Interview de Laurent Julienne
"Les dirigeants autocratiques peuvent se tirer une balle dans le pied"
Laurent Julienne, Avocat associé, Cabinet Lerins & BCW
Le Lab : Quel est votre regard sur la gouvernance des PME-ETI ?
Laurent Julienne : “La gouvernance est un sujet d’état d’esprit avant d’être juridique, et est fonction de paramètres variés, dont la combinaison peut donner lieu à de multiples situations. Le dirigeant est-il seul actionnaire ? Est-il associé ? Quels sont ses liens avec ses associés ? Quelle est la taille de sa société ? Est-elle cotée ? La question de la gouvernance doit être examinée en fonction du contexte dans lequel elle s’insère, sans viser à des solutions toutes faites.”
Le Lab : Selon vous, quel est le niveau moyen de maturité des dirigeants de PME-ETI vis-à-vis de ces questions ?
Laurent Julienne : “En France, des lacunes se font encore sentir en matière de gouvernance. Lorsqu’on évoque le faible nombre de licornes tricolores, on parle souvent des difficultés liées à la taille du marché ou au montant des levées de fonds. Mais la gouvernance est également un sujet majeur. Une bonne gouvernance est aussi décisive pour le devenir d’une entreprise que le développement de bons produits ou la conquête de marchés porteurs. Or, il est primordial que les dirigeants constituent des équipes dans le but de compléter leurs compétences et de réduire leurs angles morts. Les dirigeants doivent d’abord avoir un recul réflexif sur leurs propres forces et faiblesses pour ensuite renforcer la direction de leur entreprise avec d’autres profils. Par exemple, un duo de dirigeants qui fonctionne bien fera souvent la différence par rapport à un dirigeant isolé. L’un des défis posés aux PME et ETI est de consacrer du temps et des moyens à cette question et de considérer que c’est un passage obligé des entreprises en développement. De nombreux discours encouragent encore les dirigeants à être majoritaires au capital de leurs entreprises pour être les seuls maitres à bord et évacuer ainsi le sujet de la gouvernance. C’est dommage. Il est toutefois encourageant de noter que les nouvelles générations de dirigeants ont un mode de management plus collectif et ouvert.”
Le Lab : À quel point la rédaction d’un pacte d’associés est-elle décisive ?
Laurent Julienne : “Grâce à ce document, les associés peuvent, entre eux, apporter des réponses à certaines questions vitales pour décider de la manière dont ils vont diriger leur entreprise : Comment prend-on les décisions ? Comment faisons-nous circuler l’information ? Quelles sont nos relations capitalistiques et comment les voyonsnous évoluer ? Qu’avons-nous l’intention d’accomplir ensemble ? Cette dernière interrogation, essentielle, renvoie à la mission de l’entreprise, concept en pleine émergence. Lorsque le capital d’une société est réparti entre plusieurs associés, il faut savoir parfaitement aligner ses objectifs et ses priorités pour aller dans la même direction. Une cohabitation fructueuse ne pourra émerger que d’une collaboration transparente et honnête, entre associés d’abord, mais aussi avec l’équipe de direction et les collaborateurs. La raison d’être ensemble, explicitée dans ce pacte, complète ainsi la mission de l’entreprise.”
Le Lab : Quelles sont les bonnes pratiques à diffuser en matière de gouvernance ?
Laurent Julienne : “Le dirigeant doit s’éduquer à la gouvernance, faire un travail sur lui et interroger les spécificités de son entreprise. Cette démarche doit être aussi rigoureuse et professionnelle que possible. À cet égard, s’affilier à des réseaux est bénéfique, coûte peu et permet de s’aérer l’esprit. Confronter des idées, et trouver des solutions grâce aux retours d’un écosystème bienveillant : cela peut constituer le base d’une réflexion en vue d’une bonne gouvernance. Concernant les instances, la mise en place d’un comité consultatif indépendant est une première étape. Le dirigeant actionnaire majoritaire, craignant de voir ses décisions bloquées par des organes indépendants, pourra alors bénéficier d’avis croisés d’experts sans pouvoir être contesté lors de ses prises de décision finale. Un organe collectif de décision est l’étape suivante, pour limiter, le cas échéant, les effets pervers de la concentration des pouvoirs et challenger le dirigeant d’entreprise. Au-delà de la mise en place d’instances collégiales, il est décisif que le dirigeant adopte le bon comportement pour bénéficier à plein de l’apport de ces experts. Accepter d’être challengé est une condition sine qua none. Les dirigeants autocratiques peuvent se tirer une balle dans le pied en n’ayant confiance qu’en eux-mêmes. A l’inverse, en structurant un système de gouvernance, on se plie à cette discipline salutaire de l’information, de l’explication et de l’argumentation. ”
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