Marie-Anne Gobert est la directrice de la communication et de la RSE de SERFIM. Le groupe est spécialisé dans les travaux publics et environnement, les T.I.C. et l'immobilier depuis bientôt 150 ans. L’entreprise compte 2 700 collaborateurs pour 50 filiales, et réalise un chiffre d’affaires de 500 M€.
Marie-Anne Gobert
Le Lab : Quels sont les principaux domaines d’activité de Serfim ?
Marie-Anne Gobert : Dans les secteurs des travaux publics et de l’environnement, nos filiales présentent une palette d’offres très variées : réseaux d’énergies et d’eau, éclairage public, recyclage, dépollution, rénovation d’ouvrages d’art (ponts, barrages...), voiries, réseaux de fibre, énergies renouvelables… Concrètement, avec ce terrain de jeu très large, nous pouvons aussi bien réparer des pistes cyclables que dépolluer des sols ou faire de la maintenance de sites industriels. Nous sommes aussi en mesure de participer à l’assainissement de l’eau et d’installer des stations photovoltaïques. L’aménagement durable est au cœur de tous nos marchés, avec de beaux succès à la clé. Dans le secteur de la revalorisation de matières premières, nous sommes ainsi les premiers recycleurs de plâtre en France !
Le Lab : Sur quelle méthodologie repose vos initiatives environnementales ?
Marie-Anne Gobert : La réalisation de notre bilan carbone constitue le socle de notre démarche. Compter ce qui compte vraiment : c’est une étape charnière avant de lancer la moindre initiative sérieuse. Nous avons eu recours aux services de WeCount pour internaliser la compétence carbone. Après une formation intense de deux mois, nos propres collaborateurs sont désormais en mesure d’élaborer un bilan carbone et ainsi de nourrir la stratégie climat de l’entreprise. L’objectif de SERFIM est de bâtir une trajectoire de développement compatible avec les accords de Paris. L’autre levier indispensable concerne la mobilisation de nos collaborateurs. Nous avons par exemple décidé de déployer massivement la Fresque du climat auprès de nos équipes, afin de leur donner les bons outils pour comprendre et pour agir. Ce sont eux les maillons forts de notre transition environnementale, nous le savons parfaitement.
Le Lab : Quels enseignements avez-vous pu tirer de ce bilan carbone ?
Marie-Anne Gobert : Certaines problématiques se posent pour l’ensemble du groupe, d’autres sont plus pertinentes à l’échelle d’un métier particulier. Dans tous les cas, lorsque nous identifions un poste très émissif, une réflexion est lancée pour appréhender le problème et améliorer ce qui peut l’être. Par exemple, le poste des achats est chez nous crucial. Pour la rénovation d’ouvrages d’art, nous utilisons énormément de béton. Pour rénover des canalisations, nous travaillons avec de la fonte… L’achat de ces matériaux très carbonés alourdit notre bilan total. De même, nos process de fabrication pour l’enrobé bitumineux de nos routes ou le recyclage de nos déchets sont loin d’être neutres en carbone. Parmi les autres postes importants figurent aussi les déplacements de nos engins et véhicules de chantier, ainsi que la mobilité de nos équipes sur les chantiers.
Le Lab : Est-il possible de réduire vos émissions sur des postes aussi stratégiques ?
Marie-Anne Gobert : Nous avons déployé plusieurs solutions. Nous améliorons bien sûr la performance énergétique de nos outils industriels, avec la rénovation complète de notre poste d’enrobé à Mornant par exemple, ou encore l’électrification de nos chaînes de recyclage. Nous développons aussi notre part d’approvisionnement en électricité verte, grâce notamment à notre filiale SERFIM ENR. En matière de mobilités, nous avons lancé il y a quelques mois un plan de déplacements domicile-travail pour les collaborateurs de notre siège à Vénissieux, qui concerne près de 700 personnes. Nous travaillons aussi avec nos partenaires de longue date, comme la fédération nationale des travaux publics (FNTP) et la filière construction (CERC), qui ont lancé récemment l’outil MyMouv’ pour verdir les flottes au maximum. Cette plateforme nous permet de choisir la meilleure motorisation en fonction des véhicules et engins recherchés, ainsi que des usages souhaités, et de recueillir rapidement les coûts et les émissions carbone associés. Et surtout, nous expérimentons beaucoup de nouvelles solutions, comme des chantiers bas-carbone. En co-construction avec nos partenaires, fournisseurs et grands donneurs d’ordres, nous imaginons de nouvelles méthodes pour réduire les émissions au maximum sur les chantiers.
Le Lab : Quel est l’impact de cette expérimentation pour vos grands donneurs d’ordres ?
Marie-Anne Gobert : Les chantiers bas-carbone peuvent réduire leurs émissions de 30 % sur l’ensemble de l’analyse de leur cycle de vie par rapport aux normes du secteur. Ces gains sont notamment obtenus grâce à l’optimisation des déplacements, à l’électrification des motorisations, à l’usage de béton bas-carbone, ou encore à la réalisation d’une couche unique et définitive d’enrobés après chantier. Les clients publics et privés peuvent alors faire valoir un bilan environnemental très positif. Toutefois, ces expérimentations posent la question de leur acceptabilité une fois déployées à large échelle, car les travaux ainsi réalisés sont pour l’instant nettement plus chers : le surcoût observé de tels chantiers pouvant atteindre 30 %.
Le Lab : Avez-vous identifié certains cas de figure où les substituts bas-carbone ne sont pas encore disponibles ?
Marie-Anne Gobert : Le béton bas-carbone, que nous aimerions utiliser sur tous nos chantiers, n’est pas compatible physiquement avec tous les usages. Par exemple, pour réparer des tunnels, il nous faut du béton projeté, qui n’existe pas encore en formule « bas carbone ». Malgré cette frustration, nous savons que la rénovation de tunnels participe à la bonne santé des réseaux ferrés, et donc à la décarbonation de la mobilité générale en France. De même, pour les canalisations en fonte, il n’est pas simple de trouver des équivalents bas-carbone avec les mêmes caractéristiques de durabilité et les mêmes propriétés physiques… Mais la réduction des fuites d’eau sur les réseaux reste une priorité absolue. Il s’agit pour nous de trouver le meilleur équilibre entre la finalité environnementale de nos métiers et leur empreinte carbone.
Le Lab : Craignez-vous, en tant que précurseur de la décarbonation, d’essuyer les plâtres pour vos concurrents ?
Marie-Anne Gobert : La question du dilemme du prisonnier reste très importante pour expliquer l’attentisme d’un certain nombre d’entreprises. S’il n’y a qu’une poignée d’acteurs qui s’engagent dans une forte performance environnementale, ils risquent d’être perdants à court-terme et de voir leurs concurrents rafler tous les marchés avec leur approche « business as usual ». Nous avons beaucoup traité cette question au sein de la Convention des Entreprises pour le Climat, et nous l’évoquons aussi avec le gouvernement, dans le cadre du futur projet de loi sur l’industrie verte. Cela fait parte des priorités pour les pouvoirs publics à nos yeux : valoriser à leur juste valeur les efforts des entreprises les plus vertes. Est-il possible de flécher les prêts et les subventions en priorité vers ces entreprises-là ? D’autres pistes sont aussi étudiées pour encourager le développement d’offres vertueuses.
Le Lab : Quels sont les principaux risques que vous avez identifiés ?
Marie-Anne Gobert : Nos clients accepteront-ils de payer un surcoût environnemental ? Nos concurrents ne vont-ils pas s’engouffrer dans des brèches fortement carbonées et vampiriser nos marchés ? Pour atténuer cette incertitude, le format de l’expérimentation nous permet d’avancer sans bouleverser nos fondamentaux. Nous tirons des enseignements et nous avançons avec nos partenaires dans la bonne direction. Tout cela nous permet aussi d’identifier les interlocuteurs les plus engagés et de travailler sur des chantiers encore plus ambitieux avec eux. Parmi les autres risques, certains éléments pratiques méritent aussi d’être cités. Par exemple, le règlement de la voirie dans certaines collectivités oblige à déposer une couche provisoire d’enrobé, avant la couche définitive. La révision de ce règlement peut faire baisser nos émissions, sans pour autant nuire à la qualité des travaux !
Le Lab : Comment prouvez-vous la véracité de vos engagements bas-carbone ?
Marie-Anne Gobert : C’est un vrai enjeu lorsqu’on observe la jungle des certifications sur le marché. Aujourd’hui, les indicateurs sont très nombreux, parfois redondants, et pas toujours clairs… A chaque fois qu’une entreprise se lance dans une politique de certification, cela demande beaucoup de temps et d’énergie mais aussi de l’argent. L’harmonisation est nécessaire pour permettre un choix de fournisseurs et de partenaires en toute confiance. Nous travaillons en interne sur des indicateurs pertinents sur lesquels adosser notre nouvelle feuille de route RSE, avec les référents RSE du groupe, en anticipant l’entrée en vigueur de la CSRD. Cette directive, qui vise à harmoniser les rapports extra-financiers, sera capitale pour apprécier les efforts véritables des entreprises et opérer des comparaisons éclairées.
Le Lab : Estimez-vous que les promesses environnementales des entreprises soient aujourd’hui crédibles ?
Marie-Anne Gobert : C’est une question difficile qui se pose dans de nombreux secteurs, comme dans les appels d’offres publics. C’est bien d’énoncer des critères environnementaux, c’est mieux de vérifier si les promesses ont été tenues. Le contrôle est primordial pour faire émerger le cercle vertueux de la confiance : si les dirigeants savent que leurs engagements seront crédibles, ils investiront plus volontiers dans ce domaine. Et plus les clients auront confiance dans les engagements environnementaux, plus ils y accorderont de l’importance. La formation des cabinets de conseil et d’audit est à ce titre décisive. Pourquoi ne pas imaginer l’intervention dans chaque entreprise d’un commissaire à la triple comptabilité (économique, environnementale et sociale) ?
Le Lab : Quels conseils aimeriez-vous donner aux dirigeants souhaitant lancer la décarbonation de leurs activités ?
Marie-Anne Gobert : Plus les dirigeants s’engageront vite dans cette voie, plus leur entreprise gagnera en résilience grâce à de multiples gains. Les engagements environnementaux attirent les candidats de qualité et permettent de dépasser les tensions sur le marché du travail. Les collaborateurs déjà présents trouvent de nouvelles raisons de se mobiliser autour d’enjeux fédérateurs. Les efforts d’innovation permettent aux entreprises d’avoir un temps d’avance sur leurs concurrents. Les politiques d’efficacité énergétique permettent de faire baisser ses factures et d’améliorer sa compétitivité. Et enfin, de nouveaux partenariats stratégiques autour de ces problématiques peuvent se nouer pour élargir les réflexions et resserrer les liens avec ses interlocuteurs… Que du positif en somme !
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Crédits photos : Marie-Anne Gobert, Serfim portraits CODIR B.Tournaire36