Focus 3 de l'étude des biais cognitifs : "les chefs d'entreprise savent-ils anticiper leur avenir ?"
Voici le dernier des trois focus sur les biais cognitifs. Pour le découvrir plus en détail, nous vous conseillons de le télécharger au format PDF !
Recontextualisation de l'étude sur les biais cognitifs. Bpifrance Le Lab a mené une étude sur la base des réponses obtenues auprès de 24 000 chefs d’entreprise, interrogés entre 2004 et 2013 dans le cadre des enquêtes de conjoncture semestrielles conduites par les équipes de Bpifrance, avec un double objectif :
- Evaluer la capacité des chefs d’entreprise à anticiper correctement l’évolution de leur activité ;
- Dresser le profil des dirigeants qui y parviennent le mieux.
Plus globalement, cette étude a vocation à s’interroger sur les fondements de la prise de décision chez les dirigeants.
Méthodologie de l'étude : Bpifrance Le Lab a analysé 10 ans d'enquêtes de conjoncture semestrielles auprès des PME*, soient 24 000 chefs d’entreprise interrogés entre 2004 et 2013 :
- Environ 4000 chefs d’entreprise interrogés chaque semestre ;
- Un panel représentatif de : la diversité des secteurs, la taille (TPE/PME), lla diversité du territoire (régions).
Deux interrogations par an, avec une en mai et une en novembre. Lors de chaque enquête, le chef d’entreprise est interrogé sur :
- Ses prévisions d’activité pour l’année en cours ;
- Ses prévisions d’activité pour l’année suivante.
Quatre enseignements principaux ressortent de cette étude
1er constat : les chefs d’entreprise s’appuient sur un scénario cohérent qui peut être influencé par un certain nombre de biais.
Les chefs d’entreprise s’appuient sur un scénario cohérent pour produire leurs anticipations, mais qui peut être influencé par un certain nombre de biais.
- Les chefs d’entreprise interrogés s’appuient sur un scénario cohérent… Dans le cadre des enquêtes de conjoncture, les dirigeants sont non seulement interrogés sur l’évolution de leur chiffre d’affaires, mais également sur celle de leurs effectifs et de leurs investissements. Or, il apparaît que les chefs d’entreprise font preuve d’une grande cohérence dans leurs anticipations : par exemple, une prévision d’activité en hausse va généralement de pair avec des intentions d’embauche et d’investissement en hausse.
- …mais leurs anticipations sont fortement influencées par leur situation actuelle. Invités à se prononcer chaque semestre sur l’évolution de leur activité pour l’année en cours et suivante, ils ont une forte propension à reproduire le même schéma d’anticipations pour les deux années : c’est là l’illustration d’un biais d’ancrage ! C’est-à-dire de la difficulté à s’extraire de la situation présente pour se projeter dans le contexte d’activité futur.
2e constat : Les chefs d’entreprise ont une forte propension à anticiper une stabilité de leur activité
Les chefs d’entreprise ont une forte propension à anticiper une stabilité de leur activité, qui n’arrive en pratique que peu souvent, mais sont capables d’améliorer leurs prévisions au fil de l’eau.
- Un an à l’avance, les dirigeants privilégient le statu quo dans leurs anticipations. Plus de 50% des chefs d’entreprise interrogés prévoient une stabilité de leur activité pour l’année suivante… qui ne se réalise que dans 10% des cas !
- Le taux d’erreur dans les anticipations est donc initialement assez important… En mai N-1, seulement 1/3 des chefs d’entreprises en moyenne anticipent correctement l’évolution de leur chiffre d’affaires pour l’année N. Cela peut paraitre faible, mais un tel exercice de prévision à 18 mois est toujours très délicat (et pas seulement pour les entreprises !), de par la rareté de l’information disponible et la difficulté à la mobiliser.
- …mais va se réduire progressivement. Les chefs d’entreprise améliorent leurs anticipations au fil de l’eau : en leur posant la même question 6 mois plus tard, ils seront 40% à bien anticiper…jusqu’à une dernière interrogation à 3 mois de la fin de l’exercice où ils seront 70% à établir des prévisions correctes (soit le double du taux initial). Cela témoigne de la capacité des dirigeants à intégrer de l’information supplémentaire au fur et à mesure que l’horizon temporel de prévision se rapproche. Il semble toutefois difficile de pouvoir parler d’effet d’apprentissage (c’est-à-dire de considérer que les chefs d’entreprise « apprennent de leurs erreurs ») : si c’était le cas, nous devrions observer une diminution progressive du taux d’erreur résiduel (30% en moyenne) d’année en année ; or, celui-ci se maintient entre 25% et 35% chaque année sur la période 2004-2013.
3e constat : Les dirigeants qui ont tendance à bien anticiper partagent un certain nombre de traits caractéristiques communs
- Certaines variables ne semblent pas avoir d’influence particulière sur la qualité de la prévision : 1) L’âge du dirigeant : le jeune dirigeant a autant de chance, sur la période, de bien anticiper son activité que le dirigeant plus âgé ; 2) Le sexe du dirigeant : aucune capacité prédictive supérieure liée au sexe n’a été identifiée ; 3) La région d’implantation : la probabilité d’anticiper correctement son activité apparaît homogène sur l’ensemble du territoire.
- 4 critères distinctifs ont pu être identifiés : 1) L’innovation : les entreprises innovantes ont plus de chances de bien anticiper leur activité que les non innovantes ; 2) L’accès aux marchés extérieurs : les entreprises exportatrices ont tendance à mieux prévoir l’évolution de leur activité que les non exportatrices ; 3) La taille : plus une entreprise est grande, plus la probabilité qu’elle anticipe correctement son activité est élevée ; et 4) L’âge de l’entreprise : les entreprises de moins de 10 ans ont eu davantage de réussite dans l’exercice d’anticipation que les entreprises plus matures.
4e constat : Les chefs d’entreprise qui se trompent se révèlent tour à tour optimistes ou pessimistes, ce qui n’est pas neutre en matière d’investissement
- Il y a très peu d’optimistes ou de pessimistes persistant dans la durée. Un optimiste est un dirigeant dont l’activité constatée ex post se révèle inférieure à sa prévision ; un pessimiste est un dirigeant dont l’activité constatée ex post se révèle supérieure à sa prévision. Les dirigeants qui se sont trompés dans l’enquête se sont révélés tour à tour optimistes ou pessimistes dans leurs prévisions
- Optimistes et pessimistes ne prennent pas les mêmes décisions en matière d’investissement. Bien qu’ils se répartissent dans des proportions proches au sein de l’échantillon, optimistes et pessimistes ne prennent pas les mêmes décisions en matière d’investissement. Les anticipations de la demande sont un déterminant important des décisions d’investissement. Or il apparait dans l’étude que : 1) Les chefs d’entreprise optimistes investissent plus, en cohérence avec la hausse d’activité qu’ils anticipent, et ajustent leurs projets d’investissement à la baisse face aux mauvaises surprises ; 2) Les pessimistes investissent moins et ne corrigent pas à la hausse leurs décisions d’investissement en dépit des bonnes surprises. Les pessimistes seraient ainsi susceptibles de passer à côté d’opportunités d’investissement. Les optimistes, quant à eux, seraient moins prisonniers de leurs anticipations et seraient davantage capables d’adapter leurs décisions d’investissement à la conjoncture. Il en ressort que mieux vaut être trop optimiste que trop prudent pour favoriser la reprise.
Le sujet des biais cognitifs vous intéresse ? Nous vous recommandons de consulter les autres contenus de notre étude dédiée, accessibles ci-dessous !