La hausse du prix des matières premières, l’avancement dans le processus de vaccination, ainsi que la baisse des restrictions de mobilité sont les principaux moteurs de la reprise. Si la faiblesse de l’investissement productif reste l’un des freins à la croissance à moyen terme, la hausse de l’inflation entraîne un resserrement rapide de la politique monétaire susceptible de limiter la croissance à plus court terme. Une consolidation budgétaire semble par ailleurs inévitable face à la dégradation des finances publiques et à la progression de l’endettement. Un tel processus est susceptible d’alimenter le risque socio-politique dans un contexte de hausse des inégalités et de la pauvreté.
Malgré un risque sanitaire toujours présent, le rebond est plus fort que prévu en 2021
La région est disproportionnellement affectée par la pandémie
L’Amérique latine concentre plus du tiers des décès officiels liés au Covid-19 (mi-sept. 2021) alors qu’elle ne représente que 8,4% de population mondiale. Le Brésil, le Mexique et le Pérou font partie des cinq premiers pays au monde où le coronavirus a été le plus meurtrier.
Après un nouveau pic d’infections observé dans plusieurs pays de la région au premier semestre 2021, le nombre des nouveaux cas tend à baisser dans les grands pays de la région.
Bien que le processus de vaccination s’accélère (au Brésil en particulier), des disparités encore importantes au sein de la région persistent. L’Uruguay, le Chili, le Brésil et le Panama affichent les taux de vaccination les plus élevés (plus de 70 % de la population a reçu au moins une dose de vaccin) tandis qu’au Nicaragua par exemple, le taux de vaccination de la population demeure inférieur à 10 % début octobre.
Les perspectives de croissance en 2021 sont revues à la hausse: +1,2 points de PIB
Après une contraction historique du PIB de la région de -7 % en 2020, soit la chute la plus importante parmi les grandes zones géographiques, la reprise de l’activité en 2021 a été revue à la hausse par le FMI à 5,8 % en juillet (soit une hausse de 1,2 points de PIB par rapport aux prévisions d’avril).
Cette révision est favorisée par un rebond de l’activité plus important que prévu au T1 2021 des deux premières économies de la région, le Brésil et le Mexique (35 % et 22 % du PIB de la zone respectivement). Alors que le Mexique a pu bénéficier des retombées positives du rebond de l’activité américaine, le Brésil profite lui de la hausse du prix des matières premières.
En effet, les prix élevés des matières premières (plus de 50 % des exportations de la région en moyenne), favorisent le rebond des exportations des principaux pays de la région. Cela, conjugué à l’avancement du processus de vaccination permettant une plus grande mobilité, constituent les principaux moteurs de la croissance à plus court terme.
La faiblesse de l’investissement productif est un frein à la croissance à long terme
Le taux d'investissement en Amérique latine est globalement plus faible que dans les autres régions émergentes, autour de 19 % du PIB (en moyenne entre 2012-19) et il a surtout considérablement baissé depuis 2015, comme illustré dans le graphique ci-dessous :
La faiblesse de l’investissement serait liée à l’insuffisance de l’épargne (17,5 % du PIB en moyenne entre 2012-2019, selon la Banque Mondiale), soit deux fois moins qu’en Asie de l’Est et Pacifique (34,7 %) et légèrement en dessous de l’Afrique sub-saharienne (18,8 %). L’environnement des affaires parfois difficile, les coûts d’emprunts souvent élevés, les obstacles à la concurrence et la complexité des systèmes fiscaux (Brésil par exemple) constituent également des freins à l’investissement.
L’investissement public devrait par ailleurs rester contraint compte tenu de la dégradation des finances publiques, du retour au processus de consolidation budgétaire dans la plupart des pays et du durcissement de la politique monétaire inévitable face à un regain de l’inflation.
Des programmes de concessions et de privatisations florissent cependant dans plusieurs pays de la région (Brésil, Equateur, Colombie...) et pourraient contribuer à atténuer en partie le coup porté à l’investissement, particulièrement dans un contexte de dépréciation des monnaies locales rendant le prix des actifs plus attractifs.
Inflation et politique monétaire américaine : quels sont les impacts pour la région ?
Les banques centrales sont vigilantes quant aux pressions inflationnistes
Portée par la forte reprise de la demande liée à la réouverture des économies et aux difficultés mondiales d’approvisionnement, la hausse de l’inflation est un phénomène mondial.
L’Amérique latine n’est pas une exception avec une hausse des prix qui dépasse parfois les prévisions (Brésil en particulier). Les pressions inflationnistes sont liées aux chocs multiples : prix des matières premières, dépréciation des monnaies locales, climat (crise hydrique au Brésil qui affecte le prix de l’énergie), ainsi que les restrictions dans les chaines d’approvisionnement.
Parmi les grands pays de la région (Cf. graphique ci-dessous), les pressions inflationnistes demeurent plus importantes au Brésil. La Banque centrale a d’ailleurs revu à la hausse ses prévisions d’inflation pour 2021 à 8,5 % au mois de septembre (soit un niveau nettement au-dessus de la fourchette cible de +3,75 % (+/-1,5 pp).
Dans ce contexte, la banque centrale brésilienne a entamé la 5ème hausse de son taux directeur (SELIC) en septembre à 6,25 % (soit une hausse de 425 pbs depuis le mois de mars). Comme au Brésil, la banque centrale du Chili a accéléré le rythme du resserrement (+0,75pbs à 1,5 % fin août). Le Mexique et le Pérou ont également relevé leur taux, mais de manière plus progressive (0,25 pbs et 0,50 pbs à 4,5 % et 1 % respectivement). La Colombie l’a maintenu (à 1,75 %, soit son minimum historique), mais la banque centrale a d’ores et déjà signalé une hausse dans les prochains mois.
L’Argentine est le seul grand pays à contre-courant, alors que l’inflation demeure préoccupante (50 % en GA en août) la BCRA n’envisage aucun durcissement monétaire. Face à l’absence d’accès aux marchés financiers, la dette publique est financée par les émissions monétaires de la banque centrale. Dans ce contexte, une hausse des taux pourrait avoir un impact non négligeable sur les finances publiques du pays et ne garantirait d’ailleurs pas une baisse de l’inflation sans une réduction en parallèle des émissions monétaires. Si la politique monétaire reste expansionniste à court terme, elle risque néanmoins de changer dans le cadre des négociations avec le FMI, dont un nouvel accord pourrait intervenir à l’issue des élections législatives de mi-novembre.
Un retrait plus rapide du stimulus monétaire par la FED est un aléa également à surveiller, susceptible de conduire au resserrement plus rapide de la politique monétaire.
Les flux d’investissement de portefeuille sont plutôt résilients . Le niveau de vulnérabilité externe est globalement réduit
Après les sorties de capitaux massives observées lors du pic de la crise sanitaire au T2 2020, les flux des capitaux vers la région ont eu tendance à rebondir, favorisés entre autres par une reprise de l’activité plus dynamique que prévue. L’annonce de la baisse des rachats d’actifs de la FED fait toutefois peser un risque sur les économies émergentes et latino-américaines. Un retournement de tendance pourrait affecter les devises de la région qui peinent déjà à trouver leur niveau d’avant crise.
Alors que le risque demeure prégnant, le niveau des vulnérabilités externes de la région parait globalement moindre que lors de l’épisode de tapering de 2013. La plupart des pays de la région bénéficient en effet d’une amélioration du solde courant (Cf. graphique ci-dessous), tandis que les grands pays de la région, plus vulnérables au retrait du stimulus monétaire américain, présentent d’importantes réserves de change (à l’exception de l’Argentine).
Les réserves de change de ces pays ont été renforcées par les lignes de swap avec la FED (Mexique, Brésil), par les lignes de crédit flexible avec le FMI (Mexique, Chili, Pérou et Colombie), et plus récemment par l’allocation des droits de tirage spéciaux (DTS), alloués aux pays membres du FMI en fonction de leur quote-part. En valeur, les 3 pays de la région qui ont le plus bénéficié de DTS sont le Brésil (15 Mds d’USD), le Mexique (12 Mds d’USD) et l’Argentine (4,3 Mds d’USD), soit environ 1 % de leurs PIB respectifs de 2019.
Pour l’Argentine, cette allocation devrait permettre de rembourser ses échéances avec le FMI (4,5 Mds d’USD d’ici la fin de l’année), en attendant la mise en place d’un nouvel accord qui pourrait intervenir après les élections législatives de mi-novembre.
Dans un contexte de hausse de la pauvreté, le risque socio-politique se fait prégnant dans la région
Le processus de consolidation budgétaire est inévitable…
Face aux effets de la crise sanitaire, la plupart de pays de la région ont mis en place un ensemble de mesures de soutien à l’économie. Le stimulus fiscal de la région a été en moyenne de 4,6 % du PIB (contre 3,6 % en moyenne dans le monde émergent). Selon la Cepal, la hausse des dépenses primaires a été principalement impulsée par les subventions et transferts à la population la moins favorisée, pouvant atteindre jusqu’à près de 4 % du PIB dans le cas du Brésil.
Cette hausse exceptionnelle des dépenses s’est traduite par un creusement du déficit budgétaire, supérieur à 6 % du PIB en moyenne (Cf. graphique ci-dessous) et a conduit à une hausse généralisée de la dette publique. Celle-ci a en effet progressé de +10,7 % du PIB par rapport à 2019, à 56,3 % du PIB en 2020 (part du gouvernement central).
…mais il risque d’alimenter les tensions socio-politiques
Dans ce contexte, un processus de consolidation budgétaire a d’ores et déjà été initié dans plusieurs pays de la région, mais il risque d’alimenter des tensions sociales préexistantes. Les manifestations sociales au Nicaragua (2018), au Chili et en Equateur (2019), ainsi que plus récemment en Colombie (2021) sont le reflet d’un mécontentement social grandissant face à la croissance limitée des emplois, à la hausse des inégalités et de la pauvreté. En 2020, elle atteint près de 34 % de la population de la région (contre 30,5 % en 2019), selon les estimations de la Cepal.
Une montée des manifestations sociales risquerait non seulement de pénaliser l’activité économique (grèves, blocages routiers, éventuels dégâts matériels ...), mais aussi d’exercer une pression accrue sur les dépenses budgétaires pouvant limiter la portée de la consolidation budgétaire dans la région (réforme fiscale en Colombie par exemple).
De plus, le calendrier électoral chargé en 2021/22 (Cf. ci-dessous) est propice à la cristallisation des tensions et à l’émergence de candidats « anti-establishment » ou peu expérimentés compte tenu du sentiment de rejet des élites politiques. L’élection de Pedro Castillo au Pérou (juin) ou encore la fragmentation de l’Assemblée Constituante au Chili (élue en mai), sont une illustration.
Au Brésil, le contexte des élections présidentielles et législatives en 2022 pourrait freiner la mise en place de réformes structurelles nécessaires. Tandis qu’en Argentine, les résultats des élections législatives (mi-novembre) conditionneraient les négociations pour un nouvel accord avec le FMI.
Un article d'Adriana Meyer :