L'interview de Thierry Weil pour l'étude "L'Avenir de l'Industrie"
“La confiance est essentielle, le rebond est possible”
Thierry Weil, Ancien Délégué général de La Fabrique de l’Industrie, Titulaire de la chaire « Futurs de l’industrie et du travail » à Mines ParisTech
Le Lab : En 2013, vous avez publié avec Pierre-Noël Giraud «L’industrie française décroche-t-elle ?». Cinq ans plus tard, portez-vous toujours le même diagnostic sur l’industrie ?
Thierry Weil : “La situation s’est améliorée. Les signaux sont plutôt positifs : la baisse de l’emploi manufacturier semble enrayée, les marges ont été reconstituées, l’image de l’industrie est bien meilleure. On a vu, en 2017, plus de créations d’usines que de fermetures. Malgré tout, je reste prudent : je ne crois pas que nos faiblesses structurelles aient disparues.”
Le Lab : Le rebond industriel actuel ne vous semble donc pas durable ?
Thierry Weil : “La confiance est essentielle. Si les entrepreneurs de l’industrie anticipent une demande pérenne, un climat favorable, ils investissent. Après tout, il suffit qu’on exporte 5 % de plus et qu’on importe 5 % de moins pour que la balance des paiements manufacturière s’équilibre. Notre déficit actuel n’a rien d’insurmontable. N’oublions pas que le solde commercial global de l’Europe est positif, bien que nos voisins subissent autant que nous la concurrence chinoise. La ré-industrialisation est de toute façon un enjeu économique et politique majeur. Les pays qui se sont le plus désindustrialisés, comme les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Italie traversent une crise politique marquée par la montée du populisme et des réflexes protectionnistes.
L’industrie est un vecteur de cohésion sociale : parce qu’elle se déploie sur l’ensemble du territoire, parce qu’elle emploie à tous les niveaux de qualification, elle ne crée pas les phénomènes de polarisation géographique et de revenus qu’on observe dans les économies de services. ”
Le Lab : La solution réside-t-elle dans une modernisation à marche forcée de l’outil de production, dont on dit qu’il est dépassé en France?
Thierry Weil : “Dimitri Pleplé, qui vient de faire un tour de France des usines et dont la Fabrique de l’Industrie a publié le journal de bord (1) témoigne : «L’industrie du futur, je ne l’ai vue nulle part ». Il faut certainement s’inquiéter de ce constat : il y a des gisements de productivité qu’on n’exploite pas. Les données ne sont pas faciles à interpréter. Certaines montrent que le taux de robots en Allemagne est bien supérieur à celui de la France, mais dans l’automobile par exemple, il est identique. On parle beaucoup du retard d’investissement français, mais les statistiques montrent que notre taux d’investissement des entreprises (27 % de la valeur ajoutée) est supérieur à celui de l’Allemagne, de l’Italie ou de l’Espagne.
Nous investissons certes moins dans les machines et équipements que la plupart des pays, mais beaucoup plus que les autres dans la R&D, les logiciels et les bases de données. Ce n’est pas aberrant dans une « économie de la connaissance », mais cela révèle peut-être que beaucoup d’entreprises investissent dans des activités de conception en France et dans des capacités de production à l’étranger. Elles seraient encore victimes de la mode pernicieuse du fabless.”
Le Lab : Selon vous, que manque-t-il à la France pour rebondir ?
Thierry Weil : “Il n’y a pas assez d’entrepreneurs prêts à sortir de leur zone de confort, à aller à l’international. Il n’y a pas assez d’affamés de la croissance. Pourquoi y en a-t-il plus en Italie et en Allemagne ? Je pense qu’il faudrait aussi favoriser le build-up (fusion d’entreprises) dans l’industrie. Bpifrance y contribue. Des entreprises plus grandes ont plus de moyens pour investir en R&D ou partir à l’international. Elles ont, en outre, un meilleur accès au financement”
(1) L’indus’trip, Un vélo, des usines et des hommes, La Fabrique de l’Industrie, 2018.
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