Bpifrance Le Lab pose cinq questions à Bernard-Marie Chiquet
"Dans une entreprise ayant adopté l'holacratie, tout est autorisé sauf ce qui est explicitement interdit."
Bernard-Marie Chiquet est le fondateur de l'institut iGi, et est spécialiste certifié en holacratie
Le Lab : quels sont les liens entre le modèle "holacratie" et l'entreprise libérée ?
Bernard-Marie Chiquet : "Il n’y a pas de liens clairs entre ces concepts selon moi. Que l’on parle de l’entreprise libérée d’Isaac Getz ou des organisations opales de Frédérique Laloux, ces deux concepts sont tirés de traités de management conçus pour inspirer les dirigeants qui constatent l’essoufflement du modèle hiérarchique classique. En identifiant des cas de sociétés dont le fonctionnement va à rebours des conventions traditionnelles, ces auteurs veulent élargir les perspectives des chefs d’entreprise. La plus-value de leurs traités repose alors sur la liste des caractéristiques que partagent ces entreprises aux schémas inédits. À leur manière, ils donnent un nom au souffle de renouveau qui balaye le champ des organisations professionnelles à l’échelle mondiale. L’holacratie s’inscrit dans ce même mouvement mais propose, au-delà du diagnostic théorique, une boîte à outils aux managers et dirigeants souhaitant adapter leurs pratiques aux enjeux de leur époque."
Le Lab : Quels sont les principaux atouts de l'holacratie en comparaison avec les structures hiérarchiques traditionnelles des entreprises ?
Bernard-Marie Chiquet : "L’holacratie est un système d’aide à la responsabilisation et à la coopération, au service de la raison d’être de l’entreprise. Il prend avant tout la forme d’un document de 40 à 70 pages qui décrit les règles d’exercice du pouvoir s’appliquant à tous dans l’entreprise (y compris au dirigeant). Lorsqu’une entreprise adopte l’holacratie, cette constitution fait loi. Ainsi, lorsque le système de management qui prévaut s’applique à tous de la même façon, on supprime comme par magie le lien implicite et paralysant de subordination entre les membres de ce collectif. Si les patrons s’assujettissent eux-mêmes à la constitution, on se retrouve dans une égalité de droit dans l’organisation des pouvoirs. L’holacratie ouvre alors le champ à un management constitutionnel."
Le Lab : Comment la constitution peut-elle libérer les entreprises ?
Bernard-Marie Chiquet : "Dans une entreprise ayant adopté l’holacratie, tout est autorisé sauf ce qui est explicitement interdit. On renverse le paradigme des modèles conventionnels dans lequel les prises d’initiatives sont par défaut interdites, sauf si l’on reçoit une autorisation de sa hiérarchie. Mais nous n’inventons rien. Le Code de la route ne dit à personne s’il faut aller à droite, à gauche… En revanche, s’il y a un feu rouge, tout le monde sait qu’il faut s’arrêter. Avec l’holacratie, il suffit de regarder s’il y a un feu rouge avant d’avancer dans ses projets."
Le Lab : Les managers disparaissent-ils dans le modèle de l'holacratie ?
Bernard-Marie Chiquet : "Il n’est pas possible de passer sans transition d’un modèle où le lien de subordination régit toutes les relations entre managers et employés à une organisation où le self-management parfait est à l’œuvre. L’holacratie facilite cette lente évolution en explicitant les fonctions managériales de l’entreprise. Les prérogatives traditionnelles du manager peuvent alors être distribuées entre des leaders de cercles, d’autres employés ou encore certains processus. Une fois qu’on nous affecte un rôle, on nous demande de le gérer comme une entreprise qui pourrait être externalisée. Le salarié qui gère son rôle comme il l’entend sera alors beaucoup plus efficace et investi que celui qui travaille sous la supervision d’un manager. La fonction managériale, si elle n’est plus incarnée par le seul manager, est mieux comprise et mieux adoptée par tous. Pour autant, nous n’avons pas les mêmes talents, et il me paraît impossible de se défaire des managers aujourd’hui."
Le Lab : Comment l'holacratie régule-t-elle les relations hiérarchiques ?
Bernard-Marie Chiquet : "La peur du manager tend à disparaître avec l’holacratie. Avec le modèle conventionnel, on mène souvent la politique de la « porte ouverte » pour permettre aux managés de consulter leur manager dès qu’ils en ressentent le besoin. Mais implicitement, la règle est plutôt « tu entres dans mon bureau avec tes idées et tu repars avec les miennes ». Avec l’holacratie, la hiérarchie n’est plus aussi absolue et permet des dialogues d’égal à égal. Les salariés ne dépendent de personnes, par exemple. Sur un sujet A, un membre du collectif clairement défini a autorité, et si l’on n’est pas d’accord avec lui, tant pis. Les problématiques du modèle conventionnel tombent. Les managers doivent ainsi accepter de ne plus être en charge de tous les sujets."
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