Le 1er mars, B. Tinubu, candidat du parti du Président sortant M. Buhari, a été déclaré vainqueur des élections présidentielles nigérianes. Il prendra dans quelques mois la tête d’un pays affaibli économiquement et soumis à d’importantes tensions sociales, renforcées par la déception d’une partie de la population qui souhaitait une alternance politique.
Des réformes d’ampleur, notamment pour relancer la croissance et mettre un terme à la détérioration des finances publiques, sont attendues par les Nigérians mais aussi les investisseurs étrangers. Le Nigéria, 1er pays d’Afrique sub-saharienne par sa population et son PIB, continue pourtant d'offrir des opportunités pour les entreprises, sous réserve que le nouveau gouvernement parvienne à réaliser les réformes nécessaires pour leur redonner confiance.
Le parti du président sortant reste au pouvoir à l’issue des élections du 25 février.
Le candidat du parti présidentiel déclaré vainqueur d’un scrutin contesté.
Le 1er mars, Bola Ahmed Tinubu, candidat du parti du Président sortant M. Buhari, (All Progressives Congress -APC) a été déclaré vainqueur de l’élection présidentielle (cf. carte). Ce résultat a été contesté par les deux candidats d’opposition1, qui avaient demandé l’annulation du scrutin avant même la publication des résultats, dénonçant diverses irrégularités.
Carte : Résultat des élections du 25/02/2023
Une légitimité contestée pour le nouveau chef de l’Etat.
L'APC a ravi plusieurs Etats au PDP mais le nouveau président n’a été élu qu’avec 35 % des suffrages et un très faible taux de participation (moins de 27%). Depuis l’organisation d’élections démocratiques au Nigéria (1999), tous les présidents avaient été élus avec plus de 50 % des votes.
La nouvelle équipe gouvernementale, qui devrait prendre ses fonctions fin mai, arrivera dans un contexte économique et social dégradé.
Le Nigéria n’a pas tiré profit des cours élevés de pétrole en 2022.
Premier producteur de pétrole d’Afrique sub-saharienne, le Nigéria a vu sa croissance ralentir en 2022 malgré la hausse des cours.
La production de pétrole a atteint un niveau historiquement bas au T3 2022, au point de faire perdre provisoirement au pays sa place de premier producteur d’Afrique sub-saharienne, au profit de l’Angola (cf. graphique n°1). L’exploitation est entravée par des problèmes sécuritaires (vols, sabotages) dans le Delta du Niger et un manque d’investissements qui limite les capacités de production.
Graphique 1 : Production de pétrole (Mns bl/j.)
En 2022, l’inflation (> 20 % depuis août 2022) a fortement pesé sur la consommation. Face à la tension sur les prix, la banque centrale (CBN) a relevé quatre fois son taux de référence, pour le porter à 16,5 % (+500 pb sur l’année). Le niveau élevé des taux d’intérêt, conjugué aux incertitudes liées à la perspective des élections, a limité les investissements. La croissance a ainsi ralenti en 2022 de 3 % (3,6 % en 2021). Elle est restée supérieure à celle de l’Angola, qui a cependant accéléré de 1,1 % à 2,8 %. Pour 2023, les prévisions tablent sur une croissance de l’ordre de 3 % au Nigéria (FMI : 3,2 %, BM : 2,9 %)2, inférieure cette fois à celle de l’Angola (3,5 %).
Fortes tensions sur les liquidités en monnaie locale et en devises.
En octobre 2022, la CBN a annoncé le changement des billets de naira, imposant un échange des anciennes coupures au plus tard fin janvier 2023. Face à la pression de la population confrontée à une insuffisance de nouveaux billets, la date limite d’échange a été reportée à fin 2023. La pénurie de liquidités est un réel frein aux échanges nationaux mais aussi avec les pays voisins, en particulier ceux membres de la zone franc (Bénin, Cameroun).
Malgré la hausse des cours et des recettes d’exportation, le pays souffre d’un manque chronique de devises. Les importations de capitaux, dominées par les investissements de portefeuille (50-60 % du total en moyenne), ont baissé de 12 % en g.a sur la période janvier - novembre 2022 atteignant 4,9 milliards de dollars (cf. graphique n°2). Les sorties de capitaux (6,2 milliards de dollars sur 11 mois 2022), liées notamment au rapatriement des profits des entreprises étrangères et les interventions de la CBN sur les marchés, ont conduit à la baisse des réserves, qui atteignaient 37 milliards de dollars fin 2022 (41 milliards de dollars fin 2021). Elles représentent encore environ 5 mois d’importations, mais les marges de manœuvre de la CBN se réduisent.
Graphique 2 : Flux de capitaux (entrées)
Le nouveau gouvernement face à des défis majeurs.
Des mesures sont attendues pour relancer la croissance, rétablir les finances publiques et réformer un système de change de plus en plus critiqué.
Compte tenu du poids du pétrole dans les revenus du pays (45-50 % des revenus du budget fédéral, 90 % des recettes d’exportation), la production de brut est déterminante. Elle a légèrement rebondi à 1,2 million de barils/jour en décembre, ce qui reste cependant nettement inférieur aux quotas OPEP du pays (1,8 million de barils/jour). La hausse de la production passe par l’amélioration des conditions sécuritaires et le développement de nouveaux puits. A ce titre, la compagnie nationale NNPC a annoncé début 2023 le lancement de l’exploration dans le nord du pays; exploitation qui nécessitera de nouveaux investissements.
La croissance à moyen terme dépendra aussi de la diversification de l’économie, priorité du programme du nouveau président, prévoyant notamment le développement de l’agriculture et de certains secteurs industriels (textile, ciment, acier, pétrochimie, agroalimentaire, TIC…).
La dégradation des finances publiques et la hausse de l’endettement risquent de contraindre les réformes.
Le déficit budgétaire du Nigéria s’est creusé avec les mesures de soutien face aux conséquences de la crise Covid, puis du conflit en Ukraine et devrait dépasser -6 % du PIB en 2022 (cf. graphique n°3). Les subventions sur les carburants (> 2 % du PIB en 2022 selon le FMI) ont contribué à cette dégradation. La réduction des prix du brut et l’augmentation des capacités de raffinage (courant 2023) pourraient faciliter leur suppression prévue mi-2023, qui risque cependant d’alimenter l’inflation et les tensions sociales. L’Etat Nigérian devra également améliorer la mobilisation des recettes. Le ratio recettes fiscales/PIB (5,5 %)3 est le plus faible d’Afrique sub-saharienne et le taux de TVA (7,5 %) est l’un des plus bas de la région.
Graphique 3 : Solde budgétaire et dette publique
Corollaire de la dégradation des finances publiques, la dette publique a progressé à plus de 37 % du PIB en 2022 (+ 10 point de PIB depuis 2018). Si elle reste inférieure à celle de l’Angola (57 % en 2022), ce dernier est en revanche parvenu à réduire nettement son ratio (93 % en 2018) et enregistre un excédent budgétaire (+2,7 %). La dette nigériane doit par ailleurs se mettre en regard de recettes budgétaires structurellement très réduites.
Face à la détérioration du solde budgétaire et à la hausse de la dette, Moody’s a dégradé son rating souverain du Nigéria en octobre 2022 (B3) et janvier 2023 (Caa1)4 . Les rendements des obligations d’Etat à 10 ans ont progressé (> 14 % début 2023 contre de l’ordre de 11 % mi-2022), témoignant d’une certaine inquiétude des investisseurs.
Le système de change : une réforme attendue par les acteurs économiques.
Bien que le cours du naira ne soit officiellement plus indexé sur le dollar depuis 2016, la CBN défend sa parité, au prix de strictes mesures de contrôle de change5 et d’interventions couteuses en devises. Cette politique a conduit à un système de change complexe et à une défiance croissante des acteurs économiques. Libéraliser le taux de change apporterait plus de transparence mais pourrait provoquer une dépréciation du naira, avec des répercussions économiques, en termes d’inflation et de hausse de la dette en devises.
Une situation sociale et sécuritaire fragile.
Le mécontentement de la population n’a cessé de grandir depuis plusieurs années, accentué par la baisse du niveau de vie, les difficultés d’approvisionnement liées à la crise en Ukraine et à d’importantes inondations. Les tensions sociales pourraient être renforcées par l’échec des candidats d’opposition, qui laisse insatisfaite une partie de la population, notamment les plus jeunes, qui soutenaient un changement à la tête du pays. La déception est grande également face à l’incapacité des autorités à lutter contre le terrorisme au Nord du pays et à améliorer la situation sécuritaire dans le Delta du Niger.
Le nouveau président doit faire face à tous ces défis, mais il peut difficilement faire table rase du passé, puisqu’il succède à un représentant du même parti. La mise en œuvre de réformes d’ampleur risque donc d’être lente. Le Nigéria reste néanmoins un marché important offrant des perspectives.
Le Nigéria conserve des atouts et continue d’offrir des opportunités.
Le Nigéria, pays le plus peuplé d’Afrique, devrait voir sa population doubler à 450 millions d’habitants d’ici 2050, avec plus de 40 % des habitants âgés de moins de 15 ans. La taille de son marché représente un atout, sous réserve que la croissance économique assure des revenus suffisants.
Le Nigéria dispose d’importantes réserves de pétrole mais aussi de gaz6 , conférant au pays un statut de fournisseur potentiel pour les pays occidentaux qui cherchent de nouvelles sources d’approvisionnement en substitution de la Russie.
Hors hydrocarbures, le secteur des services est particulièrement porteur (TIC, industrie cinématographique, commerce, etc.). Le pays dispose en outre d’un écosystème de start-up dynamique. En 2022, le Nigéria restait la première destination des investissements en capital risque (1,2 milliards de dollars, soit 23 % du total, avec 190 opérations), malgré une baisse de l’ordre de 35 % des montants investis7 . La Fintech attire d’ailleurs particulièrement les investisseurs. Enfin, dans le cadre de la transition énergétique, le Nigéria lance un plan de développement des énergies renouvelables avec l’objectif de porter leur part dans la production d’électricité de 9 % en 2015 à plus de 40 % en 20508 .
Ces secteurs présentent des opportunités pour les entreprises étrangères, notamment françaises, dont les parts de marché au Nigéria sont peu élevées (de l’ordre de 2 % des importations nigérianes). Le nombre d’entreprises françaises implantées au Nigéria, bien qu’en progression (93 en 2020 contre 75 en 2011) ne représente qu’environ 4% du nombre total d’entreprises françaises implantées en Afrique sub-saharienne.
1 A. Abubakar, candidat du parti d’opposition historique People's Democratic Party (PDP) et P. Obi représentant le Labour Party (LP)
2 Prévisions janvier 2023
3 Source OCDE - Statistiques des recettes publiques 2022
4 S&P et Fitch l’ont maintenu en B-.
5 notamment des restrictions d’allocation de devises pour les importations d’une cinquantaine de biens (produits alimentaires, engrais…).
6 1ères réserves en gaz du continent (est. 5 600 Mds m3 )
7 Source : Partech Report 2022
8 Renewable Energy Roadmap (Remap)- IRENA – janv. 2023