A la suite de l'étude Entreprendre dans les quartiers : libérer tous les potentiels, Bpifrance le Lab consacre trois articles sur les femmes créatrices d'entreprises dans les quartiers (définis comme étant les Quartiers prioritaires de la Politique de la Ville ou QPV).
Qui sont-elles ? Quelles sont leurs ambitions ? Comment sont-elles accompagnées ? (1)
Dans ce premier article, nous constatons que les femmes qui ont créé leur entreprise dans les quartiers ont un profil très différent de leurs pairs masculins. Elles sont plus diplômées et plus jeunes. Elles créent des entreprises en partant de situations personnelles et financières plus défavorables : elles ont plus fréquemment des enfants à assumer seules, et elles sont aussi plus souvent sans emploi au moment de la création. Par ailleurs, les femmes représentent seulement un tiers des créateurs d'entreprises dans les quartiers.
Ainsi, il s'agit d’identifier les freins et les obstacles que rencontrent les femmes des quartiers pour entreprendre. Une meilleure compréhension de ces barrières permettra également de les accompagner plus efficacement dans la création et le développement de leurs entreprises. Il ressort par ailleurs que les femmes entrepreneures des banlieues ont un profil assez similaire aux femmes qui entreprennent hors quartiers. Cela montre que l'enjeu de entrepreneuriat au féminin transcende les frontières territoriales.
Dans nos deux articles suivants, nous aborderons :
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Les femmes dans les quartiers entreprennent beaucoup moins fréquemment que les hommes
En effet, on compte seulement 29% de femmes créatrices d'entreprises dans les quartiers (31% hors quartiers).
Une sous-représentation de femmes créatrices d'entreprises, quelle que soit la zone
Au-delà de l'impact du genre, sur lequel nous reviendrons en fin d'article, la nationalité semble être un frein supplémentaire pour l'entrepreneuriat des femmes dans les quartiers. Les femmes de nationalité étrangère hors Union Européenne (UE) y sont deux fois moins représentées que les hommes parmi les créateurs d'entreprises (8% vs. 16%). Les femmes migrantes peuvent être considérées comme une minorité dans la minorité. Selon un rapport de l’Université de Nice Sophia Antipolis (2), elles font face à des difficultés supplémentaires, liées notamment à l'accès aux réseaux d'entrepreneurs migrants. Ces réseaux sont constitués majoritairement d'hommes, et l’accès n'est pas aisé pour les femmes, qui doivent alors se tourner vers des réseaux extérieurs. De plus, la logique « entrepreneuriat d'émancipation » que l'on trouve plus souvent chez les femmes – créer son entreprise pour acquérir une autonomie économique – peut venir encore plus réduire la taille et l'ambition des projets.
Des créatrices d'entreprise de nationalité hors UE moins représentées que les hommes en QPV
Les femmes entrepreneures dans les quartiers sont plus jeunes et plus diplômées que les hommes
Les créatrices d'entreprises dans les quartiers sont plus jeunes que leurs pairs masculins. Elles sont surreprésentées dans la catégorie d'âge des moins de 30 ans par rapport aux hommes (25% vs. 19%). Selon l'Insee, cette différence reste vraie en général parmi les indépendants et dirigeants salariés déjà en activité. Les femmes entrepreneures ont ainsi en moyenne deux ans de moins que les hommes : respectivement 44,6 ans contre 46,2 ans.
Des créatrices d'entreprise plus jeunes que leurs pairs masculins en QPV
En ce qui concerne la formation, dans les quartiers, les femmes sont plus diplômées que les hommes. Elles sont 50% à détenir un diplôme de niveau supérieur au BAC. C'est beaucoup plus que les hommes, qui sont eux seulement 33% à avoir suivi des études post BAC. Les femmes sont particulièrement surreprésentées dans les diplômes de niveau BAC+5.
C'est une différence qui se confirme au niveau de la direction des entreprises en général selon un rapport de l’INSEE. Pour atteindre des postes de direction d'entreprise, les femmes tenteraient de compenser l'effet négatif que semble produire le genre, en partie par un niveau de qualification plus élevé que les hommes. En ce qui concerne la création d'entreprise, l'équation paraît un peu plus complexe, car le type de diplôme de l’entrepreneur est souvent lié à son secteur d'activité. Selon une étude Infogreffe, les femmes entreprennent plus souvent dans des secteurs où un diplôme supérieur au BAC est la norme (santé ou social par exemple). Ce point sera détaillé dans le second article de cette série.
Des créatrices d'entreprise en QPV plus souvent diplômées du supérieur que les hommes
Les plus jeunes femmes dans les quartiers entreprennent plus que leurs aînées. Les études post-baccalauréat peuvent leur servir à la fois de terrain d'émancipation sociale et de moyen de capitalisation en compétences et en réseaux. Ces derniers peuvent alors représenter des leviers d’accélération pour la création d'entreprise. Mais d’autres obstacles demeurent. Les créatrices d’entreprise dans les quartiers partent davantage d'une situation plus défavorable que les hommes.
En QPV, les femmes créent des entreprises malgré des situations financières et personnelles plus difficiles que les hommes
Elles sont en effet près de la moitié (46%) à être sans emploi au moment de la création. C’est huit points de plus que les hommes (38%).
Or, l'ambition des projets lancés par des personnes sans emploi peut se trouver plus limitée. Elles auront été moins en capacité d'épargner avant de se lancer, donc à s'autofinancer ensuite. Elles auront potentiellement plus souvent fait de leur projet un moyen d'émancipation économique avant tout, sans forcément dessiner une forte trajectoire de développement pour leur entreprise (voir les prochains articles sur le sujet).
Des créatrices d'entreprise en QPV plus souvent anciennement sans emploi que les hommes
De plus, les charges familiales sont plus lourdes chez les femmes entrepreneures des quartiers que chez leurs homologues masculins. Elles sont trois fois plus nombreuses à être célibataires avec enfant(s) à charge (11% vs. 4%). Une situation qui peut freiner leur réussite entrepreneuriale, avec une gestion d'entreprise rendue particulièrement difficile en termes de conciliation vie privée-vie professionnelle ou d'énergie disponible. Ce contexte familial semble d’ailleurs avoir été accentué ces derniers mois, pendant et suite au confinement du printemps 2020.
Des créatrices d'entreprises en QPV plus souvent seules avec enfant(s) à charge par rapport aux hommes
La sous-représentation et les difficultés des femmes dirigeantes et créatrices d'entreprises : un problème qui dépasse le territoire
Nous constatons également que le profil des femmes qui entreprennent dans les quartiers a beaucoup de points communs avec les femmes qui entreprennent ailleurs sur le territoire (âge, diplômes, situation personnelle, part faible parmi les créateurs d'entreprises). En conséquence, nous pourrions élargir les enjeux et défis de l'entrepreneuriat féminin dans les quartiers, à entrepreneuriat féminin en France.
De manière générale, on compte beaucoup moins de femmes parmi les créateurs et dirigeants d'entreprises que d'hommes.(2) Leur proportion est d'autant plus faible que l'entreprise est grande. On compte en effet aujourd'hui 30% de femmes dirigeantes parmi les plus petites entreprises et 20% parmi les entreprises de plus de 50 salariés. Le taux de femmes qui dirigent les 120 plus grandes entreprises françaises cotées à la Bourse de Paris (SBF 120), chute à seulement 14%, selon l’Observatoire des inégalités. Dans le CAC40, aucune n’est PDG.
La sous-représentation des femmes créatrices d'entreprise dans les quartiers, et plus largement en France, semble donc être très influencée par le genre. En France les femmes déclarent moins souvent vouloir devenir indépendantes que les hommes (37% vs. 44%). Elles préfèrent par ailleurs très majoritairement être salariée (61%), selon une enquête de la Commission européenne.
Dans le choix du statut, salarié ou indépendant, la variable familiale semble être importante chez les femmes, selon les mêmes données de l’institution européenne. Celles qui privilégieraient l'emploi salarié, le ferait plus souvent que les hommes pour avoir des revenus réguliers (respectivement 24% et 15%) et des horaires fixes de travail (10% vs. 4%). Celles qui au contraire privilégieraient l'entrepreneuriat, citent plus souvent la flexibilité du lieu et des heures de travail comme argument (39% vs. 31%). Lorsqu'on demande aux femmes enquêtées s'il serait faisable pour elles d'être indépendantes au cours des cinq prochaines années, celles-ci répondent non à 52% (contre seulement 40% pour les hommes). Lorsqu'on leur demande pourquoi, elles sont deux fois plus nombreuses que les hommes à évoquer la difficulté à concilier la création de leur entreprise avec leurs obligations familiales.
Ce sont autant de facteurs qui montrent l’importance d’un accompagnement des femmes entrepreneures des quartiers. Celles-ci prenant bien en compte la réalité dans leur quotidien et les difficultés auxquelles elles peuvent faire face.
(1) Comme pour l'étude sur entrepreneuriat dans les quartiers, les données utilisées proviennent principalement de l'enquête SINE-Insee (système d'information sur les nouvelles entreprises)* sur les entreprises de 2014 et 2017. Mais d'autres enquêtes et études sont mobilisées le cas échéant.
(2) A.Ewango-Chatetet, C.Laffineur, « Quelle résilience de l'entrepreneuriat inclusif en Île-de-France: femmes, migrants et entrepreneurs des quartiers défavorisés ?», Université Côte d'Azur, 2020
*accès aux données de l'enquête via le CASD (centre d'accès sécurisé aux données) de l'Insee
La suite de cette série d'articles est disponible plus bas. Vous pouvez consulter l'étude complète via le volet de téléchargement ! Retrouvez également ci-dessous la version anglaise de cet article :
Un article d'Aurélien Lemaire, responsable d'études Bpifrance Le Lab