Les Zooms du Lab sont des études de cas d’entreprises ayant franchi le pas. Bpifrance Le Lab plonge dans l’univers d’une PME ou d’une ETI afin de donner des exemples d’actions concrètes à d’autres entreprises. Dans ce Zoom, nous traitons d’un sujet abordé dans l’étude Les Dirigeants de PME-ETI face à l’urgence climatique : comment mettre le climat au cœur de sa stratégie d’entreprise ?
L’entreprise Mecelec Composites est une PME industrielle cotée en bourse et implantée en Ardèche depuis 1976 (après sa création en 1934). Depuis 2009, elle a entamé une révision de ses systèmes de production et a intégré progressivement les enjeux environnementaux dans sa stratégie. C’est une entreprise qui transforme des composites thermodurcissables (polyester renforcé), avec des presses de 15 mètres de haut et des bâtiments historiques datant des années 1970 (autant dire des passoires énergétiques)
Mais comment une PME industrielle de ce type a pu mener une révision de ses activités pour intégrer une telle démarche environnementale ?
Grâce aux témoignages de Bénédicte Durand, directrice générale de Mecelec Composites, ainsi que sa responsable QHSE, Emilie Larochette-Hubert, nous vous proposons de découvrir un parcours marqué par une volonté forte et des prises de décisions importantes ponctuées de succès et difficultés à surmonter.
Une PME industrielle qui dessine sa transition écologique au milieu des vignes
Mecelec Composites opère dans l’industrie de la transformation de matériaux (polymères, composites) pour la production de pièces, sur la base de cahiers de charges établis par leurs clients, notamment pour l’aéronautique, l’automobile et le ferroviaire. Le produit le plus emblématique est la fameuse « colonne Morris » avec sa coupole art nouveau, fabriquée en partie avec des fibres de lin, qui affiche des publicités dans les rues de Paris (aujourd’hui en concession avec JCDecaux pour la ville de Paris qui souhaitait des colonnes recyclables et éco-conçues).
Bien que cotée en bourse, l’entreprise reste familiale, avec une présence de la nouvelle famille d’acheteurs (Mecelec Composites a été reprise en 2010) tant au capital qu’aux postes de dirigeants. Depuis 2014, Bénédicte Durand dirige en effet l’entreprise rachetée par son père.
La localisation de Mecelec Composites, en Ardèche, à côté du Rhône et de ses vignobles, est la toile de fond sur laquelle l’entreprise mène depuis quelques années sa transition écologique. Le respect de l’environnement est une valeur intrinsèque de la culture de tous les collaborateurs de l’entreprise. « Il suffit de regarder où se situe notre siège, au milieu des montagnes, des vignes et à côté du Rhône. C’est magique », explique sa directrice générale.
Et pourtant il aura fallu presque dix ans pour qu’une vraie stratégie se mette en place…
La mise en oeuvre de la stratégie RSE de Mecelec Composites : une démarche progressive et le choix de « circuits courts »
Au sein du groupe, le poste de responsable QHSE (qualité, hygiène, sécurité et environnement), en charge de la RSE, existe depuis 2018. Dans le projet de reprise, la RSE faisait partie intégrante de la stratégie.
Mais l’impulsion d’aller plus loin a été portée par le plan stratégique de 2016. La nouvelle dirigeante voulait valoriser ces politiques, mais aussi les mettre en cohérence. Il fallait un alignement entre volonté de transiter vers une entreprise plus durable, inclusive et des actions concrètes. Puis la communication externe devait être ajustée avec ces actions.
Cette démarche environnementale a été couplée à une démarche sociale (plus de mixité, prise en compte du bien-être du collaborateur, mise en place de la GPEC...) ainsi le vrai changement a eu lieu en 2017, grâce aux premiers résultats de la mise en place de la nouvelle stratégie.
Ces résultats ont été visibles dans les reportings annuels que Mecelec Composites complète, et qui mesurent les activités « ESG » (Environnemental, Social et Gouvernance). Avec son plan stratégique, Mecelec Composites s’engage en effet à répondre au questionnaire d’EthiFinance, GAIA. Ce reporting, qui s’adresse spécifiquement aux PME-ETI, mesure l’engagement stratégique et opérationnel de l’entreprise sur ces trois thématiques.
De plus, Mecelec Composites adhère au Global Compact (association qui propose des initiatives rattachées aux Objectifs de Développement Durable de l’ONU) pour nouer des relations avec d’autres entreprises engagées, et s’en inspirer.
En dépit de toutes ces étapes, Mecelec Composites ne souhaite pas instaurer un suivi spécifique de réduction de l’empreinte carbone, par exemple avec un bilan carbone visant à mesurer les émissions spécifiques de CO2. En effet, Bénédicte Durand préfère mener des actions dont l’ambition est de réduire le niveau des émissions, et particulièrement le choix des « circuits courts ». Elle privilégie la diminution des distances et l’optimisation de la chaîne logistique pour réduire les trajets, l’utilisation du carburant et l’exposition à des pays trop lointains.
« Le mauvais côté de la PME est qu’on est encore très opérationnels et le reporting passe après... d’où le besoin d’indicateurs »
Pourquoi Mecelec Composites n’a-t-elle pas opté pour un bilan GES (bilan des émissions de gaz à effet de serre) ?
"Ce n’était pas le bon moyen à notre échelle, car cela implique la construction d’un modèle complexe une usine à gaz", dit Bénédicte Durand. Toutefois des politiques existaient déjà, comme la Charte pour les déplacements privilégiant le train et le covoiturage, qui depuis 2010 et 2011 avait déjà donné lieu à des initiatives de covoiturage notamment dans les usines. De plus, les émissions directes de production ont été réduites grâce au remplacement des machines, en diminuant ainsi la consommation d’énergie.
« On a cherché des quick wins pour asseoir la stratégie, et on a laissé le bilan GES à moyen terme. »
Le pari fait est donc celui du local. En orientant les politiques d’approvisionnement et d’achat sur la France et l’Europe, Mecelec Composites a commencé à réduire son empreinte climatique. Selon la dirigeante, en raisonnant en "coût complet" (c’est-à-dire en incluant la prospection, la gestion réglementaire dans des pays hors UE et donc la complexité de la démarche, et le bilan carbone), on peut trouver presque tous les composants en France ou en Europe à coûts équivalents.
L’approvisionnement est donc à plus de 50% régional français (en région Auvergne Rhône Alpes) et parmi les achats, seuls les moules les plus lourds en acier viennent de Chine, principalement avec un retour en train, pour ensuite faire les mises au point en France. Ces moules, qui pèsent entre 20 et 40 tonnes, sont peu fabriquées en Europe.
La livraison de produits finis se fait par bateau quand les produits sont à l’international : 20 à 30% des marchandises sont exportées hors d’Europe. Le transport par bateau restant polluant, la dirigeante s’interroge sur la possibilité de s’implanter directement sur des marchés comme l’Inde, afin d’éviter ces longs trajets. Se pose la question, en revanche, de l’application des mêmes standards environnementaux et énergétiques dans des pays dont le mixe énergétique (à base de charbon en Inde) et les exigences en termes de RSE, ne sont pas au même niveau qu’en France.
De nombreux obstacles sur le chemin vers une stratégie plus verte
Mais ces dix dernières années n’ont pas été un « long fleuve tranquille ».
Le premier obstacle a été de convaincre le conseil d’administration en 2016 de la faisabilité et de la rentabilité d’une politique RSE ambitieuse. Ce passage en conseil d’administration peut s’avérer un frein si des résultats financiers tangibles ne sont pas démontrés : a minima il faut assurer que les démarches n’ont pas un impact négatif sur la performance financière.
Une autre difficulté importante dans la conduite de cette la démarche de Mecelec Composites a été le besoin de reporting. Des reportings financiers multiples, de plusieurs institutions financières, sans homogénéité dans la demande d’informations ni de standard commun, demandent des informations redondantes décourageant des dirigeants pressés. Le temps consacré à ces formulaires est un vrai irritant pour les dirigeants, malgré les bénéfices qu’ils peuvent en tirer.
Les investissements nécessaires sont parfois très importants : le groupe d’eau glacée plus performant et plus respectueux de l’environnement qui a remplacé l’ancien système a nécessité un investissement de 600 000 euros. Cet investissement aurait coûté le double si des performances environnementales encore plus hautes avaient été exigées.
Enfin, la dirigeante admet que malgré le fait d’avoir remporté un premier marché grâce à ses politiques plus « vertes », les clients en B-to-B restent encore très sensibles aux prix et rechignent à payer tout surcoût (confirmant le troisième frein constaté dans notre étude).
Quels bénéfices Mecelec Composites a tiré de ces démarches ?
Une organisation interne plus cohérente
Les politiques mises en place ont d’abord visé une cohérence globale, pour harmoniser les actions sur tout le cycle de production, de l’approvisionnement à la vente, au marketing et sans oublier la fin de cycle et les déchets.
Le premier bénéfice est, selon Bénédicte Durand, la fierté des collaborateurs : l’appartenance à une société responsable, à l’avant-garde sur plusieurs plans et cohérente entre la communication et la mise en pratique.
De plus, si le Conseil d’administration était resté dubitatif après le premier plan stratégique, leur approbation est venue suite non seulement à la grandissante notoriété des politiques RSE en France et dans le monde, mais aussi aux résultats tangibles que cette nouvelle stratégie était en train d’apporter.
Aujourd’hui le Conseil d’Administration a totalement accepté l’intégration du plan RSE dans le plan stratégique et continue à soutenir les propositions ambitieuses des dirigeants de Mecelec Composites.
Des succès tangibles économiquement
Le résultat le plus surprenant (et aussi le plus récent) a été la victoire d’un nouveau marché grâce au « différentiel vert » de Mecelec Composites. C’est avec étonnement et fierté que Bénédicte Durant raconte comment son entreprise a été sélectionnée : « Nous avons mis en avant, sans trop y croire, nos connaissances en écoconception et la capacité de produire en fibres naturelles (notamment la fibre de lin) et d’avoir des matériaux 100% recyclables. Cette capacité à faire nous a permis de gagner le marché. » Le personnel de Mecelec Composites a en effet suivi une formation en écoconception et une partie des produits peut désormais inclure des fibres naturelles et des matériaux recyclés.
C’est donc le positionnement concurrentiel qui s’améliore, avec une bonne visibilité client et le captage de nouveaux marchés B-to-B grâce à des démarches de « premier sur le marché ».
Cela s‘applique aussi aux clients historiques, qui savent que Mecelec Composites est en capacité de répondre aux exigences qui deviendront bientôt réglementaires ou bien sociétales, notamment le recyclage de ses produits et la production avec des matériaux bio-sourcés ou recyclés. Bien qu’ils ne soient pas encore prêts à payer plus pour des produits innovants, les clients maintiennent leur proximité avec Mecelec Composites, car elle sera utile une fois que les solutions plus écologiques deviendront la norme. Ce « différentiel vert » a donc renforcé la fidélisation des clients.
L’optimisation des cycles de production
La réduction des postes de consommations est aussi un résultat important et attendu. C’est du « bon sens » pour Bénédicte Durand, de s’attaquer « là où on fait de la déperdition énergétique ». Pas besoin de plan d’action et cela porte ses fruits :
Ainsi, entre 2017 et 2018, la facture gaz a diminué de 29 %. Comment ? En changeant notamment les aérothermes et en fermant les portes des ateliers s’appuyant ainsi sur la chaleur des machines. Aussi, l’augmentation de l’activité entre 2018 et 2019 n’a pas entraîné une augmentation proportionnelle de la consommation d’électricité, mais moindre, correspondant à une amélioration de l’intensité électrique grâce à la performance énergétique.
Certifications, notations et reporting : une visibilité essentielle pour les investisseurs et les clients
Enfin, la mise en place de reporting ESG a permis à Mecelec Composites de se comparer avec d’autres entreprises équivalentes et de pouvoir afficher son positionnement vis-à-vis de ses concurrents. Mecelec Composites s’est positionné à la huitième place sur 127 entreprises dans le classement des PME industrielles avec un CA inférieur à 150 millions d’euros.
Au-delà du classement, ce reporting régulier est vertueux pour l’entreprise : cela permet de collecter des données, de générer un référentiel et de nouvelles actions.
D’autres certifications et notations ont été nécessaires, comme Ecovadis, pour accéder à certains marchés, comme celui du ferroviaire. Ces certifications deviennent de plus en plus fréquentes. Bénédicte Durand regrette seulement qu’elles soient payantes et à la charge des PME, alors que le bénéfice n’est pas "interne" : ce type de certifications n’apporte pas un système certifiant, comme l’ISO par exemple, mais seulement un "droit d’accès" à certains clients qui les exigent.
Néanmoins, vu les bénéfices de l’application de plusieurs systèmes de reporting et des certifications, Mecelec Composites a décidé pour 2021 de se faire certifier ISO 14000 (système de management environnemental) et 26000 (liée à la RSE). C’est en cohérence avec les exigences imposées à certains de leurs fournisseurs : la Charte fournisseurs de l’entreprise exige des fournisseurs une certification ISO 9001 et la mise en œuvre d’une démarche RSE.
Facteurs de succès
Après la mise en place progressive des premières démarches énumérées plus haut, nous avons identifié d’autres facteurs de succès :
- L’embauche d’une responsable RSE a ensuite poussé la dirigeante à embaucher des alternantes des universités locales en Master Environnemental : le recrutement de ressources motivées de la jeune génération est un atout formidable dans la mise en place des démarches environnementales.
- La collaboration avec l’ADEME : grâce à la participation à différents réseaux, Bénédicte Durand a appris qu’il était possible de réaliser un bilan d’émissions de CO2 entièrement financés par l’ADEME. En 2021, Mecelec Composites bénéficiera de cette incitation pour mener son bilan GES et établir une feuille de route.
- La gouvernance familiale aurait eu un impact positif, selon la directrice générale, car les valeurs propres des actionnaires majoritaires étaient liées aux enjeux environnementaux.
- De même, l’attachement des collaborateurs à leur environnement est aussi un levier de démultiplication des initiatives et d’adhésion.
- Enfin, la volonté de la dirigeante d’être à l’avant-garde des dernières technologies ou initiatives en matière d’écologie, et d’anticiper les changements réglementaires (au lieu de les subir) a permis à l’entreprise d’avoir une stratégie constamment sponsorisée par son plus haut représentant.
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