Après un repli en 2020 (-1,7 % en moyenne) une forte reprise est attendue au sein des pays émergents, de l’ordre de +6 % selon la Banque Mondiale. Cette reprise intervient dans un contexte de remontée des prix des matières premières et de hausse des échanges commerciaux.
L’ampleur du rebond masque néanmoins des disparités entre les pays, au regard notamment du potentiel de ces économies estimé avant la crise sanitaire. Seulement 43 % des économies émergentes renoueraient dès 2021 avec leur niveau de PIB prévalant avant la crise du Covid-19. Et seuls 7 % des pays retrouveraient leur tendance d’avant crise dès 2022.
Le risque sanitaire toujours présent, des marges de manœuvre monétaires et surtout budgétaires de plus en plus réduites conduisent à limiter encore dans un certain nombre de zones les perspectives de rattrapage du potentiel d’avant crise, contrairement aux économies avancées ou la Chine.
Le fort rebond au sein des économies émergentes masque de profondes disparités
Sur la période 2020-2021, la Banque mondiale table sur une croissance cumulée de +4,3 % au sein des économies émergentes et en voie de développement (1), toutefois, des grandes disparités subsistent. Une bonne partie d’économies émergentes ne renoueraient pas en 2021 avec leur niveau de PIB pré-crise (57 %, cf. pays en jaune à rouge sur la carte, 20,8 % du PIB du monde émergent, 8,4 % du PIB mondial).
De plus, la reprise s’avèrerait insuffisante pour faire converger à nouveau les pays émergents vers leur potentiel de croissance estimé avant la crise, à quelques rares exceptions (Chine, Turquie (2), Viêt Nam).
A horizon 2022, là où les économies développées auraient en moyenne retrouvé leur tendance d’avant crise, seule l’Asie de l’Est et du Sud-Est n’accuserait pas un écart significatif (perte de l’équivalent de 0,4 année de croissance en « rythme normal (3) » par rapport à l’estimation d’avant crise). L’Amérique Latine devrait perdre l’équivalent de 6,1 ans de croissance d’ici fin 2022 (4), la région MENA (Afrique du Nord et Proche Orient) 2,9 ans, l’Afrique Subsaharienne 1,8 an, l’Asie du Sud 1,4 an et les pays d’Europe et d’Asie centrale 0,8 an.
Si le tableau 1 ne remet pas en cause l’image d’un monde émergent à la croissance globalement plus rapide que les économies avancées, il traduit l’affaiblissement attendu au moins pour les deux prochaines années du potentiel d’un certain nombre de pays (5) face au choc sanitaire et une plus grande difficulté à en surmonter les impacts. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette hétérogénéité.
Le risque sanitaire : une menace persistante
Inégalités et retard des campagnes de vaccination
L’avancée des campagnes de vaccination est à ce stade très inégale entre les économies avancées et le monde émergent (cf. graphique 1). A l’exception de certains pays comme ceux du Golfe ou la Chine, les pays émergents accusent un sérieux retard, particulièrement en Afrique et ce en dépit des initiatives comme COVAX (6). La production de vaccins étrangers sur le marché local, comme au Brésil (Sinovac), pourrait mener à une accélération de la campagne de vaccination, une voie sur laquelle semblent s’engager plusieurs pays pour le S2 2021 (Argentine, Maroc, Egypte).
Nouvelles vagues et risque de reconfinement
Cette avancée encore très inégale rend le risque de réapparition de nouvelles vagues toujours important, en particulier avec l’apparition et la diffusion de variants de plus en plus contagieux. Ces situations ont notamment mené à la réintroduction de mesures de confinement partiel (Inde, Afrique du Sud, Maghreb) ou strictes (Malaisie) et repoussent les perspectives de rebond, en particulier dans certains secteurs des services et alimentent les comportements attentistes (Indonésie).
La situation sanitaire : un enjeu clé pour le tourisme
De façon plus générale la persistance de la circulation de l’épidémie limite encore fortement les possibilités d’ouverture des frontières et pénalise le rebond des activités particulièrement dépendantes de la mobilité internationale (tourisme). Des pays comme la Thaïlande ou la Tunisie, où le poids du tourisme demeure significatif (supérieur à 10 % du PIB), restent à ce stade fortement vulnérable à cette baisse de la mobilité internationale.
Aux E.A.U, une campagne de vaccination intensive (un des taux de vaccination le plus élevé au monde) donnent l’espoir d’un rebond de l’activité à l’occasion de l’Exposition Universelle 2020 reportée à 2021 (7).
Une hausse des prix des matières premières bénéfique pour certains, inflationniste pour d’autres
La menace d’un retour des pressions inflationnistes
Si la remontée des prix des matières premières (énergie, métaux non précieux, alimentaire) est une aubaine pour les pays exportateurs et une courroie de transmission importante du rebond vigoureux à l’œuvre ou à venir aux Etats-Unis, en Europe et en Chine, les effets négatifs inflationnistes dominent dans d’autre cas (cf. graphique 2). Effet également alimentés par la hausse du coût du fret, et parfois des phénomènes de pénurie.
Ces pressions inflationnistes s’ajoutent dans certains cas à celles liées à la dépréciation des devises (Turquie, Argentine, Brésil, Ethiopie).
Remonter les taux directeurs pour contrer l’inflation
Les pressions inflationnistes ont d’ores et déjà des conséquences en termes de relèvement des taux sur un certain nombre de marchés émergents (Turquie, Brésil, Russie ou Mexique fin juin). Les taux réels restent cependant dans la plupart des cas toujours très modérés et nettement plus faibles qu’avant la crise.
A l’horizon des prochains trimestres, un risque à surveiller est l’inflation américaine et le calendrier de remontée des taux de la Réserve Fédérale aux Etats-Unis, à même d’entrainer un durcissement des conditions de financement d’un certain nombre de pays émergents.
Des marges budgétaires limitées pour soutenir l’activité dans la durée
Forte sollicitation des finances publiques face à la crise
Les finances publiques ont été de façon générale fortement mises à contribution pour absorber une partie du choc liée à la crise sanitaire (stimulus fiscal de 3,6 % du PIB en moyenne dans le monde émergent en 2020 contre près de 10 % dans les pays développés, selon le FMI).
Par ailleurs, la majorité des pays ont pu bénéficier de conditions de financements assez favorables, dans un contexte de hausse de la liquidité mondiale et d’appétit pour le risque, profitant dans certains cas pour reprofiler la dette (Sénégal, Bénin, Ghana).
Des marges budgétaires désormais plus réduites
Les marges de manœuvre pour continuer de soutenir la reprise deviennent cependant de plus en plus étroites avec la hausse de l’endettement, qui prolonge parfois une dynamique élevée depuis plusieurs années. Le service de la dette publique externe en % du PIB a été multiplié par 1,5 en moyenne depuis 2015 (cf. graphique 3) et plusieurs pays affichent un niveau de vulnérabilité élevé (Angola, Tunisie, Mongolie).
L’initiative de suspension du service de la dette (ISSD) menée par le G20 (jusqu’à fin 2021 à ce stade) allège certes la charge pesant sur les pays éligibles (majoritairement en Afrique Subsaharienne) mais se montre insuffisante pour répondre au défi de l’endettement de certains pays (Ghana, Kenya par exemple).
Là où les économies avancées continuent d’actionner le levier budgétaire, via des plans de relance, pour garantir une reprise solide, le resserrement de la politique budgétaire devrait être plus prononcé pour ce qui concerne les pays émergents dès 2021.
Un contexte défavorable qui alimente le risque politique
Les pays dont les marges budgétaires et / ou monétaires se réduisent seront particulièrement vigilants à la montée du risque politique.
Le taux de pauvreté a globalement progressé à la suite de la crise sanitaire et devrait rester élevé à horizon 2022. Selon les dernières projections de la Banque Mondiale, les pertes de revenu par habitant en 2020 ne seront pas recouvrées d’ici 2022 dans près de 66 % des pays émergents et le taux de pauvreté dans les pays à faibles revenus (40,3 % avant crise) serait de 3,1 pts supérieurs au scénario pré Covid-19.
La dégradation de la situation économico-sanitaire provoque des mouvements sociaux importants (Colombie, Brésil, Oman). D’autres pays font également face actuellement à des tensions politiques, sans qu’il y ait de lien direct avec la crise du Covid-19 (Myanmar, Algérie), qui pèsent sur leurs perspectives de croissance.
Si l’optimisme est de mise sur la force du rebond pour l’économie mondiale dès 2021, la capacité de rebond à court terme d’un certain nombre d’économies en développement ou émergentes est encore limitée par un risque sanitaire toujours présent et des marges de manœuvre notamment budgétaires plus limitées pour soutenir le rebond de l’activité. Avec des forts contrastes entre zones (rebond plus dynamique anticipé en Asie) comme au sein même des grandes zones géographiques (Afrique de l’Ouest vs Afrique australe) A ce titre, la généralisation des campagnes de vaccination est le principal facteur qui pourrait contribuer à améliorer les perspectives et revoir à la hausse les scénarios, comme cela a été le cas pour les Etats-Unis et l’Europe au cours des derniers mois.
(1) Contre +0,7 % dans les économies avancées.
(2) En Turquie le potentiel de croissance anticipé était dégradé.
(3) La moyenne de la croissance du PIB entre 2017 et 2019.
(4) La croissance avant crise était particulièrement faible dans la zone (0,9 %/an). En prenant la croissance moyenne initialement anticipée pour 2020-2022 (2,3 %/an), l’écart de PIB aujourd’hui anticipé en 2022 par rapport à sa tendance d’avant crise serait de 2,5 années de croissance environ.
(5) Seulement dix pays émergents renoueraient avec leur tendance d’avant crise d’ici 2022.
(6) Objectif de fournir 2 Mds de vaccins en 2021 de manière équitable dans le monde.
(7) Cible de 12 à 16 millions de visiteurs, 60 à 80 % de la cible pré Covid-19.
Un article de Victor Lequillerier, responsable Risque Pays