Bassirou Diomaye Faye, candidat de l’opposition, a remporté dès le 1er tour les élections présidentielles organisées le 24 mars au Sénégal, après de nombreux rebondissements. Il arrive à la tête du pays avec un programme visant à améliorer la souveraineté économique et la gouvernance du pays. Mais il devra faire face à d’importants défis pour mettre en œuvre ses réformes, attendues par ses électeurs, dans un contexte politique et économique lui laissant peu de marges de manœuvre. Il devra en outre trouver le juste équilibre pour faire évoluer le Sénégal vers plus d’autonomie sans se priver du soutien des partenaires internationaux. Le marché sénégalais est la 3e destination des produits français exportés en l’Afrique sub-saharienne et 175 entreprises françaises y sont implantées. La France a toutefois perdu sa place de premier fournisseur du pays au profit de la Chine en 2022.
Des élections marquées par de nombreux rebondissements mais dont l’issue montre la solidité des institutions sénégalaises
Une organisation du scrutin pleine d'imprévus
Le 6 février 2024, le Président Macky Sall a annoncé, à la surprise générale, le report de l’élection présidentielle prévue le 25 du même mois. La Cour Constitutionnelle a refusé d’entériner la nouvelle date (15 décembre 2024), votée quelques jours plus tard par le Parlement1 au motif qu’elle conduirait à maintenir M. Sall à la présidence au-delà de la fin de son mandat (2 avril 2024). Le Président a finalement annoncé, le 6 mars, que les élections se tiendraient le 24 mars.
L’élection a par ailleurs été marquée par un nombre record de candidats (dix-neuf ont obtenu l’autorisation de se présenter et dix-sept sont restés en lice) mais aussi par le fait que le principal candidat d’opposition, Ousmane Sonko, avait été déclaré inéligible. Cette figure très charismatique a désigné pour le remplacer Bassirou Diomaye Faye, ancien inspecteur des impôts comme lui, membre de son ex-parti, le Pastef2 . Arrêté en marge d’une manifestation, le nouveau candidat était lui-même incarcéré lorsque la date du scrutin a été annoncée.
Une campagne électorale expresse
La campagne avait à peine débuté lorsque le Président M. Sall a annoncé le report de l’élection. La confirmation de la date moins de 3 semaines avant le scrutin a laissé peu de temps aux candidats pour promouvoir leur programme. En outre, B. Diomaye Faye a été libéré avec O. Sonko seulement dix jours avant les élections, à la faveur d’une amnistie présidentielle. La très courte campagne ne l’a pas empêché d’être élu au 1er tour (plus de 54% des voix) et de devenir ainsi, à 44 ans, le plus jeune Président de l’histoire du Sénégal. Avant même la déclaration des résultats officiels, M. Ba, candidat de la coalition présidentielle, a reconnu sa défaite et félicité le vainqueur pour sa victoire.
Une issue témoignant de l’ancrage démocratique du pays
Après les évènements violents qui ont touché le pays en 2021 et 2023 et les fortes tensions qui ont suivi l’annonce du report des élections, le pays devrait retrouver une certaine stabilité politique et sociale. Le scrutin s’est déroulé dans le calme, son résultat n’a fait l’objet d’aucune contestation. Cet épisode électoral a démontré la solidité des institutions sénégalaises et l’ancrage démocratique du pays. B. Diomaye Faye devra néanmoins affirmer son positionnement politique, en fonction aussi de celui de son mentor O. Sonko, nommé Premier Ministre le 2 avril.
Un programme axé sur la qualité de la gouvernance et la souveraineté du Sénégal
Le programme de B. Diomaye Faye, intitulé “Le Chemin de la Vérité”3 , remet notamment en cause le modèle politique sénégalais qualifié « d’hyperprésidentialiste ».
Une plus grande souveraineté financière et monétaire
Le nouveau Président souhaite renforcer l’autonomie du Sénégal, notamment agricole, mais aussi son indépendance financière, avec la volonté de développer les sources de financement locaux et mobiliser les ressources financières de la diaspora.
La réforme monétaire, plus particulièrement la mise en circulation d’une monnaie remplaçant le franc CFA, constitue l’une des mesures les plus radicales évoquées pendant la campagne. Elle permettrait de répondre à une revendication d’une partie de la population, notamment les plus jeunes, qui voient dans cette monnaie un instrument de domination économique de la France et une entrave à l’autonomie monétaire du pays. Selon les différentes déclarations post-électorales, la nouvelle équipe semble consciente des difficultés et des risques que représenterait l’abandon rapide et sans conditions du F CFA. Il pourrait s’agir plutôt de relancer le projet de monnaie unique régionale, au sein de la CEDEAO4 , dont la mise en œuvre piétine depuis la crise sanitaire.
Une volonté de rééquilibrage des relations avec les partenaires étrangers mais pas de rupture
B. Diomaye Faye a fait part de sa volonté de renégocier des contrats conclus avec des compagnies étrangères (secteurs de la pêche et extractif en particulier). Plus généralement, il prône une plus forte implication de l’Etat dans l’économie. Cette position ne devrait cependant pas se traduire par un revirement total de la politique d’ouverture aux entreprises étrangères privilégiée par le gouvernement de M. Sall depuis plusieurs années. A l’occasion de sa première apparition en public le 25 mars, le nouveau Président a ainsi confirmé que le Sénégal resterait un « pays ami, un allié sûr et fiable » pour tous les partenaires « respectueux ».
De la théorie à la réalité : de nombreux défis attendent le nouveau gouvernement
Malgré sa large victoire, la nouvelle équipe gouvernementale risque d’être confrontée à des obstacles dans la mise en œuvre de son programme
L’un des obstacles auquel pourrait se heurter rapidement le nouveau Président concerne sa capacité à faire entériner à l’Assemblée les mesures qu’il souhaite mettre en œuvre. La coalition à laquelle appartient B. Diomaye Faye (YAW- Yewwi Askan Wi) n’est représentée que par 56 députés sur 165 contre 82 pour l’Alliance pour la république, le parti de l’ex-Président M. Sall. Une dissolution n’est pas exclue si le nouveau gouvernement ne parvient pas à faire passer ses réformes, mais elle comporterait aussi une part de risque.
Les risques économiques et financiers restent élevés
Les prévisions de croissance très positives pour le Sénégal (+8,8% en 2024 et +9,3% en 2025 selon la Banque Mondiale) reposent en grande partie sur la hausse des revenus attendue de l’exploitation commerciale des réserves d’hydrocarbures. Le lancement de la production du champ pétro-gaziers de Grand Tortue Ahmeyim (GTA), reporté à plusieurs reprises, est désormais attendu au 3e trimestre 2024. Face aux retards de mise en service, les présidents Sénégalais et Mauritanien5 ont lancé une procédure d’audit, craignant que leurs revenus ne soient réduits par des surcoûts. Les recettes fiscales et d’exportation provenant des hydrocarbures sont en effet essentielles pour améliorer les finances publiques du pays.
Le déficit budgétaire s’est nettement creusé entre 2019 et 2022, pour atteindre −6,6% du PIB, avec les programmes de soutien destinés à atténuer les conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire puis de la guerre en Ukraine. Le gouvernement s’est par la suite engagé à ramener le déficit à −3% du PIB en 2025.
En 2023, la dette publique avoisinerait 80% du PIB et près d’un tiers des revenus de l’Etat seraient consacrés au paiement de son service (principal et intérêts). 75% du stock de dette est composé de dette externe, dont environ un tiers auprès de créanciers privés. Le Sénégal bénéficie cependant de l’appui des institutions financières internationales (FMI, Banque Mondiale notamment) et des Etats étrangers (France, Chine, …) qui représentent des sources de financement à conditions plus favorables (taux, durée).
Evolution du solde budgétaire et de la dette publique* (% PIB)
Une situation politique et sociale plus apaisée mais encore fragile
Les attentes de la population sont fortes, en matière de gouvernance ou de lutte contre le chômage notamment. Les Sénégalais ont fait le choix du changement mais les contraintes économiques et politiques, au niveau national comme international, pourraient ralentir les réformes annoncées et être source de déception.
Par ailleurs, le Sénégal est resté plutôt préservé des menaces terroristes islamistes. Mais la dégradation de la situation dans les pays du Sahel (Mali en particulier), pourrait toucher les régions orientales de son territoire, où des incursions jihadistes ont déjà été observées.
Réorientation ou rupture ? Dans l’attente des premières décisions du nouveau gouvernement.
B. Diomaye Faye devra progresser rapidement dans les réformes promises pour ne pas décevoir les électeurs qui lui ont fait confiance, tout en veillant à préserver l’attractivité du pays. Une position trop radicale risquerait en effet d’effrayer les investisseurs et les créanciers, privant le Sénégal de ressources importantes pour son économie.
Le détail des mesures reste à préciser mais, malgré un positionnement politique différent de celui de son prédécesseur, le nouveau président ne devrait pas, selon ses premières déclarations, imposer de changement radical, au moins à court terme.
Les décisions prises par son gouvernement seront suivies avec attention par les partenaires du Sénégal, notamment français. Le marché sénégalais reste la 3e destination des produits exportés par la France en Afrique sub-saharienne, même si sa part de marché à l’export s’est nettement réduite depuis 20 ans pour passer en dessous 10 % en 2022 (près de 25% en 2003), cédant à la Chine la place de 1er fournisseur du pays. De plus la France reste le 1er investisseur au Sénégal (17% des stocks d’investissements directs) et le nombre d’entreprises françaises qui y sont implantées a progressé, de moins de 100 en 2012 à 175 en 2020.
1 A l’issue d’un vote auquel n’ont pas participé les députés de l’opposition, qui avaient été évacués de l’hémicycle par la gendarmerie.
2 Le parti d’O. Sonko, le Pastef (Patriotes Africains du Sénégal pour le Travail, L’Ethique et la Fraternité) a été dissous en juillet 2023.
3 Le programme officiel est intitulé en Woloff “Yoonu Dëgg”
4 Communauté Economique des Etats De l’Afrique de l’Ouest, comprenant 15 pays
5 Le champs GTA est partagé entre le Sénégal et la Mauritanie