Les conséquences de la crise en Ukraine ont accentué la hausse des prix qui s’annonçait fin 2021 et pesé fortement sur la consommation en 2022 dans de nombreux pays africains. Le resserrement des politiques monétaires a également contraint les investissements et la reprise post-Covid en 2022. Malgré un environnement international peu favorable et surtout très incertain en 2023, l’activité résisterait en Afrique, avec des perspectives toutefois inégales selon les pays. Certaines économies se distingueraient, notamment en Afrique de l’Ouest et de l’Est. Les marges de manœuvre budgétaires se rétrécissent et le risque souverain globalement augmente. Les entreprises françaises, traditionnellement bien implantées sur certaines zones, continuent de voir leurs parts de marché à l’export s’éroder (au total passant d’environ 13 % en 2000 à 4% en 2021) même si l’implantation locale a elle nettement progressé.
La croissance post-Covid est sous contraintes mais peu révisée face à la guerre en Ukraine
Les pressions inflationnistes ont pesé sur la consommation privée, freinant ainsi le rebond de l’activité, après le choc lié au Covid.
Déjà forte en 2021 dans le contexte de reprise post-covid, la hausse des prix a accéléré en 2022. Les conséquences de la crise en Ukraine ont perturbé les approvisionnements, notamment d’énergie et de biens alimentaires. Des épisodes de sécheresse sévère (Afrique de l’Est en particulier) ou des inondations (Afrique du Sud, Nigéria) ont accentué les tensions sur les prix des biens alimentaires. Par ailleurs, la dépréciation de certaines devises a renchéri le coût des biens importés. L’inflation a ainsi dépassé 50 % au Ghana, 30 % en Ethiopie ou au Rwanda. Fin 2022, 45 % des pays d’Afrique enregistraient un taux d’inflation supérieur ou égal à 10 % (cf. graphique 1).
Graphique 1 : Taux d’inflation
Le resserrement des conditions financières, qui contraint les investissements, constitue un autre facteur de ralentissement des économies africaines en 2022.
Le relèvement des taux par la FED (+425 pb en 2022) et la BCE (+250 pb) ont provoqué une réallocation des capitaux au détriment des pays émergents, notamment africains. Afin de limiter ces sorties de capitaux et face à l’inflation, les banques centrales de la quasi-totalité des pays du continent ont à leur tour relevé leur taux de référence en 2022, très nettement pour certains (+1 250 pb pour le Ghana et l’Ethiopie), avec des conséquences sur la croissance.
Les exportateurs d’hydrocarbures ont néanmoins majoritairement bénéficié des cours mondiaux élevés.
L’Algérie, l’Angola et les pays producteurs de pétrole d’Afrique centrale ont vu leurs revenus d’exportation et fiscaux augmenter, soutenant leur croissance en 2022. Le Nigéria, dont la production est fortement contrainte par les vols, les sabotages et le sous-investissement, fait figure d’exception.
Certaines zones sont par ailleurs restées dynamiques en termes de croissance, portées par leur dynamique démographique et avec un soutien toujours important de plan d’investissements nationaux.
Plusieurs économies notamment en Afrique de l’Est (Rwanda, Kenya) et de l’Ouest (Benin, Côte d’Ivoire) ont ainsi enregistré un taux de croissance supérieur à 5%.
Au total, la croissance de l’Afrique sub-saharienne est estimée à +3,8% en 2022 par le FMI fin janvier, soit 0,1 point supérieur aux prévisions d’un an auparavant avant la guerre en Ukraine. Cela contraste avec les révisions parfois importantes de la croissance dans les pays avancés, Etats-Unis (-2 pts) ou Zone euro (-0,4 pt). La croissance s’inscrit également au-dessus de sa moyenne d’avant crise sanitaire 2015-2019 (2,8%).
En 2022, les marges de manœuvre budgétaires se sont de nouveau rétrécies
En 2022, les finances publiques ont encore été mises à contribution pour soutenir la croissance.
Les soldes budgétaires de nombreux Etats africains s’étaient dégradés en raison de la hausse de leurs dépense liées aux programmes de soutien mis en œuvre pendant la crise Covid. Pour limiter l’impact de l’inflation sur les ménages, en particulier les plus pauvres, de nombreux gouvernements africains ont subventionné en 2022 les prix de certains biens (énergie, biens alimentaires, engrais…). Des mesures d’allègement de taxes ont également été introduites en faveur de certains secteurs. Parallèlement, les recettes fiscales, traditionnellement faibles en Afrique , ont été davantage contraintes par le ralentissement de l’activité. Les soldes budgétaires se sont ainsi dégradés en 2022, en particulier dans les pays d’Afrique de l’Ouest (notamment au Bénin), où les plans de soutien ont été particulièrement importants (cf. graphique 2).
Graphique 2 : Soldes primaires(*) en 2022 et évolution 2019-22
Indication de lecture : pays situés dans la zone inférieure gauche : ceux dont le déficit était le plus élevé en 2022 (axe des abscisses) et s’est le plus dégradé entre 2019 et 2022 (axe des ordonnées)
(*) solde budgétaire hors charges d’intérêt de la dette
Le ratio d’endettement a par conséquent augmenté.
En 2022, 40 % des pays d’Afrique devraient enregistrer un ratio dette /PIB supérieur à 70 % (ils n’étaient que 15 % en 2015). Le niveau d’endettement (graphique 3) est particulièrement élevé en Zambie (119 % du PIB), au Mozambique (102 %), au Ghana (90 %), en Egypte ou en Tunisie (89 %). Il a nettement progressé depuis 2019 au Ghana (+28 pp), en Tunisie et en Zambie (+19 pp) ainsi que dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, en lien avec le creusement des déficits publics (Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Niger notamment).
Au-delà de la hausse du niveau d’endettement, la modification de la structure de la dette publique des pays africains accroît les risques. La progression du poids de la dette locale, le plus souvent à taux d’intérêt élevés et avec des maturités courtes, ainsi que celui de la dette obligataire, accentue les risques de refinancement dans un contexte de hausse des taux. Le poids du service de la dette s’alourdit, contribuant à dégrader davantage les budgets.
Graphique 3 : Dette publique/PIB (%)
Source : FMI, WEO Oct. 20
La croissance résisterait en 2023 avec des disparités selon les pays
La croissance est attendue résiliente en 2023 sur fond de modération de l’inflation et malgré un environnement mondial peu porteur.
Selon la Banque Mondiale , la croissance en Afrique serait stable, avoisinant 4 % en 2023, à contre-courant des perspectives pour le reste du monde (hors Chine). À titre de comparaison, l’Amérique Latine ralentirait nettement (+1,3 % après +3,6 % en 2022) et la croissance en Europe émergente et Asie centrale resterait atone (+0,1 % après +0,2 %).
L’inflation devrait s’atténuer. Même si les aléas géopolitiques restent forts, les cours des matières premières devraient être plus modérés en 2023 qu’en 2022, sans retomber néanmoins à leur niveau d’avant la crise Covid. Les pays exportateurs d’hydrocarbures et de minerais devraient en conséquence rester favorisés en 2023 mais sans bénéficier de flux de revenus aussi généreux qu’en 2022. Pour les pays importateurs nets d’énergie (surtout en Afrique de l’Ouest et de l’Est), la facture ne devrait pas continuer à se renchérir mais resterait néanmoins élevée.
Les perspectives sont hétérogènes selon les pays et les zones, avec un niveau d’incertitude élevé.
Les perspectives sont relativement plus dynamiques en Afrique de l’Ouest (hors Ghana et Nigeria) et de l’Est que dans les autres régions (cf. carte). Le degré d’incertitude entourant ces prévisions est toutefois important, s’agissant notamment de la situation en Ukraine et ses impacts sur la demande dans certains des principaux marchés d’exportation (UE, dans une moindre mesure Etats-Unis) ou sur les investissements internationaux. L’évolution de l’économie chinoise sera également déterminante pour les marchés internationaux des matières premières.
Carte : Prévisions de croissance 2023
Source : BM, Regional Outlook Janv. 2023
* FMI Oct. 2022
** Année fiscale
Afrique du Nord : le ralentissement européen menace la reprise
Les pays de la région, fortement dépendants de la zone euro pour l’export, de flux touristiques, d’investissements ou de transferts d’expatriés, devraient subir les conséquences de l’affaiblissement de la croissance européenne en 2023.
L’activité en Egypte devrait ralentir (de +6,6 % à +4,5 %), en lien avec une inflation et des taux d’intérêt élevés qui pèsent sur la demande interne alors que les marges budgétaires sont réduites. Le pays a obtenu un Programme d’aide du FMI qui devrait conduire à des réformes monétaires et budgétaires. Les activités liées au Canal du Suez, aux secteurs du gaz et du tourisme resteraient porteurs. La croissance en Algérie, qui avait bénéficié en 2022 de la hausse des cours des hydrocarbures (+3,7 %) devrait également ralentir en 2023 (+2,3 %), avec la diminution du soutien budgétaire. A l’inverse, la croissance du Maroc pourrait accélérer (de +1,2 % à +3,5 %) à la faveur du rebond de la production agricole (sous réserve de l’amélioration des conditions climatiques après la sévère sécheresse de 2022).
Afrique de l’Ouest : dynamisme plus marqué en zone franc.
Le Ghana, qui a suspendu le paiement d’une partie de sa dette extérieure en décembre 2022, devrait être contraint de réduire ses dépenses budgétaires pour respecter les exigences du FMI au titre de l’accord conclu en décembre . Sa croissance devrait ralentir en 2023 de l’ordre de 1 pp par rapport à 2022, à moins de 3 %. Le Nigéria, confronté à des difficultés de production de pétrole présente en outre des risques d’instabilité sociale et politique à l’approche des élections de février 2023. Le pays offre cependant des opportunités dans les secteurs hors hydrocarbures, en particulier la fintech et les TIC. En 2023, la croissance ne devrait pas dépasser 3 %.
En zone Franc (UEMOA ), l’activité devrait être soutenue par les investissements réalisés dans le cadre des plans de développement publics impliquant le secteur privé. Les projets concernent notamment les infrastructures (transports, énergie) mais aussi le secteur manufacturier (transformation agro-alimentaire en particulier). Le Sénégal place de grands espoirs sur le lancement de la production de gaz et de pétrole qui pourrait porter la croissance à plus de 8 % en 2023. En Côte d’Ivoire, l’atténuation des tensions politiques est également un facteur positif pour les investissements. Le PIB pourrait progresser de 6,8 % en 2023.
Les perspectives de la zone pourraient toutefois être limitées dans certains cas par un endettement élevé ainsi que la dégradation de la situation sécuritaire dans la zone Sahel.
Afrique australe : l’Afrique du Sud freine la croissance régionale mais la situation de l’Angola s’améliore.
Frôlant les +2 % en 2022, la croissance sud-africaine devrait continuer à ralentir autour de +1,4 % en 2023, victime notamment de difficultés persistantes d’approvisionnement en électricité. La relative amélioration de la situation budgétaire et d’endettement enregistrée en 2022 pourrait être remise en cause par la perspective des élections de 2024 et les revendications salariales du secteur public. L’Etat angolais a pu profiter de la hausse des revenus pétroliers pour récolter les fruits des réformes mises en œuvre depuis plusieurs années, avec une baisse marquée de l’endettement. L’activité du pays pourrait ralentir à +2,8 % en 2023 en l’absence de nouvelle hausse des cours et de la production de pétrole. Le défi de la diversification d’une économie très dépendante du pétrole reste à relever.
Afrique de l’Est : croissance positive mais encore contrainte par l’inflation.
La croissance devrait être relativement dynamique en 2023, mais restera contrainte dans plusieurs pays par un niveau d’inflation qui resterait élevé. Cela serait notamment le cas au Kenya (croissance de +5 % en 2023 après +5,5 % en 2022) où le nouveau Président Ruto, élu à l’été 2022, devra mettre en œuvre les réformes promises et négocier une restructuration de sa dette auprès de son créancier principal, la Chine. L’Ethiopie (+5,3 % en 2023 après +3,5 % en 2022), qui fait face à une forte inflation et un niveau très faible de réserves, pourrait bénéficier d’une amélioration de la situation au Tigré. Cette avancée pourrait également permettre de faire progresser les négociations de restructuration de sa dette au titre du « Cadre commun » FMI/G20.
Afrique centrale : croissance largement déterminée par les cours et la demande d’hydrocarbures.
Les pays de cette zone sont très dépendants des exportations de pétrole (majorité des pays de la CEMAC ) et de minerais (RDC, Rép. Centrafricaine, Congo). Outre une évolution des prix moins favorable qu’en 2022 et une demande mondiale qui pourrait ralentir, plusieurs pays sont confrontés à des difficultés de production (Congo, Cameroun en particulier).
La croissance de la zone CEMAC devrait s’établir autour de 3 % (3,2 % en 2022). L’activité devrait rester soutenue par les projets d’infrastructures au Cameroun (4,3 % après 3,8 %). Mais la situation dans les régions anglophones du pays reste très instable et la menace terroriste au Nord toujours présente. Au Gabon, où des élections générales sont prévues en 2023, le secteur du bois et la construction devraient tirer la croissance (3 % contre 2,7 % en 2022). Le Tchad est le premier pays à avoir obtenu un accord avec ses créanciers au titre du « cadre commun de restructuration », sous la forme d’un report d’échéances (et non réduction de sa dette). Sa croissance serait relativement stable, dans la moyenne de la zone (3,3 %).
La solidité de l’économie africaine en 2023 pourrait constituer une opportunité pour les entreprises françaises, qui voient leurs parts de marché sur le continent néanmoins s’éroder depuis 20 ans
Les exportateurs français ont vu leurs parts de marché à l’exportation fondre en Afrique depuis plus de 20 ans (4,1% en 2021 contre 12,9% en 2000), de manière plus marquée qu’au niveau mondial (2,9 % en 2021 contre 5,5 % en 2000). L’érosion concerne toutes les régions d’Afrique et va de pair avec une baisse du nombre d’exportateurs français de biens vers l’Afrique ces dernières années (−7 400 entre 2014 et 2021). En 2021, le poids de la France est le plus élevé en Afrique du Nord (environ 10%) et dans une moindre mesure en Afrique de l’Ouest et centrale (de l’ordre de 4,5%, graphique n°4).
Graphique 4 : Parts de marché françaises à l'export en Afrique
Les pertes de parts de marché françaises en Afrique concernent tous les secteurs, à l’exception de l’aéronautique et spatial pour lequel la France a par ailleurs bien mieux performé en Afrique qu’au niveau mondial (+15 pp entre 2002 et 2021 contre −1 pp, graphique n°5). À noter que la France reste néanmoins mieux positionnée en Afrique qu’en moyenne dans le monde sur la plupart des produits.
Graphique 5 : Evolution des parts de marché françaises à l'export par catégories de produits (entre 2001 et 2021, en pts)
L’érosion des parts de marché à l’export en Afrique, en grande partie au profit de la Chine (+18 pp entre 2001 et 2021), s’expliquerait pour partie par la stratégie d’internationalisation des entreprises françaises, qui repose sur le développement de sites de production hors de France (en Afrique ou ailleurs). En Afrique, cette dynamique se poursuivait sur les années avant crise sanitaire même si à un moindre rythme qu’il y a 10 ans. Le nombre de filiales françaises approchait 4100 en 2019 contre environ 3800 en 2016 et à peine 2 200 en 2010.
L’Afrique, l’une des seules zones où la croissance se maintiendrait en 2023, pourrait ainsi continuer à offrir des opportunités pour les entreprises françaises, tant pour leurs exportations que leurs investissements, dans un environnement néanmoins de risque en hausse, qu’il faut savoir maitriser.
1 Ratio Impôts/PIB estimé à 16 % en Afrique contre 22 % en Amérique Latine (source OCDE- Revenue Statistics in Africa 2022)
2 Prévisions publiées en janvier 2023
3 Octroi d’une ligne de financement (EFF) de 3 Mds USD sur 46 mois.
4 Ligne de financement de 3 Mds USD sur 3 ans.
5 Union Economique et Monétaire Ouest Africaine : Burkina Faso, Bénin, Côte d’Ivoire, Guinée -Bissau Mali, Niger, Sénégal.
6 Communauté Economique et Monétaire d’Afrique centrale : Cameroun, Congo, Gabon, Guinée Equatoriale, République Centrafricaine, Tchad