Focus 1 de l'étude sur les biais cognitifs : "Petit guide pratique des biais cognitifs à l'usage indispensable des dirigeants"
Dans ce premier des trois focus, retrouvez huit biais, qui sont huit illustrations tirées de la vie de tous les jours, huit mises en situation au sein de l’entreprise… Ce “Petit Guide Pratique” a été réalisé pour vous, dirigeants, en réunissant aussi bien des ressources théoriques que des applications concrètes.
1) L’escalade de l’engagement
C’est une situation que vous pourrez rencontrer dans des moments de vie quotidienne. Si nous vous présentons ce concept sous le regard théorique, il s’agit d’un biais qui consiste à prendre des décisions qui vont justifier, voire amplifier, des décisions antérieures, quand bien même ces dernières ne seraient plus adaptées au contexte actuel (au regard des transformations de l’environnement dans lequel vous évoluez). En somme, vous vous enfermez dans votre choix initial. Ce biais cognitif est lié à la difficulté de chacun de reconnaître ses erreurs, et aussi à l’aversion pour la perte.
Voici un exemple fictif au sein d’une entreprise : « Un responsable de pôle peut consacrer beaucoup de temps et d’énergie à l’accompagnement de l’un de ses collaborateurs, dont il sait pertinemment qu’il n’aurait jamais dû le recruter initialement. Il a conscience qu’il ne pourra jamais avoir de retour sur les efforts qu’il investit dans la formation de cette personne. Mais s’en séparer, reviendrait à reconnaître publiquement que c’est lui qui a commis une erreur au départ, en décidant de le recruter2. C’est la même logique qui préside à la poursuite d’un projet d’investissement dont on sait qu’il est voué à l’échec : on a déjà tellement investi dans celui-ci qu’on se refuse à y mettre un terme, chaque euro supplémentaire injecté contribuant à nous enfermer un peu plus dans cette spirale de l’engagement ».
2) Le biais de disponibilité
Pour présenter ce deuxième biais au regard de la théorie, il s’agit d’un biais reposant sur la tendance de chaque individu à “surpondérer la probabilité d’un fait ou d’un événement auquel il a été fortement exposé” : cette exposition peut-être directe, ou alors indirecte, via l’intermédiaire de son entourage, des médias, ou encore de l’imagerie populaire…
De nouveau, nous vous en proposons un exemple fictif au sein de l’entreprise : « Un chef d’entreprise apprend que les ventes réalisées par ses commerciaux sont inférieures aux objectifs fixés et qu’ils auraient des difficultés à établir des relations de long terme avec leurs clients. Cela ne l’étonne guère, il en a croisé deux le matin même à la machine café, et ils lui ont semblé peu sympathiques… Le fait que cette « information », statistiquement peu révélatrice, soit aussi disponible dans son esprit peut l’inciter à surpondérer la responsabilité de ses commerciaux et à négliger l’implication d’autres facteurs explicatifs (produits moins performants par rapport à la concurrence, conjoncture dégradée…) »
3) Le biais d’ancrage
La définition de ce concept vu par la théorie : “un individu amené à prendre une décision aura tendance à s’appuyer sur une valeur de départ, à laquelle il apportera un certain nombre d’ajustements pour parvenir à une valeur finale. Le problème de ce mode de raisonnement est qu’il conduit à conférer à l'information initiale un poids disproportionné et à minorer l’importance d’autres facteurs.”
En voici un exemple fictif au sein de l’entreprise : “Le responsable des achats d’une entreprise doit passer une importante commande. Son fournisseur pourra alors avoir tendance à surévaluer le prix initial, qui servira de point d’ancrage à l’ensemble du marchandage, afin que le prix final obtenu à la suite des échanges soit conforme à ses intérêts. Trois possibilités se dégagent : soit le responsable des achats trouvera le prix initial trop élevé et mettra fin à l’opération ; soit il proposera une contre-offre très basse en réaction à une valeur de départ qu’il juge trop élevée ; soit il rentrera dans la tractation en apportant des ajustements, l’orientation générale de la négociation restant toutefois conditionnée par le prix initial. Le vendeur aura alors réussi sa manœuvre, en proposant un point d’ancrage suffisamment haut pour orienter l’échange dans son intérêt, mais suffisamment bas pour ne pas décourager l’acheteur.”
4) Le biais de statu quo
Il s’agit d’une tendance à accepter une situation par défaut. Voici ici ce biais défini par la théorie : “biais qui consiste à perpétuer la situation antérieure, de peur notamment de prêter le flanc à la critique ou à des regrets en cas de prise d'initiative malheureuse”. Et le risque de ce biais intervient lorsque des décisions antérieures sont perpétuées, alors qu’elles peuvent ne plus être adaptées, ou justifiées, à l’environnement présent. Et cela conduit à une perte d’efficacité.
Voici un nouvel exemple fictif au sein de l’entreprise : “Le nouveau Directeur général d’une entreprise informatique se rend compte que l’un des logiciels que sa société commercialise connaît, depuis plusieurs années, une augmentation assez faible, mais constante, de ses ventes. A l’inverse, les autres produits connaissent une forte croissance. Ainsi, il pourrait être judicieux d’arrêter la commercialisation de ce logiciel, pour consacrer l’ensemble des ressources aux produits dont les ventes sont en pleine expansion. Il pourra toutefois éprouver certaines réticences à le faire s’il considère que le maintien du statu quo lui garantit une croissance certes faible mais constante, alors que sa remise en question constitue toujours une prise de risque, quand bien même celle-ci pourrait se révéler fructueuse.”
5) Le biais de cadrage
L’impression de perte, ou de pouvoir avoir moins, conduit à préférer une situation à une autre. Voici la définition de ce biais fournie par la théorie : “La manière dont on appréhende un problème dépend fortement de la formulation de celui-ci. Le cadrage de la question constitue la première étape du processus décisionnel, et elle peut avoir une grande influence sur le sens de la décision.”
Nous vous proposons une fois de plus une illustration via un exemple fictif au sein de l’entreprise : “Un Directeur de PME pense que son Système d’Information (SI) est dépassé, et que de ce fait, son entreprise répond mal aux attentes clients. Il en vient donc à se demander ce qui pourrait être amélioré dans celui-ci et quels investissements cela impliquerait. Il soumet cette question à son comité de direction, qui envisage les différentes options pour améliorer le SI et ainsi mieux répondre à la demande. Or, il est possible que le problème ne vienne pas du tout du SI, mais par exemple des ressources dont dispose l’entreprise ou d’un manque d’investissement dans l’innovation. On voit ici toute l’influence que peut jouer le biais de cadrage sur le sens de la décision ; si le réflexe premier n’avait pas été de mettre en cause le SI mais plutôt de s’interroger sur les motifs d’insatisfaction des clients, peut être que la responsabilité du SI n’aurait jamais été soulevée”.
6) Le biais d’échantillon
Pour présenter ce biais, avant même de vous en proposer une approche par la théorie, il s’agit de relever que plus l’échantillon d’une étude est limité (dans ses variables) plus les résultats obtenus en seront extrêmes ; avec de fortes variations par rapport à la moyenne. Voyons-en maintenant l’approche par la théorie : “propension que nous avons à n’accorder qu’une faible importance à la taille de l’échantillon, et à généraliser les tendances qui s’en dégagent à l’ensemble d’une population.” En somme, ce biais conduit fréquemment à établir des liens de cause à effet, pourtant sans réel fondement.
Une fois de plus, une illustration par un exemple fictif au sein de l’entreprise : “Un Directeur commercial reçoit les chiffres des ventes réalisées sur de nouveaux produits, dont le lancement a été expérimenté dans trois villes françaises. Les premières remontées sont prometteuses, il décide de généraliser la commercialisation de ces produits à l’ensemble du territoire. Les résultats obtenus dans ces villes sont toutefois très peu représentatifs, de par la taille limitée de l’échantillon d’une part et de par les caractéristiques propres à ces agglomérations et à leur population d’autre part.”
7) Le biais de confirmation d’hypothèse
Nous abordons à présent l’avant dernier biais présenté. Il s’agit du biais de confirmation d’hypothèse. C’est la propension des individus à ne pas s’exposer à des représentations du monde qui ne correspondent pas aux siennes ; et inversement. Ainsi, une information en contradiction avec les convictions d’un individu n’aura qu’un effet limité sur ces dernières. Nous vous proposons de nouveau une définition théorique de ce biais : “biais selon lequel chacun d’entre nous aura tendance à accorder plus de poids à l’information qui vient le conforter dans son intuition ou dans sa conviction plutôt qu’aux éléments qui les contredisent.”
En voici un exemple fictif au sein de l’entreprise : “Le Directeur d’une entreprise hésite à mettre en sommeil un projet de construction d’une nouvelle usine, planifié depuis plusieurs mois. Ses ventes connaissent en effet un net ralentissement depuis quelques semaines, sans qu’il ne parvienne à déterminer si cette tendance sera passagère ou durable. Avant de prendre sa décision, il se renseigne auprès de l’un de ses partenaires qui vient de reporter la création d’une nouvelle unité de production. Celui-ci lui présente alors une solide argumentation selon laquelle tout porte effectivement à croire que leur secteur d’activité sera durement touché par la dégradation de la conjoncture au cours des prochains mois. Statuer à partir de ce seul témoignage serait toutefois une erreur : en effet, qu’est-ce que pouvait attendre ce chef d’entreprise de la part de son partenaire, si ce n’est qu’il argumente en faveur de sa propre décision ? Renoncer à ce projet reviendrait à ne prendre en compte que les informations qui le confortent dans son intuition et à écarter les éléments contradictoires.”
8) Le biais de complaisance
Nous atteignons le dernier biais présenté ; le biais de complaisance. C’est la capacité réduite d’un individu à reconnaître sa responsabilité en cas de défaite, alors qu’elle est bien plus forte en cas de succès. La théorie nous en propose la définition suivante : “biais qui consiste à mettre en avant sa responsabilité en cas de succès et à la minorer en cas d’échec, en l’imputant principalement à des causes extérieures. Dans le cadre d’une entreprise, cela peut conduire à ne pas bien identifier les causes d’un dysfonctionnement.”
Voici maintenant un exemple fictif au sein de l’entreprise pour illustrer ce biais : “Le succès initial de l’hebdomadaire américain, le Saturday Evening Post, était lié, selon ses dirigeants, à la stratégie novatrice qu’ils avaient su mettre en place. Celle-ci reposait non pas sur une valeur ajoutée éditoriale ou commerciale mais davantage sur sa politique d’impression. Le bien-fondé de cette « recette » dépendait en réalité fortement du contexte de l’après Seconde Guerre mondiale, qui se caractérisait notamment par une pénurie de papier. Lorsque cet environnement a changé et que la disponibilité du papier n’a plus été un enjeu stratégique, les premières difficultés sont apparues. En dépit de ces transformations, c'est en mobilisant les mêmes procédés qui avaient fait son succès que l'équipe de direction a tenté de rebondir, mais sans résultat probant. Après une longue période d’errance, le journal a finalement disparu.”
Les ressources documentaires
Si l’étude des biais cognitifs vous intéresse, nous vous proposons de consulter les articles que nous avons mobilisés dans le cadre de cette étude :
- Apprenez à reconnaître vos biais cognitifs, in Science & Vie, février 2013 ;
- J.S. Hammond, R.L. Keeney, H. Raiffa, The Hidden Traps in Decision Making, in Harvard Business Review, sept-oct. 1998 ;
- D. P. Green, D. Kahneman, H. Kunreuther, How the Scope and Method of Public Funding Affect Willingness to Pay for Public Goods, in The Public Opinion Quarterly, 1994, pp. 49-67 ;
- J.S. Hammond, R.L. Keeney, H. Raiffa, The Hidden Traps in Decision Making, in Harvard Business Review, sept-oct. 1998 ;
- The dangers of quick thinking, in The Week, 2012: Exemple repris par D. Kahneman, à partir d’un article d’Howard Wainer et d’Harris Zwerling ;
- B. Berelson, H. Gaudet, P.F. Lazarsfeld, The people’s choice : How the voter makes up his mind in a presidential campaign, 1944 ;
- H. Laroche, J-P. Nioche, L’approche cognitive de la stratégie d’entreprise, in Revue française de gestion, 2006, pp. 81-105.
Nous vous conseillons également de consulter les autres contenus de notre étude, accessibles ci-dessous !