L’Afrique de l’Ouest représente un marché important pour les entreprises françaises. En 2021, les exportations françaises vers la CEDEAO1 ont ainsi progressé de près de 12% par rapport à 2019 (pour atteindre 5,4 Mds €) et plus de 10 000 sociétés françaises ont exporté vers le Sénégal et la Côte d’Ivoire. Le nombre de filiales de sociétés françaises installées dans les pays de la CEDEAO a progressé de plus de 30% entre 2015 et 2019. Il reste pourtant peu élevé (820, principalement installées en Côte d’Ivoire et au Sénégal) au regard des perspectives de plusieurs pays de la zone.
Les économies d’Afrique de l’Ouest, comme le reste de la planète, subiront les conséquences du conflit russo-ukrainien, notamment en termes de hausse des prix et de difficultés d’approvisionnement. Ce nouveau choc frappe par ailleurs des pays dont les marges de manœuvre budgétaires sont souvent réduites, le niveau d’endettement déjà élevé et qui, pour certains, présentent des risques sécuritaires et sociaux. Ces risques devront être surveillés dans les prochains mois. Toutefois, les perspectives de croissance demeurent porteuses, à court comme à moyen terme, dans nombre de pays de la zone, qui pourraient tirer parti en particulier de l’évolution favorable des prix des matières premières.
Les conséquences de la crise en Ukraine passeront essentiellement par le canal de l’inflation
Dépendance aux importations en provenance d’Ukraine et de Russie pour certains produits
Graphique n°1 - Dépendance aux importations en provenance de Russie et d'Ukraine (% importations)
La zone CEDEAO1 est globalement peu dépendante des échanges commerciaux avec la Russie et l’Ukraine (cf. graphique 1). Les importations de la zone proviennent pour moins de 2% de Russie et pour environ 0,5% d’Ukraine2. Le poids dans les importations venant de Russie est toutefois plus élevé pour le Sénégal (près de 6%), le Burkina Faso (5%) et dans une moindre mesure le Togo (3%). Plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest sont par ailleurs très dépendants de la Russie pour certains produits. Le Bénin en importe ainsi la totalité de son blé et 90% de ses engrais ; le Sénégal et le Burkina Faso achètent à Moscou plus de la moitié de leur blé et de l’ordre de 20% de leurs hydrocarbures.
Le poids de l’Ukraine dans les importations de la zone est globalement marginal, mais le Sénégal lui achète plus de 30% de ses produits sidérurgiques (fer et acier) et 18% de ses engrais.
L’approvisionnement de ces produits devrait être très perturbé par les sanctions, les contre-sanctions prises par la Russie (exportation d’engrais) et l’incapacité de l’Ukraine à accéder aux ports par lesquels transitent 70% de ses échanges avec l’étranger.
Le conflit a exacerbé une tendance à la hausse des prix, observée dès fin 2021
Au-delà du canal direct des approvisionnements, le conflit provoque une nouvelle phase de hausse des prix. La conjonction de problèmes climatiques, du renchérissement des engrais, de l’énergie et du transport avait déjà entrainé une progression de l’indice des prix des matières premières alimentaires au niveau mondial3 de plus de 24% entre janvier 2021 et février 2022. En mars il progressait de 13% supplémentaires.
Or, les produits alimentaires pèsent fortement dans le panier des ménages et dans l’indice des prix à la consommation, particulièrement au Mali, au Nigeria et au Sénégal (50%) (cf. graphique n°2).
Graphique n°2 - Contribution des biens alimentaires et de l'énergie dans le calcul de l'inflation (%)
Par ailleurs, les prix de l’énergie ont augmenté très rapidement début 2022, accentuant la hausse de l’indice des prix de pays d’Afrique de l’Ouest majoritairement importateurs nets d’hydrocarbures. Même le Nigéria et le Ghana, exportateurs de pétrole, voient la facture d’importations renchérie par le coût des carburants achetés à l’étranger, faute de capacités de raffinage locales suffisantes. L’inflation dans ce contexte progresse. En avril 2022, elle dépassait 23% au Ghana, 15% au Burkina Faso et avoisinait 17% au Nigéria4. La Côte d’Ivoire et le Sénégal ont annoncé des mesures pour atténuer la hausse des prix de certains biens, surtout alimentaires et connaissent une inflation plus modérée (respectivement 4,5% et 6,2%) même si en nette accélération par rapport aux années précédentes (inférieure à 2%). A ce titre l’impact de l’inflation sur le risque social est à surveiller5, au Sénégal en particulier, qui a connu plusieurs épisodes de mouvements sociaux liés à des problèmes alimentaires6 et avec la perspective des élections législatives en juillet 2022.
L’impact du contexte inflationniste sur les taux d’intérêt est inégal dans la région
La situation des pays de l’UEMOA semble la plus favorable, la BCEAO ayant maintenu un taux de référence de 4%. Les taux se resserrent en revanche du côté du Ghana (relèvement du taux directeur à 17% au Ghana, + 250 pb en mars, ramenant le taux d’intérêt réel en territoire positif), dont la devise subit de fortes pressions à la baisse (-18% entre début janvier et début avril 2022).
Les effets de prix des matières premières pourraient, dans certains cas, être bénéfiques aux exportateurs
Les volumes exportés devraient être peu affectés par la crise en Ukraine.
Graphique n°3 - Dépendance aux exportations à destination de Russie et d'Ukraine (% exportations)
L’Ukraine et la Russie sont des marchés d’exportation marginaux pour l’Afrique de l’Ouest, à l’exception du Bénin qui exporte 5% de ses produits (coton essentiellement) vers l’Ukraine (cf. graphique 3).
Graphique n°4 - Evolution des cours des matières premières (100= Janvier 2020)
La hausse des prix des matières premières devrait avoir des effets ambivalents sur les balances courantes
Les exportateurs nets de pétrole (Nigéria et Ghana) devraient être les grands bénéficiaires de la hausse des cours (+35% entre janvier et début avril 2022, cf. graphique n°4), même si le renchérissement des importations de pétrole raffiné, en atténuera l’effet positif. Les autres pays, importateurs nets d’hydrocarbures, pourront compenser partiellement l’augmentation de leur facture énergétique par la progression des cours d’autres matières premières (cf. graphique n°5).
Graphique n°5 - Importations/ exportations nettes de matières premières (% PIB)
Le Bénin7 et, dans une moindre mesure, le Burkina Faso et le Mali, devraient ainsi bénéficier de la forte progression des cours du coton (+20% depuis début 2022). La Guinée, important producteur de bauxite, profitera des niveaux élevés de l’aluminium mais aussi de ceux de l’or, comme le Mali, le Burkina Faso, le Ghana ou le Sénégal. Ce pays, très dépendant des importations d’hydrocarbures et dont le solde courant était largement déficitaire en 2021 (-12%) devrait cependant moins profiter de la valorisation du métal précieux.
Des soutiens budgétaires pour amortir le choc mais contraints après deux années de crise Covid
La situation des finances publiques s’est nettement dégradée à la suite de l’épidémie de COVID 19. Les Etats avaient prévu de réduire leur déficit en 2022-23, mais les conséquences du conflit devraient retarder la consolidation budgétaire ainsi que l’amélioration de la trajectoire d’endettement.
Des dépenses supplémentaires qui pèseront sur les budgets
La hausse des prix des matières premières devrait certes accroître les revenus de certains pays d’Afrique de l’Ouest par exemple du Nigéria où le secteur pétrolier pèse pour plus de 50% des revenus de l’Etat. Des efforts sont également réalisés pour améliorer la mobilisation des recettes fiscales. Mais les dépenses devraient progresser, notamment au titre des subventions. Le Nigéria y consacrerait chaque année de l’ordre de 4,5 Mds° $ (2% du PIB). Les producteurs de biens alimentaires soutiennent les agriculteurs (prix d’achat fixe du cacao au Ghana et en Côte d’Ivoire, subventions sur les l’engrais et les semences au Sénégal…). Diverses mesures de soutien ont en outre été annoncées dans le reste de la zone (Sénégal, Côte d’Ivoire, Bénin…)
Les marges budgétaires et d’endettement sont réduites
Graphique n°6 - Solde budgétaire et dette publique (% PIB, 2021)
Les pays dont la situation était déjà dégradée en 2021 (cf. graphique n°6) disposent de marges budgétaires étroites : il s’agit en particulier du Ghana, dont le rating souverain a été revu à la baisse par deux agences en février 20228, du Sénégal et du Togo (qui bénéficie toutefois d’une structure de la dette plus favorable, majoritairement concessionnelle). Côte d’Ivoire, Guinée ou Nigéria semblent, à ce titre, dans une situation plus favorable.
Révision très modérée des perspectives de croissance à court terme et non uniforme
Les conséquences de la crise russo-ukrainienne sur la croissance des pays d’Afrique de l’Ouest devraient amener à court terme plus d’inflation et un peu moins de croissance. L’ampleur attendu du choc, bien qu’incertain reste bien plus modeste que sur d’autres zones et les impacts sont non uniformes. Le FMI a revu légèrement à la baisse sa prévision de croissance pour 2022 sur l’UEMOA (de 5,5% à 5,3% ) mais avec des économies qui resteraient très dynamiques notamment en Côte d’Ivoire (6%), au Bénin (5,9%) ou au Sénégal (5%), pour lesquels les estimations de croissance 2021 ont été également réévaluées. La révision est plus nette sur le Ghana (-1 pp à 5,2% pour 2022), avec une estimation 2021 déjà revue à la baisse (-0,5 pp). A l’inverse, le FMI prévoit une amélioration de la croissance au Nigéria (+ 0,8 pp à 3,4%) en 2022 (après une révision nette déjà en 2021 de +1pt). L’activité serait plus vigoureuse en 2023 en UEMOA (6,7%, +0,6 pp par rapport aux prévisions d’octobre 2021) tout comme au Ghana (5,1%, +0,5 pp) et au Nigéria (3,1%, +0,4 pp).
A moyen terme, les perspectives restent solides. Pour certains producteurs d’hydrocarbures, des opportunités pourraient émerger
Les prévisions à plus long terme restent, à ce stade, globalement favorables en Afrique de l’Ouest.
La majorité des pays de l’UEMOA enregistreraient en 2025 un niveau de croissance supérieur à celui observé sur la période 2015-19 (cf. graphique n°5).
Graphique n°5 - Croissance du PIB (sélection de pays d'Afrique de l'Ouest, % )
Les producteurs d’hydrocarbures pourraient profiter de la relative proximité avec l’Europe
Quelle que soit l’issue de la crise en Ukraine, elle devrait avoir des conséquences sur le marché du gaz et du pétrole, surtout pour les fournisseurs du marché européen.
Actuellement, près de 20% des importations de GNL de l’UE et environ 5% de celles de pétrole et de produits pétroliers10 proviennent du Nigéria, dont la production est toutefois contrainte par des problèmes d’insécurité et de manques d’infrastructures. Mi-février, le Niger, le Nigeria et l’Algérie ont signé une déclaration commune pour relancer le projet de construction d’un gazoduc transsaharien en vue de connecter les champs gaziers nigérians au marché européen via les réseaux algériens. Evoqué depuis les années 1980, ce projet peine cependant à se matérialiser et son financement n’est pas assuré alors que la première partie du gazoduc (AKK au Nord du Nigéria) est toujours en cours de construction.
Le Sénégal développe également des infrastructures de production de gaz11 avec une mise en service attendue en 2023, pour approvisionner, dans un premier temps le marché domestique. A plus long terme, une partie de la production pourrait être dirigée vers les marchés étrangers, notamment européens. A ce titre la prévision de croissance pour le Sénégal a été révisé substantiellement à la hausse pour 2023 (+9,2% contre +5,5% anticipé par le FMI il y a 6 mois).
La Côte d'Ivoire a annoncé fin 2021 la découverte d’importantes réserves de pétrole et de gaz naturel au large de ses côtes à l'est du pays. Le gisement « Baleine » devrait être exploité à partir de 2023.
Le rôle de l’Afrique de l’Ouest dans la fourniture d’hydrocarbures pourrait donc augmenter, sous réserve que les projets soient financés et effectivement réalisés.
1 Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest : 8 pays de l’UEMOA + Nigéria, Ghana, Cabo Verde, Guinée Bissau, Liberia et Sierra Leone
2 Source International Trade Center- ITC, moy. 2017-2020
3 Indice FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture
4 Même si toujours plus modéré qu’il y a un an, post dépréciation du naira
5 Début avril plusieurs organisations, dont la FAO ont alerté sur l’urgence alimentaire en Afrique de l’Ouest notamment au Burkina Faso, Niger, Tchad, Mali et Nigéria
6 Source World Bank’s Food Price Crisis Observatory
7 Le Bénin n’est pas producteur de pétrole mais a une activité d’importation/ réexportation d’hydrocarbures.
8 Fitch et Moody’s, de B à B- et de B3 à Caa1, respectivement.
9 Avec une révision de +0,1pt pour l’année 2021
10 En volume, source Eurostat
11 Gisement Grand-Tortue partagé avec la Mauritanie