En 2022, la consommation d’énergie (électricité, gaz) en France a baissé, surtout en fin d’année, permettant d’éviter une pénurie et éloignant le risque de récession. Se pose alors la question du caractère pérenne de cette baisse. Du côté des entreprises, si une part semble liée à une moindre production des industries énergo-intensives dans le contexte de crise énergétique, ainsi qu’à des mesures de sobriété énergétique, donc potentiellement réversibles, il ressort également que les investissements « verts » ont augmenté, notamment chez les TPE-PME.
La crise énergétique semble en effet avoir joué un rôle d’accélérateur dans la mise en œuvre d’actions en faveur de la transition écologique et énergétique (TEE), résultat corroboré par l’étude Bpifrance Le Lab sur la décarbonation des PME et ETI, ainsi que par le baromètre trimestriel Bpifrance-Rexecode. Cette prise de conscience apparaît toutefois inégale selon les entreprises, alors que l’atteinte de l’objectif de neutralité carbone en 2050 implique dès à présent une nette accélération des efforts en faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).
Une baisse de la consommation française d’énergie et des émissions de CO2 en 2022
En 2022-2023, une consommation de gaz et d’électricité inférieure de 12 % aux niveaux pré-crise sanitaire
La consommation française d’énergie s’est avérée inférieure aux niveaux observés avant crise sanitaire en 2022, et la tendance semble se poursuivre au printemps 2023. Selon le Ministère de la Transition Écologique s’appuyant sur des données RTE et GRTgaz, la consommation cumulée de gaz naturel et d’électricité entre le 1er août 2022 et la mi-mai 2023 serait inférieure de 12 % au niveau observé en moyenne sur la même période en 2018-2019, une fois corrigé de l’effet climat (−8 % pour l’électricité et −17 % pour le gaz naturel). Cette réduction de la consommation d’énergie a notamment permis d’éviter une rupture d’approvisionnement en gaz cet hiver, un temps crainte dans le contexte de réduction de la dépendance au gaz russe.
Une baisse qui a contribué à la réduction des émissions de CO2, notamment dans l’industrie
Le baromètre Citepa relève une baisse des émissions de GES en 2022 (−2,5 %), après le rebond observé en 2021, avec une accélération durant le dernier trimestre. Une grande part est liée aux secteurs résidentiel et tertiaire hors transport, avec une baisse de 15 % des émissions en 2022 par rapport à 2021. Mais l’industrie manufacturière a également vu ses émissions baisser (−8 %). Les secteurs de la production d’énergie et des transports ont en revanche vu leurs émissions augmenter (de respectivement +8 % et +2 %)1.
La moindre consommation d’énergie dans l’industrie serait en partie liée à une réduction de l’activité des industries énergo-intensives, probablement temporaire
Les branches industrielles énergo-intensives ont souffert de la montée des prix de l’énergie et ont été contraintes pour certaines de réduire leur activité. Sur un an, entre le T1 2022 et le T1 2023, la production industrielle a ainsi baissé de 12 % dans la métallurgie (−27 % dans la sidérurgie), de 9 % dans la papeterie et de 7 % dans la chimie. Dans le même temps, la production manufacturière a quant à elle progressé de 0,8 %. Un rebond de l’activité des secteurs intensifs en énergie, à la faveur d’une détente des prix du gaz et de l’électricité, pourrait donc en partie faire rebondir la consommation énergétique.
La hausse des prix de l’énergie a accéléré les actions pérennes des entreprises en faveur de la TEE
Les entreprises ont mis en place des mesures de sobriété énergétique, dont certaines pourraient être pérennisées
Les actions de sobriété (réduction du chauffage, de la climatisation, extinction automatique des éclairages…) ont sans doute contribué à la réduction de la consommation d’énergie et sont susceptibles d’agir durablement sur l’intensité énergétique des PME, si elles sont pérennisées. La dernière étude Bpifrance Le Lab sur la décarbonation des PME et ETI montre notamment que les « petits gestes » ont été très répandus récemment chez les PME et ETI.
Une stimulation des investissements « verts »
Les entreprises, et notamment les PME, ont également cherché à investir pour accroitre leur efficacité énergétique et baisser l’intensité de leurs émissions. Le baromètre Bpifrance-Rexecode fait part d’une nette hausse de la proportion de TPE-PME citant le motif environnemental (économie d’énergie, gestion des déchets, etc.) comme destination des investissements (environ 40 % fin 2022-début 2023 contre en moyenne 23 % sur 2017-2019).
La hausse est concomitante à celle des prix de l’énergie depuis 2021.
L’étude Bpifrance Le Lab d’avril 2023 sur la décarbonation des PME et ETI fait également part d’une hausse de la prise en compte du sujet climatique au sein des entreprises : en 2020, 31 % des dirigeants de PME et ETI affirmaient suivre les sujets climatiques au sein de leur société, ils sont 67 % début 2023.
Les TPE-PME réalisant des investissements « verts » étaient minoritaires pré-crise énergétique
Les enquêtes de Bpifrance auprès des PME permettent entre autres d’affiner le constat sur le comportement d’investissement des TPE-PME face aux enjeux énergétiques et environnementaux (investissements « verts »). Les résultats de la 75e enquête semestrielle de juillet 2022 sont ici utilisés afin de brosser un portrait des comportements à l’aube de la crise énergétique, en 2021.
58 % des TPE-PME n’avaient pas réalisé d’investissement dédié à la TEE en 2021
Selon l’enquête, 60 % des TPE n’ont pas réalisé d’investissements « verts » en 2021 et 47 % des PME (au moins 10 salariés).
Au sein des 42 % de TPE-PME ayant réalisé des investissements « verts », la moitié n’y ont consacré que moins de 5 % de leurs investissements (21 % de l’échantillon). Seules 11 % des TPE-PME y ont consacré plus de 10 % de leurs investissements.
Les TPE-PME les plus grandes et innovantes sont plus enclines à réaliser des investissements verts
La probabilité de réaliser des investissements verts augmente avec la taille de l’entreprise
Toutes choses égales par ailleurs (cf. encadré méthodologique, voir plus bas), plus l’entreprise comprend de salariés, plus la probabilité d’avoir réalisé des investissements verts en 2021 est élevée. Par rapport à une TPE, une PME de 10 à 19 salariés a environ 20 % plus de chance d’en avoir réalisé. C’est près de +40 % pour celles de 20 à 49 salariés, et la probabilité double pour celles de plus de 50 salariés.
56 % des TPE-PME innovantes ont réalisé des investissements dédiés à leur TEE en 2021 contre 38 % des non innovantes
Toutes choses égales par ailleurs, les TPE-PME innovantes ont même deux fois plus de chance que les non-innovantes de réaliser des investissements verts. Le caractère exportateur a en revanche une corrélation moins significative et plutôt négative sur la probabilité d’avoir réalisé des investissements verts.
Le secteur joue sur la probabilité de réaliser des investissements verts, plus élevée dans le Tourisme et les Transports
Les TPE-PME des Services (aux entreprises et aux particuliers) étaient en 2021 moins enclines à réaliser des investissements verts. Les TPE-PME des secteurs du Tourisme et des Transports étaient au contraire plus enclines à en faire (resp. +90 % et +56% de chance que dans les Services).
La probabilité était également, mais de façon plus modérée, plus forte dans l’Industrie (+28 % de chance que dans les Services). À noter que ces ordres de grandeurs pourraient évoluer avec l’intensification de la crise énergétique en 2022.
Les TPE-PME du Tourisme et des Transports sont par ailleurs les plus inquiètes quant à l’impact de la transition bas carbone sur leur entreprise
Toutes choses égales par ailleurs et tous secteurs confondus, les dirigeants de TPE-PME jugeant la TEE comme source de risques pour leur entreprise avaient deux fois plus de chance de réaliser des investissements verts que ceux l’estimant sans impact ; ceux la considérant comme une opportunité avaient 3,4 fois plus de chance de les actionner.
Or, les TPE-PME des Services de Transports et du Tourisme étaient effectivement en proportion plus nombreuses à voir la TEE comme source de risques (respectivement 59 % et 41 % contre 32 % tous secteurs confondus,)2.
Cette perception divergente du risque peut être liée à l’exposition aux coûts de l’énergie. Selon la 76e enquête Bpifrance Le Lab (janvier 2023), les TPE-PME des Transports et du Tourisme apparaissaient plus exposées que la moyenne aux variations du prix de l’énergie : la facture énergétique représenterait plus de 3 % du chiffre d’affaires chez 30 % de l’ensemble des TPE-PME, mais 65 % de celles du Tourisme et 51 % de celles des Transports).
Près de la moitié des TPE-PME envisagent d’accroître leurs investissements « verts » mais une sur cinq semble non concernée par le sujet
La 75ème enquête semestrielle permet également d’appréhender, aux premiers mois du choc énergétique frappant l’Europe et la France, les changements de perspectives des TPE-PME quant aux investissements « verts » dans les prochaines années.
Mi-2022, 47 % des TPE-PME envisageaient d’accroitre leurs investissements destinés à la TEE à horizon 5 ans
20 % comptaient les accroître sensiblement. En revanche, 27 % ne pensaient pas les augmenter et 26 % étaient indécis.
Les TPE-PME ayant réalisé des investissements verts en 2021 avaient 4 fois plus de chance de compter les accroître
Parmi les TPE-PME se prononçant sur leur volonté d’accroître ou non leurs investissements verts à horizon cinq ans, ceux en ayant déjà réalisé en 2021 avaient quatre fois plus de chance de prévoir en réaliser davantage à horizon cinq ans, par rapport à ceux n’en ayant pas réalisé, toutes choses égales par ailleurs. Comme pour le fait de réaliser des investissements verts, la probabilité de vouloir les accroître augmente avec la taille de l’entreprise et le caractère innovant. Là encore, le profil exportateur apparaît moins déterminant.
Une TPE-PME sur cinq semblait non concernée par la TEE
21 % des TPE-PME n’avaient pas réalisé d’investissement vert en 2021 et ne comptaient pas en réaliser à horizon cinq ans. La part décroît avec la taille de l’entreprise : 23 % chez les TPE mais seulement 5 % chez les PME d’au moins 100 salariés.
Le mouvement de baisse de consommation énergétique et des émissions de GES des TPE-PME pourrait ainsi en partie se pérenniser
La baisse de consommation de gaz et d’électricité, ainsi que des émissions de GES observée ces derniers trimestres, est sans doute en partie liée à une baisse d’activité des industries les plus intensives en énergie. Néanmoins, la sortie de crise sanitaire et l’envolée des prix énergétiques ont semble-t-il induit des mesures plus pérennes d’efficacité énergétique. Les investissements « verts » sont ainsi en hausse depuis deux ans chez les TPE-PME, selon le baromètre Bpifrance-Rexecode. Malgré le coût de la crise imposé à l’économie, les entreprises, y compris les TPE-PME, ont pu profiter d’une situation financière relativement solide et du contexte inflationniste pour réaliser des investissements souvent devenus de nécessité.
Il reste néanmoins encore beaucoup à faire pour accompagner le tissu productif sur le chemin de la décarbonation
Le chemin vers la décarbonation est encore long et les barrières nombreuses, comme en témoigne la récente étude Bpifrance Le Lab. La 75e enquête de conjoncture montre également une part importante de TPE-PME qui restent dans l’expectative. Elles sont en particulier nombreuses (36 %) à ne pas identifier leurs besoins pour mettre en œuvre leur TEE, ce qui montre de fait la nécessité d’être guidées dans ce parcours.
Or, il faut nettement accélérer les efforts en vue de la réduction des émissions de GES : selon le rapport de mai 2023 sur les incidences économiques de l’action pour le climat, une réduction de 17 MtCO2e par an serait nécessaire sur 2022-2030 pour être sur le chemin, soit un rythme trois fois plus rapide que celui observé depuis 2010 et près de deux fois plus rapide que celui observé sur 2020-2022 (environ −9 MtCO2e par an selon le baromètre Citepa), années marquées par les crises Covid et énergétique.
Encadré méthodologique
Des dirigeants de TPE-PME ont été interrogés entre le 12 mai et le 13 juin 2022 dans le cadre de la 75e enquête semestrielle de conjoncture sur leur rapport à la transition écologique et énergétique (TEE). Les TPE-PME sont considérées ici comme des entreprises des secteurs marchands non agricoles de 1 à 249 salariés, réalisant moins de 50 M€ de chiffre d’affaires. Les réponses d’un peu plus de 5 000 dirigeants ont été analysées. Les résultats ont été redressés par taille d’effectif et secteur d’activité afin de représenter au mieux la population des TPE-PME françaises.
Les résultats descriptifs ont été complétés par des régressions logistiques, afin de déterminer les facteurs pouvant influencer le fait de considérer la transition écologique et énergétique comme source d’opportunité ou de risque, d’avoir déjà réalisé des investissements « verts » ou encore de prévoir de les augmenter, toutes choses égales par ailleurs.
Par exemple, la probabilité de réaliser des investissements « verts » a été modélisée en fonction du secteur d’activité, de l’effectif salarié, de la localisation, du caractère investisseur, innovant et exportateur de l’entreprise, à l’aide d’un modèle logit.
1 La hausse dans la production énergétique s’explique par l’arrêt d’une vingtaine de réacteurs nucléaires en 2022, conduisant à un recours plus important aux centrales à gaz et à la réouverture d’une centrale à charbon, tandis que la hausse dans les transports résulte de la poursuite du rebond post-crise Covid.
2 À noter que dans l’enquête Bpifrance Le Lab d’avril 2023, 70 % des dirigeants de PME-ETI ayant répondu étaient d’accord avec l’affirmation « Quand une entreprise fait l’effort de décarboner son activité, elle prend des risques et est désavantagée à court terme par rapport à ses concurrents moins verts ».