Alors que la réindustrialisation de la France ralentit, Bpifrance Le Lab a rencontré 29 dirigeants de PME, ETI et start-ups industrielles qui font preuve de résilience face aux turbulences de la conjoncture. Ouverture ou extension d’usine, ces derniers poursuivent coûte que coûte leurs projets de développement.
Parmi eux, Pierre-Emmanuel Lepers, co-fondateur de Valame, partage son expérience sur l’implantation d’un premier site industriel, les freins qu’il a rencontrés mais aussi les leviers déterminants pour la réussite de son projet.
Valame est une start-up en phase d’industrialisation ayant mis au point une solution innovante issue du monde de la recherche sur le traitement de l’amiante. L’entreprise souhaite structurer une nouvelle filière éco-responsable en créant la première usine utilisant ce nouveau procédé chimique. Lors de l’entretien, Valame conduisait les études et attendait les autorisations nécessaires au lancement de la construction.
Le site sélectionné par Valame pour construire son premier lieu de production est situé en Somme, dans les Hauts-de-France, et couvrira 3,5 Ha de terrain. Sa proximité avec des canaux et voies ferrées offrira à la start-up des alternatives complémentaires au transport routier pour désengorger les routes et limiter la pollution.
Dans quel cadre stratégique ce nouveau site industriel vient-il nourrir les ambitions de développement de l’entreprise ?
Pierre-Emmanuel Lepers : « L’amiante est un matériau cancérogène et la solution historique a été de l’enfouir ou de la vitrifier. La capacité à enfouir va connaître une raréfaction dans l’avenir. Quant à la vitrification, elle se fait aujourd’hui principalement par un processus d’inertage en brûlant l’amiante dans un four (mais c’est très énergivore). Notre solution passe par des procédés chimiques, moins coûteux (10 fois moins énergivores), brevetés, et permet une valorisation dans le secteur du BTP, dans des compléments pour du ciment, avec un profil CO2 plus faible que ce qui se fait sur le marché. Notre ambition est d’aller jusqu’à 4 usines en France pour adresser 40 % du marché sur le moyen-terme. Et à long-terme, pourquoi pas 100 % ? Nous créons donc une première usine dans l’ambition de structurer cette nouvelle filière. »
Pourquoi s'implanter en France, et sur ce territoire spécifiquement ?
Pierre-Emmanuel Lepers : « La France a une histoire particulière avec l’amiante. Nous avons sans doute été l’un des premiers consommateurs en Europe. Il y a à la fois un gisement important et une volonté politique d’avancer sur ce sujet. Nous aurons, à l’avenir, également des ambitions en Europe et hors-Europe pour des pays qui présentent une maturité comparable à celle de la France. Pour le site, nous avons à l’origine cherché dans toute la France. Nous avons visité 10 sites. Sur ces 10, nous en avons sélectionné deux et avons été retenus pour un, dans la Somme.
Notre projet est particulier car nous traitons des déchets dangereux : tout le monde n’a pas envie d’avoir une telle usine à côté de chez soi et l'acceptabilité sociale est très importante. Cela nous a conduits à nous autocensurer et à exclure certains sites d’entrée, car nous savions d’avance que le projet serait contesté. Le site que nous avons finalement choisi se trouve dans un positionnement géographique accessible et acceptable, à la fois à proximité de notre matière première, et proche de la campagne, où nous ne rencontrerons pas d’opposition majeure : les riverains les plus proches sont des fermes, situées à 400-450m. Nous ne sommes pas collés à un village. »
Quels freins avez-vous rencontrés ?
Pierre-Emmanuel Lepers : « Au global, nous sommes sur un projet qui a du sens pour beaucoup de gens. La mission est relativement positive et on a l’enthousiasme avec nous. Cependant, deux freins principaux ont été identifiés : le premier est la recherche de foncier. Nous voulions nous implanter sur un site existant pour bénéficier d'un raccordement à l’électricité et du foncier libre, sans artificialisation supplémentaire à réaliser. En pratique, c’est très difficile à trouver car on fait peur aux gens. Le processus total a pris 9 mois.
Un deuxième frein identifié est l’aspect financier : nous sommes sur le cas d’une première usine, sur un procédé innovant, breveté depuis 10 ans. L’industrie, c’est long, cher, coûteux. Il n’y a pas tant d’acteurs en France capables de boucler un tour de financement pour un tel projet et être leaders au tour de table. Il y a en majorité de petits suiveurs. C’est difficile d’attirer des investisseurs étrangers sur un projet en France. Mes choix sont donc très limités. L’aspect administratif est également un frein pour les fonds : si le projet prend plus de deux-trois ans à aboutir, les investisseurs n’y prendront pas part. »
Quels facteurs vous ont permis de mener à bien ce projet de construction d’usine ?
Pierre-Emmanuel Lepers : « Nos atouts principaux ont été le fait d’être Lauréat France 2030, ce qui a suscité la sympathie des acteurs locaux. Nous avons aussi conscience de la longueur des délais et nous misons sur une parallélisation des processus pour avancer au plus vite au lieu de faire séquentiellement. Enfin, c’est important d’avoir le contact avec les acteurs locaux. Nous avons aujourd’hui beaucoup de sympathisants grâce au fait d’avoir construit un argumentaire local : des emplois locaux qui ne seront pas délocalisés demain, et une valorisation locale, qui ne sera pas transférée, par exemple en Asie. »
Ce témoignage est extrait de l’étude Industriels résistants en des temps turbulents. Retrouvez les enseignements tirés de l’expérience des dirigeants interrogés par Bpifrance Le Lab.
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