Les prix du gaz et de l’électricité sont propulsés par la hausse de la consommation, liée à la reprise de l’activité en Europe et à la reconstitution des stocks de gaz après un hiver 2020-2021 rigoureux, dans un contexte d’offre contrainte.
La métallurgie et la papeterie sont particulièrement concernées par cette montée des prix car consommatrices d’énergies. La nature des contrats signés avec les fournisseurs les a en partie protégées du choc, mais des limites semblent être atteintes.
Même si la conjoncture en France et la situation financière des entreprises restent globalement favorables, des tensions sur les prix risquent de s’installer durablement. Ces tensions pourraient fragiliser certaines entreprises et nécessitent une surveillance.
Les prix de l’électricité et du gaz sont toutefois attendus en baisse au cours du 1er semestre 2022.
Depuis 2021, le déséquilibre entre l’offre et la demande entraîne une multiplication du prix du gaz naturel par 4,5
La demande de gaz a fortement augmenté au 1er semestre 2021 en France et en Europe
La demande de gaz naturel a été portée par la reprise vigoureuse de l’activité industrielle mondiale en 2021. Au 1er semestre, elle était supérieure de 3 % à son niveau pré-crise. De plus, la saison hivernale 2021 a été particulièrement froide en Europe, provoquant un épuisement des stocks. Ainsi, entre février et août 2021, les stocks européens de gaz naturel étaient en moyenne inférieurs de 25 % à ceux sur la même période en 2019 (−25 % en France, cf. graphique 1) et de 37 % par rapport à 2020 (−35 % en France). La reconstitution des stocks depuis la fin du printemps a ainsi accentué les pressions sur le prix du gaz.
Graphique 1 : Chronique mensuelle des stocks français de gaz naturel (en Md de m3)
Les offres norvégienne et russe ne se sont pas ajustées à cette hausse de la demande
Les importations de gaz depuis la Norvège, principal fournisseur de la France en gaz naturel et le 2e de l’Europe (respectivement 36 % et 19 % des importations de gaz), étaient, entre janvier et juillet 2021, inférieures de 3 % à leur niveau sur la même période en 2020, et de 10 % à celui de 2019 (cf. graphique 2). De plus, la Russie, 2e fournisseur de gaz de la France et 1er de l’Europe (19 % et 38 % des importations européennes de gaz), n’a pas été en mesure d’accroître l’approvisionnement européen en raison : (i) de la reconstitution de ses stocks après un hiver rigoureux, (ii) de travaux de maintenance sur les principaux gazoducs russes, d’un incendie dans une usine alimentant le gazoduc Yamal, contraignant temporairement l’offre et sans doute (iii) d’un jeu diplomatique afin de pousser les Européens à signer des contrats de maturité plus longue et d’accélérer le processus d’adoption du nouveau pipeline « Nord Stream 2 ». Dans ce contexte géopolitique, l’approvisionnement en gaz via les voies ukrainiennes, a été quasiment divisé par 2.
Graphique 2 : Volume d'importations européennes de gaz par pays d'origine (en million de m3)
La hausse du prix du gaz se répercute immédiatement sur celui de l’électricité
L’électricité ne pouvant être stockée, la production s’ajuste à chaque instant à la demande si bien que le prix de l’électricité est déterminé par les coûts de la dernière centrale appelée pour assurer l’équilibre entre l’offre et la demande. La reprise forte de l’activité mi-2021 s’est traduite par un pic de demande d’électricité satisfaite par la mise en service de centrales à gaz, dont le coût a fortement augmenté (cf. supra). Les dernières unités produites étant par ailleurs plus carbonées, leur prix a subi l’augmentation du prix des quotas d’émissions, multiplié par 2,4 depuis janvier (atteignant plus de 80€ la tonne début décembre, cf. graphique 3). Selon Rexecode, à un prix de 60€ la tonne de CO2 le coût des émissions de CO2 représenterait 20 % du prix de l’électricité. Au total, les prix de l’électricité ont été multipliés par 3,3 entre janvier et début décembre 2021.
Graphique 3 : Chronique des prix du gaz, de l’électricité, du charbon et des quotas de CO2
Au sein de l’industrie, la métallurgie, l’industrie du papier et du verre sont les plus exposées à la hausse des prix du gaz et de l’électricité
La consommation d’électricité et de gaz représente une part élevée des résultats dans la métallurgie et la papeterie
Les consommations intermédiaires d’électricité et de gaz dans la métallurgie, la papeterie et les produits minéraux non métalliques (essentiellement la fabrication de verre) représentaient en 2018 environ 8 à 9 % des consommations intermédiaires (contre 2,6 % pour l’ensemble de l’industrie) et entre 5 et 7 % de la production (cf. graphique 4, contre 1,9 % pour l’industrie). Elles représentaient 174 % de l’excédent brut d’exploitation (EBE) des entreprises dans la métallurgie et près de 100 % dans la papeterie (contre 17,5 % pour l’industrie totale).
Graphique 4 : Part des consommations d’électricité et de gaz dans la production, la valeur ajoutée et l’EBE, par branche industrielle
Divers instruments atténuent l’impact du choc que ces industries ont aussi amorti via les prix de vente.
L’industrie a été en partie protégée du choc par les modalités des contrats souscrits avec les fournisseurs
Les industriels peuvent se fournir en électricité à un prix régulé, actuellement de 42 €/MWh, grâce au dispositif « Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique » (ARENH). Selon le Sénat, la part de la consommation d’électricité couverte par l’ARENH d’un site sidérurgique peut atteindre 80-90 % de sa consommation totale. Les industriels ont par ailleurs souscrit à des contrats à prix fixe à long terme et ont parfois recouru à des instruments de couverture.
Ces instruments ont toutefois des limites : le volume maximal affecté à l’ARENH (100 TWh) a déjà été atteint excluant de facto certaines activités. De plus, selon l’UNIDEN, 20 % des besoins des industries consommatrices resterait tributaire des marchés de gros en 2022. Enfin, les prix de l’électricité augmentent dans les contrats à terme (156 €/MWh fin novembre après 90 €/MWh fin août et 50 €/MWh en janvier). Plusieurs solutions sont envisagées : extension du volume affecté à l’ARENH de 50 TWh ou la contractualisation sur plus longue période. Les industries électro-intensives bénéficient déjà par ailleurs d’exonérations de taxes et d’abattements sur les coûts de transport de l’électricité.
L’impact du choc pour les industries exposées aurait été également atténué via la transmission aux prix de vente
En octobre 2021, le prix de vente des produits issus de la métallurgie a ainsi augmenté de 29 % par rapport à janvier (cf. graphique 5), de 19 % dans la chimie et de 12 % dans la papeterie contre 8 % dans l’industrie manufacturière.
Graphique 5 : Chronique des prix à la production par branche industrielle
L’impact de la hausse des prix sur les résultats et la situation financière des entreprises semble encore modéré à ce stade
Les industries sont aussi confrontées depuis début 2021 à une hausse du prix de leurs intrants.
Au S1 2021, le prix du bois représentait 2,8 fois son niveau à la même période en 2019 et y était encore, mi-novembre, 1,6 fois plus élevé. Côté métaux, le prix des minerais de fer était en moyenne 2 fois plus élevé au S1 2021 qu’en 2019, et était fin novembre supérieur de 15 % à son niveau pré-crise. Les prix de l’aluminium et de l’étain étaient, fin novembre, respectivement 1,5 et 2,3 fois supérieurs au niveau de 2019.
Dans ce contexte, l’industrie connait une légère baisse de ses résultats d’exploitation
Ces tensions sur les prix constituent un frein à l’activité de certaines entreprises et affecteraient leurs résultats. Ce serait le cas pour 28 % des TPE/PME selon le baromètre Bpifrance Le Lab/Rexecode du T4 2021 (10 pts de plus qu’en temps normal, cf. graphique 6). Dans le manufacturier, l’EBE aurait diminué de 5 % au T3 après −1 % le trimestre précédent, selon les comptes nationaux de l’INSEE. Cette baisse au T3 serait cependant surtout le signal de la fin des dispositifs de soutien public (notamment du fonds de solidarité).
Graphique 6 : Part des TPE/PME qui déclarent que les prix/coûts trop élevés constituent un frein à leur activité
La situation financière des entreprises reste relativement favorable fin 2021
Selon le baromètre Bpifrance Le Lab/Rexecode du T4 2021, la situation actuelle de trésorerie des PME reste à un point haut, même si elles anticipent une légère dégradation dans les 3 prochains mois : le solde d’opinion recule à −7 après −4 le trimestre précédent, et contre +1 en moyenne sur 2017-2019. Dans l’industrie manufacturière, la situation de trésorerie reste jugée favorable en fin d’année selon la Banque de France (solde d’opinion de +13,8 contre +11,6 en moyenne entre 2017 et 2019). Parmi les branches les plus exposées à la hausse des prix du gaz et de l’électricité, la situation de trésorerie serait la moins aisée pour les entreprises de la métallurgie, qui sont 1,7 % de plus à anticiper une baisse plutôt qu’une hausse de leur trésorerie en fin d’année selon l’INSEE. La situation semble plus favorable pour les entreprises de la papeterie, qui sont 6,3 % de plus à anticiper une hausse plutôt qu’une baisse.
En 2022, le prix du gaz devrait retourner à la normale mais des incertitudes demeurent
Le prix du gaz naturel devrait diminuer après la saison hivernale de 2022 et se stabiliser jusqu’en 2024
Selon l’agence européenne de coopération des régulateurs de l’énergie (ACER), les prix du gaz et de l’électricité devraient diminuer à partir de la fin de l’hiver 2022 pour atteindre moins de 50 €/MWh en avril 2022. L’IEA prévoit quant à lui une division par deux du prix du gaz entre le T1 et le T2 2022 (environ 41 $/MWh après 82 $/MWh le trimestre précédent).
Les incertitudes restent néanmoins fortes autour de l’évolution du prix du gaz
Un hiver plus froid que la moyenne conduirait à un épuisement plus rapide des stocks et compromettrait cette baisse de prix. De plus, l’approvisionnement en gaz russe ne devrait augmenter que modérément en 2022, d’environ 2 % selon l’IEA. La suspension de la certification de Nord Stream 2 par les Allemands mi-novembre accroît en outre l’incertitude sur l’approvisionnement russe. Côté demande, l’IEA anticipe une hausse d’ici 2024, soutenue à parts égales par l’activité industrielle et la substitution du gaz aux énergies plus carbonées en Asie, à laquelle les projets actuels d’extension de la production (notamment en Russie) seraient en mesure de répondre.
Ce qu’il faut retenir…
Malgré la hausse des prix du gaz et de l’électricité, et plus généralement des intrants, la situation de trésorerie des entreprises industrielles reste globalement aisée, malgré une légère détérioration attendue en lien avec la fin des dispositifs de soutien. Toutefois, certaines filières méritent une attention spécifique, en particulier la métallurgie et la papeterie : i) ces industries sont les plus exposées à la hausse du prix du gaz et de l’électricité, ii) elles ont aussi été fragilisées par la hausse des prix de leurs intrants au 1er semestre 2021 et iii) des incertitudes demeurent quant à l’horizon de retour à la normale de ces prix.