Les difficultés d’approvisionnement, la hausse des prix des matières premières (énergie, agricoles, industrielles) et des coûts de transport se sont accumulées au 1er semestre 2021. Celles-ci pénalisent les entreprises, qui pour certaines peinent à assurer leur production (automobile en particulier) et peuvent voir l’amélioration des marges en sortie de crise limitée.
Une grande partie des facteurs à l’origine de ces hausses de prix et difficultés d’approvisionnement, liés à la crise sanitaire, seraient temporaires. La forte demande de produits industriels ralentirait cette année avec la fin des restrictions sanitaires. Les capacités d’offre pourraient, dans certains cas, rester contraintes jusqu’en 2022. A moyen terme, les plans de relance, et la transition énergétique et digitale qu’ils accélèrent, devraient soutenir les prix de certains intrants spécifiques.
La confiance des entreprises françaises dans la reprise reste à ce stade, cependant élevée, avec des marges soutenues par le rebond de l’activité et des mesures du plan de relance qui entrent en action.
Si les conditions de reprise sont globalement réunies dans l’industrie, les difficultés d’approvisionnement viennent perturber les entreprises
Les entreprises industrielles françaises font face à des difficultés importantes d’approvisionnement, atteignant des sommets pour certaines activités
Selon l’Insee, au printemps 2021, la part des entreprises industrielles affectées a atteint un niveau jamais enregistré, de 27 % (9 % en moyenne depuis 1991). L’industrie automobile, avec 78 % des entreprises (19 % en moyenne depuis 1991) et la fabrication d’équipement électronique avec 43 % (contre 11 %), sont les plus touchées. Le bâtiment est aussi fortement touché avec 22 % des entreprises (contre 4 %).
Hausse historique des difficultés d’approvisionnement dans l’industrie
Ces difficultés d’approvisionnement, observées au niveau mondial, s’associent à une forte hausse du prix de nombreux intrants
Le prix des matières industrielles a été multiplié par 1,7 entre mi-2020 et mai 2021. Dans le détail, l’indice des prix des matériaux semi-conducteurs a doublé, de même que celui du cuivre et des matières minérales. Le prix de l’acier a été multiplié par 1,8, alors que celui du bois a plus que doublé.
Un phénomène mondial reflété par une hausse des prix des matières premières et des semi-conducteurs
La pénurie d’intrants affecte déjà la production dans l’industrie automobile
Selon Fitch Rating, la pénurie d’intrants devrait coûter 5 % de la production mondiale de l’industrie automobile.
Soit une perte de 3,8 millions de voitures, dont 36 % en Europe. Renault affiche par exemple une perte d’environ 100 000 véhicules et Stellantis 190 000.
La hausse des prix qui en découle peut limiter l’amélioration des marges des entreprises
Les entreprises font part d’un impact de plus en plus négatif de la hausse des prix sur leur trésorerie. C’est l’un des messages de l’enquête trésorerie de Rexecode : le solde d’opinion relatif à l’influence des prix des matières premières s’est dégradé de 17 points entre février et juin 2021. Cependant, le jugement sur la trésorerie reste très confortable au 1er semestre 2021. Seules 6,8 % d’entre elles ont eu des difficultés selon l’Insee, soit 7 pts de moins que la moyenne depuis 1991. D’après l’enquête annuelle sur les ETI de Bpifrance, les marges sont également moins perçues comme un frein au développement par rapport à l’an passé, certains facteurs jouant cette année plus favorablement (reprise de l’activité, baisse des impôts de production).
Les problèmes d’approvisionnement résultent en grande partie d’une hausse forte et rapide de la production industrielle mondiale depuis mi-2020
La crise sanitaire a entraîné une forte hausse de la demande de certains produits industriels de la part des Etats-Unis et de l’Europe
La moindre consommation de services en 2020, du fait des restrictions sanitaires, a conduit au détournement d’une fraction des dépenses des ménages vers certains produits industriels, tels que l’électroménager. La généralisation du télétravail et l’école à la maison ont en outre entraîné une hausse de la demande de matériels électroniques. Ce phénomène s’est poursuivi au 1er trimestre 2021, si bien que les dépenses en biens d’équipement étaient encore supérieures de 13 % à leur niveau d’avant crise en France, et de 24 % aux États-Unis. Les confinements ont également conduit les ménages à réaménager leurs logements, alimentant la demande de bois, déjà sous pression avec la reprise dans la construction.
Une forte hausse de la demande de produits industriels au détriment des services
Ce surcroît de demande a contribué à la hausse de la production industrielle chinoise, forte consommatrice d’intrants
Au 1er trimestre 2021, les exportations de produits électroniques, à destination des États-Unis et de l’Europe, ont contribué pour moitié à la hausse des exportations totales chinoises, supérieures de 21 % à leur niveau pré-crise (fin 2019), contribuant à la dynamique de la production industrielle (+9,4 % par rapport à fin 2019). Or, ces activités chinoises captent une majorité de la production mondiale de matières premières industrielles : 59 % des importations mondiales de semi-conducteurs sont chinoises et 51 % des importations de cuivre.
Un niveau des exportations chinoises de 21 % supérieur à celui pré-crise
La hausse des flux de biens a provoqué une désorganisation de la chaîne logistique, accroissant les difficultés
La forte croissance des flux allant de la Chine vers les États-Unis et l’Europe s’est traduite par une accumulation de porte-conteneurs à l’entrée des ports de destination, dont le fonctionnement a été ralenti par les restrictions sanitaires, et donc par un allongement sévère des délais d’approvisionnement. Début 2021, l’indice PMI relatif à ces délais a atteint un niveau supérieur à 60, son plus haut historique. Cette congestion a par ailleurs fortement réduit la disponibilité de conteneurs dans les ports chinois, accentuant les délais d’expédition et le prix du fret, qui a été multiplié par 4,7 entre juin 2020 et juin 2021.
Les tensions sur l’approvisionnement liées au surcroît de demande de biens d’équipement pourraient se résorber rapidement
Un essoufflement de la demande de produits industriels est attendu
En lien avec (i) la fin progressive des restrictions sanitaires pesant sur les services, en France et à l’international, et (ii) le fait que les ménages ou les entreprises sont pour la plupart suffisamment équipés. La production industrielle chinoise n’était plus que de 6,7 % supérieure à celle pré-crise en mai 2021. Devrait ainsi en découler la décongestion progressive des ports américains.
Des incertitudes subsistent autour de la dynamique de la demande
L’American Jobs Plan (plan d’investissement en infrastructures prévu aux États-Unis) devrait soutenir la demande d’intrants, avec un déblocage d’environ 1200 milliards à destination de l’industrie et de la construction (le montant est incertain car des négociations sont actuellement en cours). En outre, la résurgence de foyers épidémiques pourrait ralentir le retour à la normale du trafic maritime : la Chine a par exemple mis en quarantaine le port de Yantian fin mai (4ème port mondial en termes de volume de transit).
Les contraintes de production ne se résorberaient, pour certains intrants, qu’en 2022
La production de matières premières industrielles est très concentrée dans un petit nombre de pays, rendant les chaines d’approvisionnement vulnérables
60 % à 80 % de la production de métaux comme le fer, le cuivre ou l’étain, est assurée par 5 pays. Cette granularité peut aller à l’extrême, comme la production mondiale de semi-conducteurs, assurée à 74 % par deux entreprises : 54 % par TSMC et 20 % par Samsung.
La crise sanitaire a contraint la capacité d’offre des pays producteurs
Par exemple, la production de cuivre au Chili et au Pérou (respectivement 28 % et 12 % de la production mondiale) souffre en raison d’effectifs réduits à cause de la pandémie. Début 2021, elle restait inférieure au niveau pré-crise (de respectivement 3 % et 7 %). Selon Fitch Ratings, la sortie progressive de la crise sanitaire devrait permettre un rebond rapide de la production de cuivre en 2021 (+10 % au Pérou, + 3 % au Chili).
Des facteurs climatiques et ponctuels ont aussi joué
Début 2021, la production de semi-conducteurs, intensive en eau, a pâti de la sécheresse à Taïwan, mais aussi de la vague de froid au Texas ayant paralysé des fournisseurs de matériaux et d’un incendie dans une usine japonaise. Malgré un retour récent à la normale, la capacité d’offre des semi-conducteurs reste bien en-deçà de la demande ; le marché était déjà sous tension avant crise. La pénurie de ces composants ne se résorberait donc que plus tardivement, au second semestre 2022 selon TSMC, lorsque de nouvelles capacités de production auront été créées (3 milliards investis en Chine par TSMC). La filière du bois a également connu des chocs non liés à la crise sanitaire, en particulier la crise des scolytes, insectes dont la surpopulation cause des dégâts dans les forêts.
La demande pour certains matériaux resterait soutenue à long terme mais les capacités d’offre devraient dans l’ensemble s’ajuster
La transition énergétique et digitale de l’industrie exercera une forte pression sur la demande de certains intrants
Selon l’EIA, alors qu’une voiture électrique nécessite 10 fois plus de semi-conducteurs qu’une voiture thermique, son stock mondial serait multiplié par 20 d’ici 2030. La demande de semi-conducteurs augmenterait aussi avec le développement de la 5G et du cloud computing. Le développement des voitures électriques à lui seul multiplierait d’ici 2030 la demande de nickel par 14 et celle de cuivre par 17, alors que ce métal est aussi utilisé pour la fabrication de panneaux solaires, qui quadruplerait à horizon 2050.
Les capacités de production devraient s’accroître, mais un risque demeure pour certains matériaux
Les fabricants de semi conducteur entament ainsi des plans d’investissement : Intel prévoit d’investir 27 milliards dans la recherche et développement et 33 milliards dans l’extension des capacités aux Etats-Unis, TSMC prévoit quant à lui d’investir 100 milliards jusqu’en 2024 pour étendre ses capacités, incluant la construction d’une Gigafactory en Arizona. Pour d’autres matériaux, comme le cuivre, la capacité d’offre à long terme est plus incertaine. En effet, les projets de mines seraient en nombre insuffisants, si bien que le déficit de production serait de 7 Mt/an en 2030.
Un article de Thomas Laboureau