Exporter ou ne pas ne pas exporter, telle est la question. La réponse paraît claire au vu des résultats de l’enquête Bpifrance Le Lab « Au delà des frontières : l'export et les PME en 2024 », qui révèle que les PME exportatrices enregistrent en moyenne de meilleures performances que les non exportatrices. Pour autant, seules 23 % des PME comptent exporter en 2024. Si l’export est synonyme de performance, les ambitions à l’international font parfois face à des risques (volatilité économique et/ou politique, délais de paiement etc.), plus particulièrement dans les pays émergents. Il peut pourtant être opportun de persister, le monde émergent présentant un important relais de croissance et de nombreuses opportunités. Le taux de croissance de l’activité y est attendu plus de deux fois supérieur sur 2024-2025 que dans les pays avancés.
Des PME à l’export plus performantes, en particulier celles qui regardent au-delà de l’Union européenne
Selon l’enquête Bpifrance, 27 % des PME ont exporté au cours des cinq dernières années (dont 15 % régulièrement). La part s’élève à 54 % dans l’industrie. Les PME exportatrices enregistrent de meilleures performances que les non-exportatrices : croissance plus dynamique du chiffre d’affaires et carnets de commande plus garnis. Par ailleurs, elles sont plus innovantes : 41 % des PME exportatrices contre 14 % des non-exportatrices.
Si l’Union européenne (UE) est de loin la principale région visée par les PME comptant exporter en 2024 (par 88 % d’entre elles, 41 % de manière exclusive), 59 % prévoient d’explorer d’autres destinations, en recherche d’opportunités et de leviers de croissance. 42 % visent le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord, l’Asie, l’Afrique sub-saharienne et/ou l’Amérique latine. Toutefois, la quête de l’export fait parfois face à des obstacles, qu’il convient d’identifier et qui peuvent diverger selon les régions.
Des obstacles à surmonter pour atteindre les pays émergents
La complexité administrative fait partie des principaux obstacles relevés par les PME exportatrices
La complexité administrative ressort comme un obstacle à l’export de premier ordre, surtout en Afrique du Nord et Moyen-Orient (MENA), en Asie et en Amérique Latine. Outre les difficultés classiques liées aux échanges commerciaux (gestion des droits de douane par exemple), cet obstacle est intimement lié à la qualité du climat des affaires du pays avec lequel l’entreprise commerce, qui englobe le cadre juridique et règlementaire dans lequel s’effectuent les transactions.
Un environnement des affaires dégradé a longtemps été associé à des risques d’expropriations, notamment en Amérique du Sud. Ces dernières sont désormais peu répandues contrairement à d’autres formes d’entraves : lourdeur des démarches administratives, complexité du régime de taxe, règlementation défaillante pour l’exécution des contrats, etc. Les pays du MENA se caractérisent par exemple par un environnement des affaires de qualité faible à intermédiaire, à l’exception des Emirats Arabes Unis, qui se classent parmi les meilleurs pays au monde en termes de climat des affaires selon Doing Business. Toutefois, plusieurs pays multiplient les réformes pro business (Arabie Saoudite, Maroc) pour améliorer leur climat des affaires et ainsi développer certains secteurs et/ou être davantage intégrés dans les chaines de valeur mondiales.
Concernant les mesures restrictives à l’import, les barrières au commerce international se montrent particulièrement élevées en Amérique du Sud mais surtout en Asie1 selon la Commission européenne (cf. graphique ci-dessus). À titre d’illustration, depuis 2010, 26 % des nouvelles mesures commerciales restrictives contre les produits d’exportation français proviennent de Chine, selon Global Trade Alert.
Les délais de paiement, souvent cités par les PME, présentent une forte hétérogénéité selon les pays
Les risques liés aux délais de paiement apparaissent comme un obstacle notable à l’export dans plusieurs régions, en particulier en Afrique sub-saharienne (cité par 42 % des PME comptant y avoir une activité à l’export cette année).
Les données d’Allianz suggèrent que les comportements de paiement peuvent mener à des DSO2 structurellement longs dans certains pays (Maroc, Chine, Sénégal). La composante sectorielle peut également interférer, le cas de l’Arabie Saoudite étant par exemple révélateur de délais plus longs dans le secteur public. Un allongement des délais de paiement peut aussi survenir pour des raisons conjoncturelles, comme dans des pays confrontés à des pénuries de devises (cas de l’Egypte en 2023). La digitalisation des moyens de paiement devrait permettre de réduire les délais de paiement notamment en Afrique. Plusieurs systèmes de paiement instantanés, nationaux ou régionaux, ont été lancés notamment en Afrique de l’Est et australe ; un système continental (PAPSS)3 est par ailleurs en cours de déploiement.
Il faut toutefois avoir en tête qu’un allongement des DSO ne signifie pas forcément impayé ou défaut. Un aspect important, en particulier en Afrique subsaharienne. Au Sénégal, par exemple, les délais sont dans la moyenne haute mais le pays n’enregistre pas d’arriérés de paiement sur sa dette extérieure contrairement à la République Centrafricaine (arriérés supérieurs à 15 % du PIB) ou encore à la Zambie, qui a fait défaut sur sa dette externe. En revanche, la vigilance reste de mise pour 8 pays en situation de surendettement4.
L’incertitude et la volatilité incitent à la précaution
L’incertitude économique et/ou politique ressort aussi parmi les principaux obstacles cités par les PME visant les zones émergentes. Ces incertitudes prennent une variété de formes.
La volatilité économique est généralement liée aux orientations de politiques publiques. Dans certains cas, ces politiques peuvent générer de l’incertitude et des risques pour les entreprises : risque de change (Argentine, avec le projet de dollarisation de son économie), risque protectionniste (Algérie par exemple pour préserver les réserves de change) ou d’autres risques (concurrence déloyale avec les entreprises publiques domestiques pour les appels d’offres en Chine, etc.).
L’incertitude est également d’ordre politique. Le cas le plus emblématique étant celui de l’Iran où l’incertitude politique, concernant l’évolution des sanctions américaines, bloque en grande partie les financements à l’export vers ce pays. Par ailleurs, les récentes tensions en Mer Rouge illustrent bien les répercussions du risque sécuritaire, avec une hausse des délais de livraison et du coût du fret5. Les pays limitrophes de la zone du Sahel sont concernés par un risque sécuritaire fort, affectant les opérations commerciales dans ces pays.
Les pays émergents présentent des opportunités pour les PME françaises
Les économies émergentes, un relais de croissance
Selon le FMI, le taux de croissance de l’activité dans les pays émergents en 2024-25 devrait être plus de deux fois supérieur à celui dans les économies avancées.
Des perspectives de croissance porteuses en Afrique Sub-saharienne
L’activité devrait accélérer en Afrique sub-saharienne en 2024 (+3,8 % après +3,4 % en 2023) et 2025 (+4,0 %) malgré une croissance encore faible dans les trois plus grandes économies de la région (Nigéria, Afrique du Sud, Angola), attendue inférieure à la moyenne régionale. L’Afrique sub-saharienne enregistrerait en 2024 la croissance la plus élevée des zones émergentes après l’Asie de l’Est et du Sud. Sept économies de la zone auraient une croissance supérieure à 6 % en 20246, principalement des économies d’Afrique de l’Ouest (Niger, Sénégal, Côte d’Ivoire, Bénin notamment) et de l’Est (en particulier Rwanda, Ethiopie).
L’activité bénéficierait notamment de la baisse de l’inflation qui concernerait la majorité des pays. Le Niger et le Sénégal devraient de plus profiter des retombées du lancement de l’exploitation commerciale de leurs réserves d’hydrocarbures.
Les investissements devraient favoriser l’activité au Rwanda mais aussi au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Bénin ou au Togo, en lien avec la réalisation des plans de développement à long terme initiés par les Etats, qui devraient avoir un effet d’entrainement sur les investissements privés. La reprise du tourisme sera en outre favorable à plusieurs économies, notamment la Tanzanie.
Les secteurs en lien avec la digitalisation, les Télécommunications et technologies de l'information (TIC), devraient être porteurs dans ces pays, ainsi que ceux relatifs au développement des énergies renouvelables.
De nombreux aléas entourent toutefois les perspectives de croissance des États d’Afrique sub-saharienne : évolution de la situation géopolitique, des conditions et de l’accès aux sources de financement, ou encore des conditions climatiques.
Une zone MENA très hétérogène mais offrant des opportunités pour les PME internationalisées
Si les perspectives de croissance sont assez inégales au sein du MENA à court terme, elles semblent en revanche plus favorables à moyen terme, notamment dans les pays du Conseil de Coopération du Golfe (CCG)7. Malgré un ralentissement dans un contexte d’inflation et de risque souverain élevés à court terme, l’Egypte présenterait le taux de croissance le plus élevé (+5,1 % / an en moyenne à horizon 2029, selon le FMI).
La France bénéficie déjà de parts de marché significatives à l’export au Proche Orient dans l’aéronautique, la parfumerie ou encore les boissons8. Par ailleurs, les pays du CCG, engagés dans de vastes plans de diversification de l’activité, pourraient ouvrir de nouvelles opportunités. L’Arabie Saoudite se démarque avec le développement de plusieurs secteurs (transports, télécommunication, tourisme), ce qui pourrait se traduire par une hausse des importations de services aux entreprises et de biens d’équipement. Le développement des capacités de production d’électricité basée sur les énergies renouvelables (ENR) laisserait également entrevoir des opportunités avec par exemple le plan de décarbonation de 23 Mds USD aux Emirats Arabes Unis, où l’objectif de passer la part des ENR de 38 % à 53 % des capacités de production d’électricité au Maroc.
L’internationalisation se renforce également via l’implantation à l’étranger, et le MENA voit une présence accrue des entreprises françaises9, établies notamment en Turquie, en Tunisie, aux E.A.U et surtout au Maroc10, qui se situe au 4e rang, hors économies développées Le Royaume serait le premier bénéficiaire de la réduction des droits de douane dans le cadre de la ZLECAF, selon la Banque Mondiale. Dès lors, le Maroc pourrait devenir une rampe de lancement pour conquérir des parts de marché en Afrique.
Des perspectives d’ouverture en Asie synonymes d’opportunités à l’export
À court et moyen terme, l’Asie présente les perspectives de croissance les plus élevées au monde. Malgré un ralentissement de l’activité prévu en Chine, la croissance resterait soutenue (+3,8 % / an en moyenne sur 2024-2029, selon le FMI) où le poids de la consommation privée serait amené à augmenter. L’Inde et l’ASEAN5 continueraient d’enregistrer une croissance très élevée, (respectivement +6,5 % et +4,7 % / an en moyenne sur 2024-2029).
Les perspectives à l’export pourraient aussi bénéficier de l’aboutissement des négociations d’accords de libre-échange, notamment avec les pays de l’ASEAN511 (déjà un accord entre l’Union Européenne et le Viet Nam, en cours avec l’Indonésie, les Philippines et la Thaïlande). L’initiative Global Gateway de l’UE renforcerait ce potentiel, tant à l’export qu’à l’investissement, dans plusieurs secteurs12, dont les transports, à l’ère où les connexions ferroviaires se développent en Asie du Sud-Est.
Par ailleurs, plusieurs pays cherchent à profiter de la stratégie de de-risking13 vis-à-vis de la Chine pour attirer des investissements directs étrangers (IDE) et devenir des acteurs clés à l’international pour certains biens (équipements verts, automobile). Dans une volonté plus générale d’être davantage intégrés dans les chaines de valeur mondiales, plusieurs pays de la région (Inde, Indonésie notamment) multiplient les réformes afin d’améliorer leur climat des affaires et stimuler les IDE. Souhaitant développer son potentiel de croissance14, l’Inde met en œuvre de nombreuses réformes15 et développe sa politique industrielle.
L’Amérique latine : des atouts et opportunités pour la transition énergétique
Les perspectives de croissance de la région sont plus modérées que dans les autres zones émergentes avec une croissance pour 2024 prévue à +2,0 % (contre +4,2 % pour l’ensemble des émergents). Dotée cependant de vastes ressources énergétiques et minières, ainsi que d’une place de leader en matière d’énergies renouvelables, l’Amérique latine offre des opportunités immenses pour la transition énergétique. D’importantes réserves de minerais critiques pour la transition (lithium, cuivre nickel, terres rares, cobalt) y sont présentes. L’Argentine, la Bolivie et le Chili détiennent plus de 50 % de réserves prouvées de lithium au niveau mondial, le Chili et le Pérou sont les deux plus grands producteurs de cuivre au monde.
La part d’énergie renouvelable dans la production d’électricité est par ailleurs élevée (63 % contre 39 % au niveau mondial en 2022). De plus, les fortes capacités de production d’énergie solaire et éolienne pourraient permettre à la région de devenir leader mondial de la production d’hydrogène vert. Les projets se multiplient au Brésil et au Chili en particulier (13 sites de production et près de 70 projets en cours) avec un objectif pour le gouvernement chilien de figurer parmi les 3 plus grands exportateurs d’hydrogène vert d’ici 2040. Au Brésil, le climat des affaires en amélioration et le partenariat énergétique16 signé avec la France pourraient offrir des opportunités d’affaires pour les entreprises françaises, d’autant plus qu’au sein des émergents, le Brésil est en 2e position en termes de présence de filiales d’entreprises françaises derrière la Chine (1 156 filiales présentes en 2021).
1 Exceptions notables : Hong Kong, Singapour, Taïwan.
2 DSO : Days Sales Outstanding, délai moyen, en jours, entre l'émission d'une facture et son encaissement.
3 Pan African Payment and Settlement Systèm destiné à faciliter les paiements dans le cadre de la Zone de libre-échange (ZLECAF).
4 Congo, Ghana, Malawi, Sao Tome, Somalie, Soudan, Zambie, Zimbabwe
5 L’indice du cout du fret a gagné +306 pts sur l’axe maritime Méditerranée-Chine depuis les attaques de décembre 2023.
6 FMI, WEO Avril 2024
7 Arabie saoudite, Oman, Koweït, Bahreïn, Émirats arabes unis, Qatar.
8 Respectivement 30 %, 14 % et 11 % (moyenne 2017-2022).
9 3 8484 entreprises françaises implantées, deuxième zone la plus représentée dans le monde émergent derrière l’Asie, selon les données d’Eurostat (2020).
10 Principalement dans les services marchands et le secteur manufacturier, avec le secteur automobile et aéronautique.
11 Indonésie, Malaisie, Philippines, Thaïlande et Viet Nam.
12 Santé, éducation, ENR, économie digitale.
13 Actions consistant à atténuer l’exposition directe à la Chine en passant notamment par des pays intermédiaires pour servir le marché chinois.
14 3e puissance économique mondiale à l’horizon 2030 selon le FMI.
15 Programmes d’incitation à la production locale, investissements en infrastructures, ouverture d’entreprises aux investissements étrangers, programme d’assainissement du secteur bancaire local…
16 Un plan d’investissement de 1Md€ pour la protection de l’Amazonie ainsi qu’un programme de construction et de transferts de technologie de sous-marins à propulsion nucléaire ont été annoncés lors de la visite du président E. Macron au Brésil du 26 au 28 mars. Une collaboration entre les services de géologie brésilien et français pour la recherche et l’exploitation de d’uranium, dont le Brésil détiendrait la 5eme réserve mondiale, aurait également été conclu.