (70% vs. 62%). Cela confirme la volonté d'autonomisation économique, mais peut également traduire une ambition plus prudente au départ. Dans les deux cas, il s'agirait d'encourager les créatrices d'entreprises dans les quartiers à avoir plus confiance en elles-mêmes, à ne pas s'autocensurer et à voir plus grand dès le départ.
Les femmes entrepreneures dans les quartiers ont une ambition de croissance renforcée après les trois premières années de l’entreprise
Les femmes entrepreneures en QPV souhaitent davantage accroître leur activité après 3 ans que les hommes
Car signe positif : après leurs trois premières années d'activité, les femmes cheffes d'entreprises dans les quartiers semblent portées par une ambition un peu plus marquée que les hommes, en particulier quand il s’agit d’accroître fortement leur activité. Une fois lancées, elles semblent donc revoir leur ambition à la hausse.
Les trois premières années d'activité et l'épreuve du terrain semblent réhausser leur niveau de confiance quant à leurs capacités à développer leur entreprise. D'autres études abondent dans ce sens : les femmes qui entreprennent ont une ambition plus forte de développement de leur entreprise que les hommes.(1)
Une meilleure formation et moins de freins à l’accélération semblent expliquer ce changement de perspective au cours des trois premières années.
Les femmes entrepreneures des QPV se distinguent par une curiosité plus marquée
Les femmes entrepreneures des quartiers se forment plus souvent pendant les trois premières années de création et font également plus souvent appel à des conseils externes que les hommes.
Les femmes entrepreneures des quartiers sont près de la moitié (46%) à suivre une formation pendant les trois premières années de création de leur entreprise. C'est beaucoup plus que les hommes, qui ne sont que 30% à avoir suivi une formation. En outre, une forte proportion d'hommes entrepreneurs estiment qu'ils n'en ont pas eu besoin (47% vs. 38% pour les femmes).
Les femmes entrepreneures des QPV sont plus nombreuses à recourir aux formations durant les trois premières années comparativement aux hommes
Lorsqu'elles se forment, les femmes entrepreneures des quartiers privilégient très largement le renforcement de leurs compétences métier. Les autres types de formations, associés au développement commercial, à la communication ou à la gestion sont beaucoup moins prisés de manière générale par les entrepreneurs, mais c'est encore plus le cas chez les femmes. Bien que ces compétences du gestionnaire d'entreprise ou du développeur commercial soient très utiles au développement de l'entreprise, elles ont tendance à être sous-estimées comme nous le soulignions déjà dans l'étude Entreprendre dans les quartiers : libérer tous les potentiels.
Les créatrices d’entreprise en QPV sont plus nombreuses à privilégier les formations métier par rapport aux autres types de formations
Les femmes entrepreneures des quartiers reçoivent plus de conseils de leur entourage proche que les hommes
Les femmes créatrices d'entreprises des quartiers semblent solliciter un peu plus souvent des conseils que les hommes (40% vs. 37%). Lorsqu'elles sollicitent des conseils, elles se tournent en particulier vers leur entourage personnel (conjoint, famille), dans une proportion plus élevée encore que les autres entrepreneurs.
Il est intéressant de noter que certaines études mettent en avant une difficulté accrue d'accès aux réseaux entrepreneuriaux pour les femmes. Mais d'autres études pointent l’inverse : une propension plus importante des femmes solliciterait des conseils auprès de réseaux professionnels ou des partenaires, alors que les hommes se tourneraient plus souvent que les femmes vers leurs amis ou famille. Le débat n'est donc pas entièrement tranché.
Le recours aux prestations externes reste le même parmi les hommes et femmes entrepreneurs des QPV
Les femmes entrepreneures des QPV ont autant recours aux services extérieurs que les hommes
En tout cas, les femmes entrepreneures des quartiers sollicitent de la même façon que les hommes les services extérieurs, tels que la comptabilité qui, sans surprise, est le service le plus plébiscité par les entrepreneurs.
Les femmes chefs d'entreprise des QPV rencontreraient moins de freins au développement suite à la création de leur entreprise
Les femmes créatrices d’entreprise en QPV sont plus nombreuses à déclarer ne rencontrer aucun obstacle à l’investissement durant les trois premières années par rapport aux hommes
Les femmes entrepreneures des quartiers sont 82% à déclarer ne rencontrer aucun obstacle à l'investissement au cours des trois premières années de création. C'est six points de plus que les hommes, mais nous ne pouvons pas l’expliquer.
Les femmes en QPV sont plus nombreuses à déclarer ne rencontrer aucun problème particulier durant les trois premières années par rapport aux hommes
Bien que des études mettent en avant une difficulté accrue d'accès aux financements pour les femmes entrepreneures, les données SINE-Insee ne semblent pas en faire un obstacle particulier pour les femmes entrepreneures des quartiers. En effet, pendant les trois premières années de création elles sont 23% à déclarer l'aspect financier comme étant un frein au développement de leur entreprise, soit autant que les hommes. De manière générale, elles déclarent moins souvent faire face à un obstacle que les hommes (40% vs. 33%). Quant aux soucis de débouchés ou de concurrence, là encore, les femmes le déclarent moins souvent que les hommes comme un frein (23% vs. 33%).
Finalement, trois hypothèses semblent se dégager et pourraient ne pas s'exclure mutuellement.
Les femmes entrepreneures des quartiers initient des projets plus petits que ceux des hommes et semblent pourtant mieux réussir après les trois premières années d'activité. Ceci peut être dû à une humilité ou une autocensure plus forte au départ, en lien avec une volonté première d'autonomisation économique. Cela peut être dû aussi à une stratégie différente, qui ne manque pas d'ambition, mais qui fait le pari d'une prudence plus marquée au départ. De fait, en commençant de manière plus raisonnable, les femmes entrepreneures des quartiers feraient moins souvent face à des freins financiers ou commerciaux, et arriveraient à plus se développer, et à être plus résilientes. Mais on peut également émettre l'hypothèse, que partant de situations encore plus difficiles que les hommes, la sur-sélection qui concerne les entrepreneurs des quartiers de façon générale, présentée dans l'étude Entreprendre dans les quartiers : libérer tous les potentiels, est encore plus forte pour les femmes. Celles qui arrivent à lancer leurs projets obtiendraient, tout simplement, une meilleure réussite, car elles auraient aussi une volonté et des compétences encore plus élevées.
(1) A.Ewango-Chatetet, C.Laffineur, Quelle résilience de l'entrepreneuriat inclusif en Île-de-France : femmes, migrants et entrepreneurs des quartiers défavorisés ?, Université Côte d'Azur, 2020.
Pour aller plus loin, vous pouvez télécharger notre étude complète ou consulter nos contenus associés !
Retrouvez aussi la version anglaise de cet article ci-dessous :
Un article d'Aurélien Lemaire, responsable d'études Bpifrance Le Lab