En zone euro, l’inflation est principalement soutenue par les prix de l’énergie. Elle est bien plus généralisée aux Etats-Unis, où la reprise de l’activité s’est accompagnée de déséquilibres marqués sur les marchés du travail et des biens et services, alimentant les hausses de prix et de salaires.
Pour 2022, l’inflation européenne était il y a peu attendue en baisse progressive, en ligne avec celle du prix des intrants, dans un contexte où les perspectives de hausse de salaires sont modérées, notamment chez les PME, suggérant un risque limité d’entrée dans un régime d’inflation autoentretenue. Toutefois, la guerre en Ukraine rebat les cartes, entrainant une forte hausse des prix de l’énergie (pétrole en hausse de plus de 20 %, atteignant près de 120$ le baril après une semaine de conflit).
Dans ce contexte, si la Fed devrait sous peu remonter ses taux, la réaction de la BCE, déjà logiquement plus prudente face à une inflation essentiellement énergétique, est incertaine.
L’inflation est plus marquée et généralisée aux Etats-Unis qu’en zone euro.
L’accélération des prix est un phénomène commun aux pays développés, avec des divergences d’ampleur
Depuis début 2021, l’inflation augmente continuellement dans les pays avancés. En janvier 2022, l’inflation atteint +7,5 % aux Etats-Unis (cf. graphique 1) et +5,5 % au Royaume-Uni. Elle atteint +5,8 % en février en zone euro au sein de laquelle la situation est hétérogène. L’inflation en France, de +4,1 % en février selon la première estimation, (indice harmonisé permettant la comparaison entre pays), est notamment bien plus modérée qu’en Allemagne, à +5,5 % en février, et en Espagne, à +6,1 % en janvier.
Graphique 1 - Inflation totale et sous-jacente dans les pays avancés
(variation en %, en glissement annuel).
Sources : Eurostat, BLS, ONS.
En zone euro, l’inflation est surtout alimentée par la hausse des prix de l’énergie
En zone euro, la hausse des prix de l’énergie contribue à hauteur de 47 % (2,4 points) à la hausse de l’inflation, contre 29 % aux Etats-Unis (2,2 points). Cette contribution est toutefois hétérogène selon les pays européens, s’élevant à 1,8 point en France (cf. graphique 2), contre respectivement 2,2 et 2,5 points en Allemagne et en Espagne. En cause, un poids de l’énergie dans le panier de consommation plus faible en France que chez ses voisins et une tarification de l’électricité moins dynamique, avec notamment des tarifs régulés actualisés deux fois par an et couvrant 77 % des ménages. La hausse du prix de l’essence est, quant à elle, assez similaire entre les principaux pays européens en janvier 2022, entre +19 % et +23 %. Par ailleurs, les politiques récentes creusent les écarts. En France, le « bouclier tarifaire » réduirait l’inflation de plus d’un point selon l’INSEE, tandis que l’Allemagne a instauré dès janvier 2021 un prix du carbone sur les produits non couverts par le système européen de quota d’émission, dont les carburants, qui alimente l’inflation énergétique.
Graphique 2 : Contribution de l’évolution des prix des biens et services à l’inflation totale en France.
Source : Eurostat.
Aux Etats-Unis, l’accélération des prix est bien plus généralisée qu’en zone euro
Début 2022, l’inflation sous-jacente américaine est 2,6 fois plus élevée que celle de la zone euro (+6,0 % contre +2,3 % en janvier 2022). La hausse des prix s’avère bien plus généralisée aux biens et services qu’en zone euro. Côté produits, les prix des véhicules d’occasion, des équipements du foyer et du textile ont crû respectivement sur un an de +32 %, +6,5 % et +5 % à fin 2021 aux Etats-Unis contre +4,5 %, +2,6 % et +1,7 % en zone euro. Côté services, ceux de logement et de transport ont crû de +3,8 % et +4,2 % Outre-Atlantique contre +1,6 % et +4,0 % en zone euro.
Les déséquilibres sur les marchés des biens et du travail alimentent l’inflation aux Etats-Unis, mais pas en zone euro.
Contrairement aux Etats-Unis, le marché européen des biens n’est pas confronté à un excès de demande
L’inflation sous-jacente plus dynamique aux Etats-Unis qu’en zone euro peut s’expliquer par une demande américaine particulièrement soutenue en 2021, avec des dépenses de consommation en biens supérieures de 13 % au niveau qui aurait été observé si la tendance pré-crise avait perduré (cf. graphique 3), contre des dépenses encore inférieures de 2 % en France et de 3 % en Allemagne. En effet, tandis que les revenus des ménages européens sont restés stables durant la crise (+0,8 % sur les trois premiers trimestres 2021 après +0,2 % en 2020 et +1,8 % en 2019) ceux des ménages américains ont accéléré (+5,2 % en 2021 après +5,0 % en 2020 et +2,5 % en 2019). En cause, un soutien public direct aux ménages, dans le cadre des mesures d'urgence et de relance, bien plus important aux Etats-Unis qu’en Europe.
Graphique 3 : Dépenses de consommation en biens des ménages en Europe et aux Etats-Unis (indice base 100 au T1 2018).
Sources : Eurostat, Datastream.
Les déséquilibres sur le marché du travail américain, qui dynamisent les salaires, ne s’observent pas en Europe
La reprise de l’activité aux Etats-Unis a été très rapide et vigoureuse, atteignant fin 2021 un niveau supérieur de 3 % à celui d’avant crise. Dans ce contexte, la demande de travail élevée s’est confrontée à une offre de travail qui demeurait en-deçà de 1,3 % à son niveau fin 2019. En effet, une partie de la main d’œuvre n’est pas retournée rapidement sur le marché à la suite de la crise, faisant émerger des tensions sur les salaires. L’indice de coût du travail américain a ainsi crû de +4 % sur un an (cf. graphique 4), contre une hausse bien plus modérée en zone euro (+1,5 % mi-2021), où l’offre de travail a retrouvé son niveau pré-crise dès l’été 2021.
Graphique 4 : Evolution sur un an de l’indice de coût du travail aux Etats-Unis et en zone euro.
Sources : Eurostat, Bureau of Labor Statistics, Datastream
En 2022, l’inflation en zone euro resterait déterminée par l’évolution des prix des intrants
Début 2022, l’inflation en zone euro reste sous le joug des tensions sur les marchés des matières premières
Des déséquilibres au niveau mondial entre une demande soutenue et une offre contrainte ont conduit à une hausse des prix des intrants depuis mi-2020 (cf. Flash Eco sur les difficultés d’approvisionnement et les prix des matières premières et Flash Eco sur les prix du gaz et de l'électricité). Depuis fin février, le conflit en Ukraine s’est traduit par un prix du gaz presque multiplié par deux, une hausse de 22 % du prix du Brent, tutoyant les 120 $/baril, de 19 % du prix du blé et de 16 % du prix du palladium (cf. graphique 5).
Graphique 5 : Chronique des prix des matières premières, des semi-conducteurs et de l’énergie.
Source : Datastream
En 2022, la demande d’intrants resterait soutenue
La production industrielle, qui était fin 2021 supérieure de 5,5 % à son niveau fin 2019, continuerait à porter la demande d’intrants en 2022, soutenue notamment par les plans d’investissement chinois et américain d’un montant de 3,8 et 2,9 points de PIB. En outre, les industries reconstitueraient leurs stocks de matières premières, actuellement à des niveaux très bas. La demande de gaz naturel serait portée par la reconstitution des stocks en Europe. Si la demande de biens électroniques devrait se normaliser en 2022, entrainant un ralentissement de celle de semi-conducteurs (+9 % après +26 % en 2021 selon la Semiconductor Industry Association), elle resterait néanmoins à un niveau plus élevé que l’offre.
Un ajustement de l’offre hétérogène selon les intrants
Du côté de la production des métaux convoités (cuivre, étain, lithium), celle de cuivre devrait s’accroître dès le printemps avec la mise en route de mines au Congo, tandis que celle de lithium n’augmenterait significativement qu’après l’été, avec l’ouverture de mines australiennes et américaines. La hausse de la production d’étain resterait, quant à elle, très limitée selon la Banque Mondiale. Côté semi-conducteurs, dix-neuf usines sont en construction depuis mi-2021 selon le SEMI, mais la production ne débuterait qu’en fin d’année.
La guerre en Ukraine pourrait maintenir les tensions sur certains marchés en 2022. La Russie est le 1er exportateur de palladium (19 % des exports mondiaux, cf. graphique 6), matériaux clé pour l’industrie automobile, et assure 10 % des exports mondiaux de titane (2e pays) capté pour moitié par le secteur aéronautique. La Russie représente 14 % des exports mondiaux de pétrole et fournit 38 % du gaz importé par l’Europe. La suspension par l’Allemagne du projet Nord Stream 2 éloigne ainsi sensiblement l’horizon de hausse de l’offre de gaz en Europe. Elle est le 1er pays exportateur de blé et le 3e exportateur de potasse (16 % et 18 % des exports mondiaux de cet engrais). L’Ukraine est le 5e pays exportateur de blé, et serait responsable de la moitié de la production mondiale de gaz néon, clé pour la fabrication de semi-conducteurs. En 2022, les prix des intrants resteraient donc à des niveaux bien supérieurs à ceux de 2019.
Graphique 6 : Part des exportations russes et ukrainiennes dans les exportations mondiales (2019)
* Concernant le gaz naturel, il s’agit de la part du gaz d’origine russe dans les importations européennes.
Sources : Trade Map, Eurostat
À ce stade, un enclenchement de la boucle prix-salaires qui soutiendrait une dynamique durable d’inflation en zone euro et en France apparait peu probable
Selon une enquête de la BCE, les anticipations d'inflation des ménages en zone euro seraient bien ancrées, autour de 2 % à horizon trois ans ne plaidant pas pour des demandes de forte revalorisation par les salariés en moyenne en Europe. En France, selon le dernier dernier baromètre Bpifrance-Rexecode, l’augmentation salariale moyenne anticipée par les dirigeants de PME en 2022 est modérée (+2,2 %) au regard de l’inflation. Si les prix de vente seraient en moyenne en hausse de +3,8 %, les PME sont plus nombreuses à anticiper une contraction de leur marge nette qu’une hausse. La hausse des coûts ne passerait donc pas intégralement dans les prix.
La normalisation de la politique monétaire est moins urgente en zone euro qu’aux Etats-Unis
En 2022 et 2023, l’inflation était attendue moins élevée en zone euro qu’aux Etats-Unis
Avec un scénario de reflux des prix des intrants et de hausse modérée des salaires, les institutions tablaient, avant la crise ukrainienne, sur une baisse progressive de l’inflation en zone euro, comprise entre 2,4 % et 3,9 % en moyenne en 2022 (2,1 % au dernier trimestre 2022 selon la Commission européenne) pour rejoindre environ 1,7 % en 2023. Aux États-Unis, l’inflation serait, quant à elle, comprise entre 4,3 % et 5,2 % en 2022 et autour de 3 % en 2023.
La Banque Centrale Européenne a moins de pression que la Fed pour normaliser sa politique monétaire
Tandis que l’inflation américaine élevée fait craindre une surchauffe de l’économie, l’inflation européenne est surtout due à des contraintes d’offre, sur laquelle la BCE n’a pas de prise. Les réactions de politiques monétaires peuvent donc différer. La Fed pourrait remonter son taux directeur dès mars et, selon les marchés, à 4 ou 5 reprises cette année. Elle réduirait également la taille de son bilan. La BCE, quant à elle, ne les augmenterait pas aussi rapidement (hausse envisagée en fin d’année, avant l’invasion en Ukraine). Elle stabiliserait par ailleurs la taille de son bilan au printemps.
La crise ukrainienne accroît l’incertitude autour du rythme de normalisation des politiques monétaires
Selon certains scénarii (prix du pétrole supérieur à 100 $/baril et celui du gaz autour de 90 $/MWh en 2022), la guerre en Ukraine pourrait ajouter entre 0,7 et 1 point au taux d’inflation prévu en 2022, et autour 0,5 point en 2023, un minimum au regard des dernières évolutions des prix des intrants. La réponse de la BCE face à ce choc inflationniste est incertaine. Elle pourrait retarder l’horizon de hausse des taux, compte tenu du risque de retombées négatives sur l’économie du conflit et des sanctions.