Le 23 juin 2023, l'Allemagne a adopté une loi assouplissant la législation allemande en matière d’immigration. Afin d'attirer la main-d'œuvre qualifiée au service de la compétitivité de son industrie, ce nouveau dispositif simplifie notamment les critères d’éligibilité pour les visas de travail, la reconnaissance des diplômes étrangers et met en place un système à points permettant aux ressortissants étrangers qualifiés de chercher un travail.
Un focus réalisé par Kohler Consulting & Coaching, sur la base de neuf entretiens réalisés en Allemagne, auprès de dirigeants, de collaborateurs étrangers et d’une fédération industrielle.
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L'Allemagne est une experte de l’intégration économique, sociale et culturelle
Le willkommenskultur, ou la culture de la bienvenue prend ses racines dans le monde du tourisme
Étrange destin que celui de l’expression allemande Willkommenskultur, littéralement "culture de la bienvenue". Ce terme prend ses racines dans le monde du tourisme où il signifie "l’accueil fait aux voyageurs". Il est ensuite étendu à l’environnement d’accueil des étrangers qualifiés et hautement diplômés en Allemagne. C’est en 2013 qu’une fédération d’employeurs prend pour la première fois position pour un accès plus libre des migrants au marché du travail en Allemagne.
En 2015, cette culture de l'accueil allemande s'étend aux réfugiés de guerre
Avec la crise des réfugiés de 2015, le terme de Willkommenskultur prend une nouvelle signification : « des attitudes et des actions qui, face à la souffrance des réfugiés de guerre, les aident à retrouver une vie en sécurité et en liberté »(1).
Derrière le slogan, c’est une véritable « machine de guerre » de l’intégration économique, sociale et culturelle qui s’est mise en place depuis 2015 dans des proportions jamais connues dans le pays depuis l’après-guerre. Information, conseil, accompagnement initial des réfugiés et des migrants et de leurs familles, aide à l’apprentissage de la langue allemande, reconnaissance des diplômes, formations et qualifications complémentaires, accompagnement dans l’accès à l’emploi, intégration dans l’entreprise, sans oublier bien sûr, l’intégration au sein du corps social. Toutes les composantes institutionnelles, sociales, associatives, économiques et religieuses de la société allemande ont été mobilisées pour répondre à ce défi gigantesque.
Témoignage d’un jeune réfugié syrien arrivé en Allemagne en 2015
" Durant mon séjour à Weinheim, j’avais fait la connaissance d’une famille qui a été extraordinairement accueillante, et qui m’a traité comme un fils, et avec laquelle je suis toujours en contact. Elle s’était renseignée à la Mairie pour savoir comment venir en aide aux migrants, et avait été orientée vers nous, ce que je trouve vraiment super. Les Allemands ont véritablement une culture de l’accueil, et sont prêts à vous aider à réaliser vos aspirations. "
Témoignage d’une personne migrante en Allemagne
" Chez Daimler, j’avais eu la possibilité de participer à un programme d’accueil de migrants : pendant huit semaines, on nous initiait aux différents postes de travail au sein du groupe, et nous remettait une attestation en fin de stage. En voyant ma motivation, ils m’ont souvent poussé et confié des tâches. "
L'immigration est perçue plus positivement en Allemagne
Il existe en France une perception négative quant à l’impact de l’immigration sur l’économie : « 56 % des Français jugent que l’immigration a un impact négatif sur notre pays »(2). De l’autre côté du Rhin, même si les partis populistes et d’extrême-droite tiennent des discours hostiles à l’immigration, l’Allemagne a globalement un rapport factuel à l’immigration. N’ayant pas de relation historique ou de passif mémoriel vis-à-vis d’anciennes colonies, le sujet de l’immigration y est vécu de manière beaucoup plus pragmatique. Le monde politique des grands partis de gouvernement semble acquis à la cause de l’immigration professionnelle.
Dans un article récent, Thomas Wieder, journaliste et historien, souligne que « quand les ministres allemands parlent d’immigration, c’est principalement sous un angle positif, comme une solution aux besoins impérieux de main-d’œuvre du pays »(3).
L'Allemagne a assoupli les politiques d’immigration au profit de l’économie
La crise des réfugiés syriens de 2015 a déclenché une prise de conscience
En Allemagne, comme en France, il a existé une phase de durcissement des politiques migratoires suite au premier choc pétrolier dans les années 1970. La réglementation sur l’immigration de travail a connu une évolution progressive depuis le début du XXIe siècle, mais c’est la « crise des réfugiés » syriens de 2015 qui a amené la société allemande à prendre brusquement conscience qu’elle est une terre d’immigration. Comme le souligne Maria Alexopoulou, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Mannheim et auteur d’un livre récent sur le sujet : « ce n’est que récemment que l’Allemagne est sortie d’un long sommeil et a soudainement reconnu qu’elle était une société d’immigration (Einwanderungsgesellschaft) »(4).
L'immigration est nécessaire à l'industrie et à la puissance économique du pays
Surtout, de nombreux acteurs allemands ont réalisé que la dynamique démographique du pays ne leur laisse guère le choix, s’ils ne veulent pas voir se dégrader inexorablement la puissance économique du pays et les activités essentielles au maintien du lien social. Le patron rhénan de l’association fédérale des entreprises familiales du Mittelstand (BVMW), Herbert Schulte, avait déclaré fin 2013 : « je pense que nous avons un besoin urgent d’immigrés, de personnes qui viennent chez nous, comme c’était le cas dans les années 50 et 60, parce qu’elles trouvaient un emploi ici »(5). L’Allemagne semble désormais privilégier l’immigration choisie, plutôt que contrainte, avec comme critère de différentiation principal, la maîtrise de la langue.
L'Allemagne privilégie désormais l'immigration de volonté, avec la maîtrise de la langue comme principal critère
Le 18 janvier 2023, le chancelier Olaf Scholz annonce à Davos : « Ceux qui veulent se retrousser les manches sont les bienvenus en Allemagne ! ». Cette déclaration marque un tournant politique majeur dans la politique d’immigration de l’Allemagne qui prend la mesure de l’ampleur du risque économique face au vieillissement de la population et à la mutation de l’économie. En effet, trois chantiers sont envisagés :
- accorder un titre de séjour probatoire, d’une année, aux personnes sans titre de séjour mais bénéficiant d’une tolérance de la part de l’État (une « Duldung ») à l’issue duquel une prolongation sera possible si les personnes remplissent certaines conditions, notamment la maîtrise de l’allemand. Il existe un parallèle entre ce chantier et le projet de loi envisagé en France sur la régularisation des sans-papiers exerçant un métier dans un secteur en tension ;
- faciliter les conditions d’accès au marché du travail allemand de façon générale. Pour cela, le gouvernement a simplifié la reconnaissance des diplômes étrangers et instauré un système à points, inspiré du modèle canadien, permettant aux candidats à l’immigration aux compétences convoitées de chercher du travail en Allemagne ;
- réduire de huit à cinq ans (comme en France) le délai au-delà duquel des étrangers résidant légalement en Allemagne pourront être naturalisés. Par ailleurs, le gouvernement allemand prévoit de ne plus limiter aux seuls citoyens de l’Union européenne la possibilité de la double nationalité.
Les personnes interrogées
- Hamid M., 29 ans, d’origine syrienne – Pilote de ligne de production au sein d’une minoterie à Krefeld (Rhénanie-du-Nord Westphalie)
- Mohamad C., 30 ans, d’origine syrienne – ingénieur produit dans la conception et la fabrication de machines pour les semi-conducteurs à Berlin
- Khalil Z., d’origine syrienne – électricien installateur au sein d’une grande entreprise multi-services à Erlangen
- Gilles Duhem, spécialiste de l’intégration, fondateur de l’association Morus 14 dans le quartier du Rollberg à Neukölln à Berlin.
- Gilles Duhem a reçu en 2022 la croix fédérale du Mérite (Bundesverdienstkreuz) pour son travail d’intégration.
- Christina R, agent de placement, Service aux employeurs, Agence fédérale pour l'emploi (Bundesagentur für Arbeit) à Berlin
- Karina M., responsable du service social dans un centre d’hébergement pour réfugiés à Alt Mariendorf (Berlin)
- Hermann Schönheide, Direction de la production dans une entreprise de l’agroalimentaire
- Le CEO d’une ETI bavaroise du Mittelstand industriel
- Ibrahim Rahimi, Conseiller d’intégration à la Chambre de Commerce et d’Industrie (IHK) d’Augsbourg
Les sources
- APA News, «Willkommenskultur» ist das Wort des Jahres, 30 décembre 2015, Horizont.
- Les notes du conseil d’analyse économique, L’immigration qualifiée : un visa pour la croissance, n° 67, novembre 2021.
- Thomas Wieder, En Allemagne, les travailleurs immigrés sont les bienvenus, le Monde, 14/02/23.
- Maria Elexopoulou, Deutschland und die Migration, Reclam, Ditzingen, 2020, p.7.
- Tobias Feld, Mittelstand will Flüchtlingen zu Jobs verhelfen, DeutschlandFunk, 09/08/2013.