L’industrie française s’est fortement contractée au printemps 2020 (baisse de près de 40% de la production manufacturière entre février et avril 2020) avant de rebondir tout aussi fortement et retrouver un niveau proche de celui d’avant crise début 2022. Au regard de ces évolutions, la crise sanitaire n’a pas entrainé de choc de désindustrialisation comme après la crise financière de 2008-2009.
La reprise de l’activité industrielle en France, comme en Allemagne, a été cependant plus faible qu’en moyenne dans la zone euro, et s’est traduite par des pertes de parts de marché à l’exportation significatives au sein de l’Union monétaire entre 2019 et 2021 (−1,1 pt et −0,8 pt respectivement).
Ces économies ont été pénalisées par l’aéronautique et l’automobile, des secteurs loin d’avoir retrouvé leurs niveaux d’avant crise ; d’autres pays ont en revanche profité d’une demande accrue sur leurs secteurs de spécialité (pharmacie pour la Belgique, biens d’équipement pour les Pays-Bas, tous deux gagnant 0,6 pt de parts de marché). Un rééquilibrage pourrait progressivement s’opérer.
L’industrie française a en outre rebondi moins fortement que la moyenne européenne sur la plupart des secteurs, se traduisant par un recul des parts de marché à l’export sur un grand nombre de produits. Les enjeux de compétitivité restent donc primordiaux et passeront, pour les PME françaises, par l’amplification d’un effort puissant et continu en faveur de l’innovation et de la digitalisation, récemment alimenté par les plans « France Relance » et « France 2030 ».
La production manufacturière française a rebondi fortement après le choc lié à la crise sanitaire, un scénario très différent de la dernière crise financière
La production manufacturière française s’est sévèrement contractée au printemps 2020
Elle a baissé de près de 40% entre février et avril 2020 avant de rebondir fortement. Elle s’inscrivait en février 2022 4 % sous son niveau de début 2020, soit avant la crise sanitaire. Ce scénario est très différent de celui de la crise financière de 2008-2009, où le recul de la production manufacturière avait été bien plus marqué et durable (cf. graphique 1). La production restait cependant encore très fortement limitée début 2022 dans l’automobile (−21 %) et l’aéronautique (−25 %).
Graphique 1 : Evolution de l'indice de production manufacturière française (Source : Insee)
L’emploi salarié manufacturier est proche de son niveau deux ans auparavant
La baisse de l’emploi salarié manufacturier s’est avérée limitée (−2% en 2020) pour revenir à 1 % de son niveau d’avant crise fin 2021 (soit −37 600 emplois). Il s’agit d’une rupture après le léger rebond de l’emploi industriel entre 2017 et 2019 (+27 000), qui avait interrompu la baisse précédente (−171 000 entre 2011 et 2017). La baisse, plus faible que celle de la production, et bien moindre que lors de la dernière crise, traduit un repli de la productivité apparente du travail, tendance déjà perceptible avant crise.
L’automobile (−7 % soit −13 400 emplois entre le T4 2019 et le T4 2021), les autres matériels de transport (dont aéronautique, −3 % soit −4 300 après +8,4 % les deux années précédentes), la métallurgie (−5 %, −18 300), la fabrication d’équipements électriques et électroniques (−3 %, soit −11 700 emplois) ont connu les reprises les moins dynamiques.
Graphique 2 : Évolution de l’emploi salarié total et manufacturier en France (base 100 au T4 2019)
(Sources : Insee, calculs Bpifrance)
Le rebond de la production industrielle française, tout comme allemande, a été plus lent que la moyenne de la zone euro
La situation est disparate au sein des grandes économies de la zone euro
La production manufacturière en Allemagne était fin février toujours inférieure de 4 % à son niveau de début 2020, quand l’Italie comme l’Espagne l’avaient à peu près retrouvé (resp. +0,4 % et −1,0 %, cf. tableau). Les Pays-Bas et la Belgique ont en revanche affiché un rebond bien plus net (+10 %).
Tableau : Évolution de la production manufacturière en zone euro entre février 2020 et février 2022
(données lissées sur les 3 derniers mois, variation en %)
Certains pays ont profité d’une spécialisation dans des produits dont la demande a été renforcée dans le contexte de crise sanitaire, quand ceux plus spécialisés dans les matériels de transport ont été pénalisés
La Belgique et les Pays-Bas ont particulièrement profité de la forte demande pour leurs secteurs de spécialisation en phase de reprise post Covid : produits pharmaceutiques pour la Belgique (+130 % de production en deux ans, se traduisant également par des exportations de ces produits en hausse de 13 % en 2020 et d’environ 40 % en 2021) ; biens d’équipements (+55 %) et matériel informatique (+27 %) pour les Pays-Bas.
À l’inverse, les pays spécialisés dans les matériels de transport ont connu une situation plus difficile. En zone euro, la production automobile accusait toujours un retard d’environ 20 % début 2022 sur son niveau d’avant crise, à peu près homogène selon les pays (à l’exception notable de l’Italie : −2 %). La sous production était aussi encore significative dans l’aéronautique (−23% ; correction encore plus forte en France : −33 %). Ces contreperformances, notamment liées au choc de demande consécutif à la crise sanitaire mondiale pour l’aéronautique, ont particulièrement pesé sur les industries française et allemande (ces deux secteurs représentant près de 20 % de la production manufacturière totale dans ces deux pays).
Ces divergences de production se reflètent dans les évolutions des parts de marché à l’exportation
En miroir, les exportations de biens se sont redressées moins rapidement en France et en Allemagne
Ces pays ont perdu respectivement 1,1 pt et 0,8 pt de part de marché à l’exportation au sein de la zone euro entre 2019 et 2021. Le déficit commercial français en biens a atteint dans ce contexte, et avec par ailleurs un prix du pétrole en nette hausse, un record à 85 Md€ en 2021 (FAB-FAB, y compris matériel militaire et données sous le seuil).
Ces pertes de parts de marché agrégées ont trouvé leur pendant dans de nets gains du côté de la Belgique et des Pays-Bas (+0,6 pt chacun). L’Italie et l’Espagne ont connu quant à eux une quasi-stabilisation de celles-ci.
La France pourrait récupérer une partie des parts de marché perdues en cas de normalisation de la demande sur certains produits
Une normalisation progressive de la demande aéronautique pourrait permettre un rééquilibrage des parts de marché en
zone euro en faveur de la France ; le rééquilibrage sur d’autres secteurs (pharmacie et production de vaccins notamment, avec une correction en cours du côté de la Belgique depuis mi-2021 de près de 40%) ferait de même. La normalisation dans l’automobile, qui serait favorable aux parts de marché allemandes semble plus incertaine à court terme notamment dans le contexte de la guerre en Ukraine. L’Allemagne a vu sa production manufacturière reculer de 4,6 % en mars et de 14 % dans l’automobile
Au-delà de ces chocs sectoriels spécifiques à la crise sanitaire, la production française s’est redressée moins rapidement que la moyenne européenne dans la plupart des filières
La production a été moins dynamique que la moyenne européenne dans la plupart des secteurs, en particulier dans le secteur de la métallurgie (−4 % contre vs +1 %), la pharmacie (−1 % vs +27 %) ou encore les équipements informatiques et électroniques (−2 % vs +20 %). Ceci est corroboré par l’observation de Rexecode de parts de marché qui ont reculé sur une large majorité de catégories de produits entre 2019 et 2021.
Un enjeu de réindustrialisation et de compétitivité renforcé, notamment pour les PME
L’enjeu de réindustrialisation et de compétitivité apparaît renforcé au sortir de la crise sanitaire
Comme décrit précédemment, la crise sanitaire n’a pas entrainé un choc comparable à la précédente crise mais a provoqué un coup d’arrêt à une dynamique plutôt favorable qui s’était installée depuis 2017 dans l’industrie française (légère progression de l’emploi et stabilisation des parts de marché au sein de la zone euro).
La compétitivité-coût s’est améliorée ces dernières années
Le coût horaire de la main d’œuvre dans l’industrie et les services marchands reste plus élevé en France qu’en moyenne en zone euro, mais l’écart avec l’Allemagne s’est nettement résorbé au cours des 10 dernières années (cf. graphique 4). Le plan France Relance contribue depuis 2021 à la réduction des impôts de production, plus élevés en France que nombre de ses voisins européens. Dans ce contexte, certains indicateurs pointaient vers un regain confirmé de l’attractivité du territoire français pour les implantations industrielles. En 2021, La France est restée pour la 3e année consécutive la 1ère destination européenne en matière d’investissements étrangers selon le baromètre EY 2022, avec 1 222 implantations ou extensions annoncées. Business France recense 1 607 projets d’investissement (dont 460 industriels) cette même année, soit un record.
Ces indicateurs ne se sont néanmoins pas traduits à ce stade par une accélération significative de la production. Le contexte est en effet encore perturbé par des stigmates de la crise sanitaire (difficultés d’approvisionnements, exacerbées par la guerre en Ukraine). Cela peut aussi pointer en creux que l’enjeu de compétitivité passe également par une action puissante et durable sur la compétitivité hors-prix et en particulier l’innovation.
Graphique 4 : Coût horaire de la main-d'œuvre (Source : Eurostat)
Il reste du chemin à faire sur la compétitivité hors-prix
Selon une enquête menée par Bpifrance et quatre autres banques européennes de développement en 2019, si les PME françaises se jugeaient moins bien positionnées que leurs homologues européennes sur l’ensemble des critères de compétitivité (qualité, prix, innovation, service après-vente, etc.), l’écart est le plus important sur l’aspect qualité des produits. Les enquêtes annuelles de Rexecode auprès des acheteurs européens font en outre part d’un rapport qualité/prix médiocre des produits français. Le défaut de compétitivité hors coût des PME françaises pourrait s’expliquer en partie par un déficit d’innovation (cf. graphique 5), de digitalisation et d’effort de R&D relativement à leurs concurrentes européennes.
Graphique 5 : Part des PME ayant innové (produit, procédé) sur 2016-2018 (Source : Enquête CIS, Eurostat)
Pour combler ces retards et renforcer la compétitivité hors-prix des entreprises industrielles françaises, le gouvernement a mis en place plusieurs mesures de soutien à l’investissement, la modernisation et la décarbonation de l’industrie à travers les plans France relance (34 Md€ sur le volet compétitivité, dont 1 Md€ pour la relocalisation et la souveraineté stratégique) et France 2030 (34 Md€ sur 5 ans pour développer la compétitivité industrielle et investir dans les technologies d’avenir). Les enjeux de compétitivité restent forts au sortir de la crise sanitaire pour l’industrie française qui, sans décrocher, a rebondi plutôt moins rapidement que dans la plupart de ses concurrents européens. Un effort puissant dans les prochaines années est nécessaire, en particulier en faveur de l’innovation et de la montée en gamme des produits, que les récents plans de relance visent à stimuler.