Le 1er octobre 2023 a débuté de la phase de test du Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (MACF), avant son application effective à partir de 2026. Ce mécanisme vise à protéger la compétitivité sur le marché européen d’industries émettrices de gaz à effet de serre (métallurgie, cimenterie, industrie des engrais azotés, de l’hydrogène et de l’électricité) qui verront en parallèle une hausse de la tarification carbone, et ainsi limiter le risque de fuites de carbone (délocalisation de la production vers des zones où les normes environnementales sont moins strictes).
Néanmoins, en l’état actuel, le MACF ne permettra pas de protéger entièrement l’industrie de l’impact de la tarification carbone sur sa compétitivité, notamment s’agissant des activités à l’export hors-UE et les industries en aval des chaînes de production. Une exposition qui pourrait être plus forte dans le cas des métallurgistes et de certains équipementiers, plaidant pour un suivi attentif des impacts. Néanmoins, il accompagne l’industrie européenne sur un sentier où plus que jamais la décarbonation ira de pair avec la compétitivité. Le coût de cette transition nécessitera toutefois d’importants soutiens publics à l’investissement et l’innovation, d’ores et déjà à l’œuvre et qui devront se poursuivre dans les prochaines années.
Pour réaliser ses ambitions climatiques, l’Union européenne programme une hausse progressive de la tarification carbone pour l’industrie
L’impact du marché des permis à polluer européen sur la décarbonation de l’industrie est encore limité
En 2005, l’UE a adopté un système d'échange de quotas d'émissions de gaz à effet de serre (GES) visant à donner un prix à la tonne de GES émise par les industriels européens de certains secteurs clés à forte intensité d’émission (acier, aluminium, ciment, chaux, verre, céramique, pâte à papier, ammoniac, production d’électricité, compagnies aériennes etc.). Ce système aurait permis de réduire de 10 % les émissions des installations industrielles concernées entre 2005 et 20121.
La vitesse de décarbonation de ces secteurs est néanmoins encore insuffisante pour atteindre les objectifs. Dans la sidérurgie française par exemple, les émissions ont diminué de -1,5 %/an entre 2010 et 20192 contre -2 %/an environ attendue entre 2015 et 2030 par la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC 2).
Afin d’inciter à la décarbonation, l’UE va mettre fin aux permis à polluer gratuits, augmentant les coûts de production dans les secteurs concernés
Une des limites actuelles de la tarification carbone liée au système d’échange de quotas est la quantité de quotas gratuits disponibles pour les secteurs les plus exposés à des problèmes de compétitivité (cf. Rexecode). Ces quotas gratuits couvrent aujourd’hui la grande majorité de leurs émissions (graphique 1).
L’UE planifie désormais de faire disparaître les permis gratuits pour les usines produisant de l’acier, de l’aluminium, du ciment, des engrais (ammoniac notamment), et de l’hydrogène à partir de 2026, qui aura un impact sur les futurs coûts de production carbonés. Selon certaines estimations, à technologie constante, le coût des émissions carbone pourrait représenter en 2030 10 % du prix de vente actuel d’une tonne d’aluminium (vs seulement 1 à 2 % actuellement) et 20 % de celui d’une tonne d’acier (vs environ 4 %).
Graphique 1
Volume des permis gratuits relativement aux émissions effectives en France par branche (en million de tonnes de CO2)
La disparition des quotas gratuits sera toutefois très progressive afin de laisser le temps aux industriels d’adapter leurs processus de production
Pour les usines couvertes par le système de quotas, le coût des émissions augmentera au rythme du retrait de ces permis. Il débutera en 2026 et sera lent jusqu’en 2029. Il s’accélèrera à partir de 2030, jusqu’à un retrait total en 2034 (graphique 2).
Graphique 2 :
Part du contenu en CO2 des importations devant faire l’objet d’achat de certificats en 2026 et 2034
Le MACF réduit le risque de perte de compétitivité de l’industrie sans l’annuler
Le MACF vise à instaurer des conditions de concurrence égales sur le marché européen
Dans la perspective de cette hausse du prix du carbone, et afin d’harmoniser les conditions de concurrence sur le marché interne européen pour les produits concernés3, le MACF prévoit d’appliquer le prix européen du carbone aux émissions contenues dans les produits équivalents importés de pays hors-UE(cf. Encadré infra et le guide pratique pour les importateurs du Ministère de la Transition Énergétique).
Le MACF atténue l’impact de la suppression des quotas gratuits sur la compétitivité des industries européennes
Selon la Commission européenne, la réforme du SEQE se traduirait, en l’absence du MACF, par une baisse de 4 % de la production et de 3,8 % de l’emploi dans les industries concernées à horizon 2030 (relativement à un scénario sans retrait des permis gratuits et sans l’instauration du MACF) contre une variation comprise respectivement entre – 1,2 % et + 0,1 % pour la production et entre – 1,2 % et + 0,3 % pour l’emploi en présence du MACF. Mais l’impact de ce dispositif est encore incertain et les estimations divergent selon les institutions.
Les activités à l’aval des chaînes de production risquent de perdre en compétitivité
Le MACF ne compense pas la perte de compétitivité, sur les marchés à l’export hors-UE, des secteurs visés par la fin des quotas gratuits (cf. France Stratégie et Rexecode). Il ne compense pas non plus la perte de compétitivité des secteurs en aval consommant directement des produits soumis au MACF (peu importe le pays d’origine) ou s’approvisionnant en Europe en produits semi-finis ou finis. En effet, le MACF ne taxerait pas à ce stade le carbone incorporé dans la plupart des produits semi-finis à finis importés de pays hors UE. Par exemple, le contenu carbone de l’acier ne serait pas « taxé » s’il est incorporé dans une voiture importée. C. Bellora et L. Fontagné (2022) estiment ainsi que les exportations européennes de produits intermédiaires pourraient diminuer de près de 9 % à horizon 2040 (relativement à un scénario sans réforme). Les exportations de produits finaux se réduiraient de 6 %.
La perte de compétitivité à l’export serait néanmoins limitée pour les activités aval qui exportent vers un pays hors UE un produit transformé à base d’intrants couverts par le MACF. Dans ce cas de figure, l’intrant peut être importé sous le régime du perfectionnement actif, exonérant l’importateur du MACF. Ce régime comporte néanmoins des limites (nécessité de réexporter le produit hors UE, incitations à acheter des intrants hors UE).
L’impact de la tarification carbone sur la compétitivité varierait selon les secteurs et les probables révisions à venir du mécanisme
L‘impact de la hausse de la tarification carbone sur les secteurs dépendra in fine de plusieurs paramètres :
- le contenu en produits carbonés taxés,
- leur exposition aux marchés hors UE,
- le coût des modes de production alternatif moins carbonés (donc moins taxés) et/ou la capacité à absorber des hausses de coûts (via leurs marges).
En amont de la chaine de production, l’acier et l’aluminium paraissent les plus directement exposés
À titre d’exemple, si l’intensité carbone du ciment est élevée, les enjeux liés à la compétitivité hors UE (angle mort du MACF), sont plus importants pour la production d’acier primaire et ses premières transformations. En effet, 19 % de la production est exportée hors UE (contre 5 % pour les matériaux de construction, cf. tableau). Le risque pour ces secteurs est d’autant plus important que leur taux de marge est relativement faible (11 % de la valeur ajoutée en moyenne entre 2015 et 2019, contre 26 % dans la fabrication des matériaux de construction et 34 % dans la chimie de base/engrais, cf. tableau).
Tableau :
Taux de marge moyen (en % de la valeur ajoutée) et part de la production française exportée hors UE, entre 2015 et 2019
En aval des chaines de production, le risque est plus difficile à apprécier mais est présent : les industries d’équipements électriques et de machines-outils peuvent par exemple combiner exposition aux marchés hors UE et contenu en intrants taxés
Les achats de produits issus de la métallurgie représentaient, en 2019, un quart des achats de matières dans l’industrie des équipements électriques et des machines et équipements (contre 12 % en moyenne dans l’industrie manufacturière) captant 17 % de la valeur de la production marchande dans les deux secteurs (contre 8 %), avec en parallèle une forte exposition au marché hors UE.
Certaines de ces industries sont aussi très exposées à la concurrence sur les marchés extra-communautaires : près d’un quart de la production française de machines d’usage général et de machines-outils est exportée hors-UE, et un tiers de celle d’équipements d’irradiation médicale. Les équipementiers automobiles sont quant à eux un peu moins exposés, 12 % de la production étant exportée hors-UE. Cette analyse à un niveau agrégé masque toutefois une exposition à un risque de perte d’activité très hétérogène selon les entreprises (la proximité géographique de certains fournisseurs de pièces peut primer sur le coût des pièces par exemple).
La révision probable du mécanisme d’ici 2025 pourrait modifier ce diagnostic sectoriel
Face aux incertitudes précitées, la possibilité d’introduire des modalités au mécanisme afin de limiter la hausse du coût du carbone pour les produits exportés hors-UE, compatibles avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), sera étudiée d’ici fin 2025.
Le MACF pourrait en outre être étendu, d’une part au reste des industries soumises au SEQE (verre, chimie, céramique etc.), et d’autre part aux émissions indirectes liées à l’utilisation de l’électricité.
La décarbonation des industries lourdes est essentielle mais pourrait être coûteuse et implique de forts besoins d’investissement
La tarification carbone donnera un avantage compétitif sur le marché européen aux installations à faibles émissions
La fin progressive des permis à polluer gratuits couplée à la mise en place du MACF engage l’industrie lourde européenne sur le chemin de la décarbonation. L’intensité carbone de ces installations déterminera de plus en plus la compétitivité de ce type de production sur le marché intérieur. Ces enjeux sont à ce stade concentrés sur un nombre restreint de sites. La décarbonation des 50 sites les plus émetteurs contribuerait pour moitié à la réalisation de l’objectif de réduction des émissions de l’industrie, selon le plan de répartition de l’effort proposé par le Secrétariat Générale à la Planification Ecologique (SGPE). S’agissant de l’acier, plusieurs projets de décarbonation sont lancés en France (usines de Dunkerque et de Fos-sur-Mer d’ArcelorMittal, GravitHy à Fos-sur-Mer).
L’Etat s’arme d’outils pour accompagner les industriels dans leur long et coûteux processus de décarbonation
La décarbonation de la métallurgie se ferait pour l’essentiel après 2030. Selon les trajectoires de réduction des émissions annoncées par ArcelorMittal et Aluminium Dunkerque, tenant compte des projets de décarbonation annoncés récemment, entre 60 % et 70 % du niveau actuel de leurs émissions resteraient à abattre après 2030, un rythme de baisse des émissions un peu plus lent que celui du retrait des quotas gratuits.
Les besoins d’investissements nécessaires seront importants comme le montrent les travaux de I4CE ou le résultat des consultations sur la décarbonation des 50 sites industriels. Dans ce contexte, l’Etat soutient activement les plans de décarbonation dans l’industrie. Sur les 5,6 Md€ dédiés à la décarbonation, le plan France 2030 prévoit 4 Md€ de soutien pour la décarbonation des 600 sites français de l’industrie lourde soumis au SEQE. 1 Md€ sont dédiés au déploiement des technologies matures dans l’ensemble du tissu industriel. En outre, la loi Industrie Verte prévoit un crédit d’impôt pour les entreprises qui investissent dans les industries vertes (batteries, énergies vertes), et développe des outils afin de mobiliser l’épargne privée (financements supplémentaires estimés à 5 Md€). Dans ce contexte, Bpifrance et l’Ademe proposent un continuum de dispositifs pour soutenir la décarbonation.
Les technologies décarbonées réduisent le coût du carbone mais leur coût opérationnel reste incertain, avec comme paramètre important l’accès à une énergie peu chère et décarbonée
Des travaux de la Commission européenne comparent le coût de production de l’acier vert fabriqué à partir de technologies décarbonées au coût de production de l’acier fabriqué à partir des technologies actuelles et qui incorporent un coût du carbone. En 2050, le coût de production de l’acier vert pourrait être jusqu’à 60 % supérieur au coût lié à l’utilisation de la technologie carbonée actuelle. Mais le coût de production de l’acier vert sera principalement déterminé par le prix de l’énergie verte utilisée pour la faire fonctionner (comme l’hydrogène décarboné), qui reste très incertain, soulignant là encore un autre enjeu important du futur de la compétitivité industrielle européenne.
La décarbonation des processus industriels et de l’énergie sera de plus en plus déterminante pour la compétitivité
Le MACF dans sa version actuelle pose encore un certain nombre de questions sur la couverture du risque de compétitivité de l’industrie à l’heure où la tarification carbone deviendra de plus en plus contraignante dans les prochaines années. Néanmoins, il acte l’importance de la décarbonation comme fondement de la compétitivité sur le marché interne européen à l’horizon de la fin de la prochaine décennie. Pour réussir cette transition, les besoins en investissement et en innovation dans les processus industriels, dans un parc énergétique décarboné, seront cruciaux. Au sein des TPE, PME et ETI françaises, cette nécessité d’investir dans la décarbonation a trouvé un écho. En quatre ans, la part des TPE/PME citant ce motif comme destination de leurs investissements a doublé, pour atteindre 40 % au printemps 2023. Mi-2022, 61 % des PME (10 à 249 salariés) envisageaient d’accroitre leurs investissements destinés à leur transition à horizon 5 ans, et 70 % des ETI (78 % pour les ETI industrielles).
Explication du fonctionnement du MACF
Comment fonctionne le MACF ? Exemple d’un industriel français qui importe des barres d’acier chinoises. Chaque tonne de CO2 importée par l’industriel français, via ses importations de barres d’acier chinoises, devra se traduire par l’achat d’un certificat auprès d’une autorité nationale (Direction Générale de l’Energie et du Climat, DGEC), au prix moyen hebdomadaire fixé sur le marché des quotas.
- Entre le 1er octobre 2023 et le 31 décembre 2025, l’entreprise devra seulement déclarer le contenu carbone des barres d’acier importées, sans acheter de certificats (le rythme des déclarations sera trimestriel).
- À partir de 2026, elle devra payer une proportion de ce contenu carbone importée équivalente à la part des émissions que payent les fabricants européens des barres d’acier. Le volume de certificats que devra acheter le fabricant français augmentera donc progressivement, au rythme du retrait des quotas gratuits. Le rythme des déclarations sera annuel.
- À partir de 2034, ce fabricant français paiera l’intégralité du contenu carbone de ses imports.
Exemple numérique : si le fabricant français importe 100 tonnes d’acier chinois contenant au total 220 tonnes de CO2, il devra alors acheter auprès de l’autorité nationale 220 certificats. Si, au moment de l’opération, les permis d’émissions du SEQE s’échangent au prix de 80 € la tonne de CO2, alors le coût de l’opération s’élèvera à 220 x 80 €, soit 17 600 €.
DATES CLES DU MACF
- Octobre 2023 : inscription sur la plateforme MACF afin d’enregistrer chaque trimestre la quantité de carbone importée ;
- 31 janvier 2024 : date limite de la première déclaration des émissions importées au quatrième trimestre 2023 ;
- 1er janvier 2025 : ouverture des demandes d’autorisation « Déclarant MACF » (demande d’autorisation obligatoire) ;
- 1er janvier 2026 : début du fonctionnement effectif du MACF avec l’obligation, à partir de cette date, de détenir une autorisation « Déclarant MACF ». Avant le 31 mai de chaque année, le fabricant devra déclarer à l’autorité nationale (DGEC) le contenu carbone des importations réalisées l’année précédente et restituer l’ensemble des certificats associés à ce contenu importé. Les déclarations seront annuelles.
- Mai 2027 : 1ère déclaration MACF au titre des importations effectuées en 2026.
(1) A. Dechezleprêtre et al. (2023).
(2) Citepa
(3) Et certains produits semi-transformés (très intensifs en acier/aluminium notamment), cf les codes douaniers listés ici