Les élections en 2024 dans les pays émergents, influencées par un contexte économique mondial incertain, représentent des enjeux élevés à l'échelle locale, régionale et mondiale, comme en témoignent les récents scrutins en Argentine et à Taïwan. En 2024, plusieurs pays émergents organiseront des élections, présidentielles et / ou législatives (cf. tableau). Selon leur contexte, elles pourraient entraîner des conséquences économiques plus ou moins sévères et accentuer, dans certains cas, les risques politiques.
Des élections aux enjeux internationaux importants
Les élections américaines en toile de fond
Les élections présidentielles aux Etats-Unis, qui se tiendront en novembre 2024, pourraient avoir des implications majeures pour un certain nombre de pays émergents, avec les réorientations possibles de la diplomatie américaine sur plusieurs dossiers clés, comme celui du conflit en Ukraine.
L’ancien Président D. Trump a ainsi déclaré qu’il mettrait fin au conflit « en une journée ». Un tel basculement serait probablement perçu comme plutôt favorable à V. Poutine, dont la réélection pour un 6e mandat à la tête de la Russie en mars 2024 fait peu de doute. Un résultat en faveur de J. Biden ou d’un candidat sur une ligne proche de ce dernier, pourrait au contraire accentuer la pression sur l’économie russe, dont la résilience pourrait être mise à l’épreuve par l’atténuation du soutien budgétaire post élection et par une modération des cours des hydrocarbures.
Au Venezuela, alors que le gouvernement américain a récemment annoncé une levée temporaire de sanctions (touchant le secteur du pétrole, du gaz et de l’or), le gouvernement de N. Maduro s’est engagé à tenir des élections libres. Des doutes subsistent néanmoins quant au respect de cet engagement1. Ces élections auraient lieu au 2nd semestre 2024 et le bon déroulement du scrutin conditionne notamment le dégel des avoirs vénézuéliens à l'étranger. La suspension des sanctions devrait permettre au Venezuela d'augmenter sa production pétrolière, dont une grande partie serait destinée aux raffineries américaines, permettant ainsi au gouvernement Biden de contenir les prix de l’essence avant les élections de fin 2024. Dans ce contexte, un éventuel retour de D. Trump ne serait pas de nature à remettre en question l’ouverture américaine à l’égard de ce pays. Néanmoins, le contexte électoral pourrait entrainer des incertitudes avec de potentielles conséquences sur les cours pétroliers.
Mais l’impact le plus attendu des élections américaines concerne la relation entre la Chine et les Etats-Unis2, qui s’est durcie et a entre autres conduit sur les dernières années à une réorientation assez importante des flux d’échanges commerciaux entre les deux pays (cf. graphique ci-dessous).
Stabilité politique à court terme à Taïwan, mais des tensions persistantes à moyen terme
A Taïwan, le résultat des urnes du 13 janvier plaide pour un statu quo. W. Lai, le candidat du DPP, parti pro indépendance à la tête du pays depuis huit ans, a été élu Président. Le KMT, parti d’opposition favorable à un rapprochement avec la Chine, a remporté le plus grand nombre de sièges au Parlement et ferait ainsi contrepoids à une éventuelle tentative de réformes en faveur de l’indépendance vis-à-vis de la Chine, issue inenvisageable pour cette dernière.
Le statut de Taïwan cristallise une partie des tensions entre la Chine et les Etats-Unis. Si des craintes d’une invasion chinoise de Taïwan ont refait surface depuis 20223, un tel scénario semble peu probable à court terme, sans être pour autant écarté à plus long terme4. Son impact serait mondial mais d’une ampleur difficilement mesurable et qui dépendrait du degré d’implication militaire des différents belligérants.
Une intensification des interventions militaires chinoises dans les eaux taïwanaises perturberait à terme le trafic maritime dans le Détroit de Taïwan, où passent près de 50 % des navires porte-conteneurs, selon Bloomberg. Une invasion chinoise s’accompagnerait de sanctions des Etats-Unis et de ses alliés (limitation des exportations de composants électroniques par exemple), auxquelles la Chine pourrait répliquer (interdiction d’exportation de métaux critiques par exemple), ce qui affecterait particulièrement les chaines d’approvisionnement, notamment les semi-conducteurs, pour lesquels Taïwan joue un rôle pivot5. Une détérioration du risque sécuritaire pourrait également mener à une baisse des investissements étrangers à Taïwan et en Chine, voire à des cessions d’actifs préjudiciables à la stabilité financière de ces pays. Une situation qui semble déjà peser sur les flux d’IDE entrants à Taïwan et expliquer en partie6 la tendance baissière observée en Chine (cf. graphique ci-dessous).
En Inde, les élections prévues au printemps n’impliqueraient pas de rupture et le pays devrait continuer à tirer profit du contexte géopolitique incertain
Le premier Ministre indien N. Modi et son parti, le Bharatiya Janata Party (BJP) sont en effet bien positionnés pour remporter un 3e mandat de 5 ans, favorisé notamment par la fragmentation des partis de l’opposition et une cote de popularité toujours élevée. Dans ce contexte, le gouvernement devrait poursuivre ses réformes structurelles et politiques industrielles visant à renforcer l’attractivité du pays et à favoriser le tissu industriel local, avec l’objectif de se positionner en tant qu’alternative à l’industrie chinoise (Cf. flash éco : L’Inde peut-elle détrôner la Chine ?). L’ouverture progressive du pays à l’investissement étranger via notamment l’assouplissement des règles en matière d’IDE devrait se poursuivre7, malgré une tendance protectionniste encore dominante en Inde.
Certaines élections se dérouleront dans un climat économique et social difficile
Des perspectives de croissance à court voire long terme très dépendantes des résultats de scrutins ?
La situation économique de l’Afrique du Sud pâtit depuis plusieurs années de difficultés structurelles (défaillances dans la production d’électricité, chômage), mais aussi d’un environnement international peu porteur. La croissance du PIB devrait être inférieure à +2 % en 2024, un niveau insuffisant pour un pays où la pauvreté touche 20 % de la population et dont le déficit budgétaire ne cesse de se creuser. La déception de la population est grande face aux réalisations du parti historique, l’ANC, auquel est également reproché le manque de progrès en matière de lutte contre la corruption. La victoire du parti de N. Mandela en mai prochain reste néanmoins le scenario le plus probable. Mais la possible perte de sa majorité à l’Assemblée impliquerait la formation d’une coalition, qui pourrait ralentir encore la mise en œuvre de réformes pourtant cruciales pour l’avenir économique du pays et aggraver les frustrations de la population.
Dans le cas de la Tunisie, la reconduite attendue du Président K. Saïed lors des élections d’automne interviendrait aussi dans un contexte socio-économique très dégradé8. Le pays a un besoin vital d’un accord financier avec les bailleurs de fonds internationaux, qui fait l’objet d’âpres négociations autour des réformes à mettre en place. Leur succès est plus que jamais incertain dans cette année électorale. En attendant, les maux de l’économie persistent (poids de la dette, inflation, pauvreté…).
Au Liban, la crise politique ralentit le processus de désignation d’un Président et la formation d’un nouveau gouvernement, qui conditionnent en partie le décaissement de l’aide internationale, vitale pour sortir le pays d’une crise économique profonde depuis 2019.
Les implications budgétaires seront importantes pour plusieurs élections
Au Ghana, qui a fait défaut fin 2022 et dont la dette est en cours de restructuration, la situation des finances publiques s’améliore mais reste dégradée9. La maitrise des dépenses est indispensable pour obtenir l’aide financière du FMI et redonner confiance aux investisseurs. Le mécontentement de la population, dont le niveau de vie s’érode, devrait profiter au principal parti d’opposition (NDC). Son candidat, l’ex-Président J. Mahama, devrait rester ferme sur l’objectif de restauration de la stabilité économique et financière du pays. Une majorité plus confortable à l’Assemblée pourrait par ailleurs favoriser la mise en œuvre des réformes indispensables pour sortir le Ghana de l’ornière du surendettement.
À l’inverse, le résultat des élections en Roumanie pourrait avoir des conséquences sur les efforts de consolidation budgétaire. Le pays est dirigé par une coalition de deux partis (PNL et PSD) dont les représentants se succèdent au poste de Premier Ministre tous les dix-huit mois. Le PSD, majoritaire à l’Assemblée et dont le représentant dirige actuellement le gouvernement, est traditionnellement plus favorable au soutien budgétaire. Il pourrait augmenter les dépenses à l’approche des élections de fin 2024 et ralentir la consolidation des finances publiques pourtant nécessaire au pays pour continuer à bénéficier des Fonds européens.
Au Pakistan, les affrontements se multiplient depuis 2022 post renversement et emprisonnement de l’ancien premier ministre I. Khan, ce qui a mené à la mise en place d'un gouvernement intérimaire en août 2023. Le pays n’est donc pas à l’abri d’une recrudescence des violences à l’approche des élections. La coalition au pouvoir, dirigée par la Ligue Musulmane (NAWAZ), bénéficie du soutien de l’armée et pourrait dans un tel contexte rester au pouvoir. Indépendamment du résultat des élections, face à la crise de la balance de paiements que traverse le pays, le soutien financier du FMI restera crucial pour éviter un défaut sur la dette externe souveraine du pays. La poursuite des mesures d’austérité (hausse successive du prix de l’électricité et du carburant, charges fiscales plus élevées...) est cependant source des tensions sociales importantes et aussi un risque pour la stabilité politique du pays.
L’attractivité des émergents pourrait être affaiblie par les résultats des scrutins
Certaines élections, dont l’issue est difficilement prévisible, couplées parfois à un environnement social sous tension, peuvent présenter une menace pour le climat des affaires. Une forte incertitude peut en effet contribuer à une forme d’attentisme de la part d’investisseurs nationaux et étrangers. Les élections suscitent également un vif intérêt lorsque les programmes des candidats semblent conformes à une évolution règlementaire pro business.
Au Sénégal, malgré le rebond de la croissance attendu en 202410, grâce notamment au lancement des projets d’hydrocarbures, les investisseurs devraient rester prudents compte tenu du contexte politique et social très tendu. Début février, le Président M. Sall a annoncé le report des élections prévues le 25 février, provoquant de vives réactions à travers le pays. Cette décision, justifiée par le Président notamment par des soupçons de fraude au sein de la Commission Electorale, divise la classe politique, y compris dans le camp présidentiel et accentue le mécontentement de la population, faisant craindre de nouveaux mouvements de violence comme ceux qui ont secoué le pays en juin 2023. Cette nouvelle crise politique fait peser des risques supplémentaires sur l’évolution économique du Sénégal en raison de ses potentiels effets négatifs sur la perception du pays par les investisseurs et son attractivité.
En Géorgie, ce sont moins les aspects économiques que la polarisation du paysage politique qui pourrait peser sur le climat social lors des élections d’octobre. La population, majoritairement pro-européenne, reproche au gouvernement ses positions trop conciliantes à l’égard de la Russie. Le pays a traversé une période de fortes tensions politiques avec la tentative de destitution (sans succès) de la Présidente S. Zourabichvili favorable à un rapprochement avec l’Europe. Le scrutin de l’automne 2024 pourrait maintenir au pouvoir le GD-DG, qui domine le paysage politique depuis une décennie, face à une opposition affaiblie. La persistance d’une instabilité politique et sociale pourrait toutefois peser sur l’attractivité du pays pour les investisseurs étrangers.
En Indonésie, l’issue des élections présidentielles de février 2024 est incertaine et la tenue d’un second tour en juillet semble très probable. Pour autant, une forme de continuité serait assurée concernant la lutte contre la corruption et la promotion des IDE (dans les activités de transformation des matières premières et de production de véhicules électriques).
Au Mexique en revanche, la candidate C. Sheinbaum du parti au pouvoir sortant (MORENA) est donnée favorite pour remporter les élections. Une politique plus active de promotion de l’environnement des affaires, de soutien aux initiatives de nearshoring est à prévoir.
D’autres élections pourraient se tenir en 2024 sans date précise ni certitude sur leur organisation.
Les élections prévues au printemps 2024 en Ukraine devraient être reportées en raison de Loi martiale en vigueur dans le pays depuis l’invasion du pays par la Russie en février 2022. Des scrutins pourraient être organisés au Mali, au Burkina Faso, en Irak et au Tchad, sans date précise à ce stade ni certitude sur leur tenue.
En conclusion, les élections de 2024 seront dans bien des cas des évènements qui devront faire l'objet d'une attention particulière dans le contexte macroéconomique volatile et incertain qui caractérisera cette année pour le monde émergent.
Vous trouverez plus de détails sur les pays mentionnés dans ce Flash dans les fiches pays situées à ce lien : Analyses Risques Pays | Bpifrance.
Notes de bas de page et annexe
1- Le gouvernement semble avoir trouvé un moyen de contourner son engagement en demandant à la justice d’invalider des candidats de l’opposition, comme M. C. Machado, jugés trop populaires.
2- Qui s’étaient détériorées pendant la guerre commerciale initiée par D. Trump, provoquant un repli des échanges bilatéraux en 2019 (exportations chinoises : -12 % ; -20 % pour les importations).
3- À la suite des pressions chinoises en 2022 (bombardements du Détroit de Taïwan, violation de l’espace aérien), les Etats-Unis ont renforcé leur soutien en promulguant le Taïwan Policy Act : allocation de 6,5 Mds USD d’assistance militaire et sanctions prévues en cas d’escalade.
4- Une invasion post 2027 est parfois mentionnée, ce que semble réfuter le directeur du conseil de sécurité taïwanais.
5- Plus du 1/3 de la production mondiale de puces électroniques et 92 % des puces logiques les plus sophistiquées selon Rhodium.
6- Différentiel de taux d’intérêt désavantageux, nearshoring, de-risking étant donné les évolutions règlementaires ou pour parer des potentielles sanctions, etc.
7- Depuis 2019, le gouvernement Modi a apporté des assouplissements dans plusieurs secteurs clés, dont les banques, les assurances, la pharmacie, les télécommunications, l’avion civile, entre autres, auxquels les étrangers peuvent désormais détenir 50% ou plus des entreprises nationales.
8- Taux de chômage de 15,6 % au T2 2023, inflation de +8,3 % au T4, taux de pauvreté national à 16,6 % en 2021 (Banque Mondiale).
9- Déficit public de -4,5 % du PIB en 2023 après -11 % en 2022.
10- +8,8 % après +4,1% en 2023 selon le FMI et la Banque Mondiale.
11- Désigné pour succéder au Président sortant M. Sall qui a renoncé à briguer un 3e mandat.