Avec la transition écologique et énergétique (TEE), la demande de certains minerais, qualifiés de « critiques », va fortement augmenter, notamment ceux nécessaires à la production de batteries électriques. Plusieurs pays d’Afrique sub-saharienne ont une position favorable, voire dominante dans l’extraction de certains de ces minerais (cobalt, manganèse, cuivre et lithium notamment) et pourraient tirer parti de l’explosion de leur demande. Mais ces pays devront relever des défis, notamment en termes d’attractivité, pour accroitre la transformation locale de ces minerais et ainsi maximiser les retombées économiques. La coopération régionale pourrait, dans cette optique, permettre de réduire les obstacles commerciaux, favoriser le développement d’infrastructures ou encore élargir la taille du marché. La diversification des sources d’approvisionnement de l’UE en matières premières stratégiques, notamment recommandée par le récent rapport Draghi sur la compétitivité de l’Union, offre en outre des perspectives de débouchés supplémentaires pour les pays producteurs de la région.
Des besoins en minerais « critiques » en forte hausse pour réussir les transitions énergétique et numérique
Le caractère « critique » des minerais ne fait pas l’objet d’une définition universelle mais fait souvent référence à leur rôle dans des secteurs économiques « stratégiques » (énergies renouvelables, véhicules électriques, digital…). L’UE, la Chine et les Etats-Unis en particulier se sont accordés sur une liste d’une cinquantaine de minerais essentiels pour la transition énergétique (cf. rapport d’EY), dont la demande est attendue en forte hausse. Parmi eux figurent le cobalt, le manganèse, le lithium et le cuivre, sur lesquels se concentre la présente note, même si d’autres minerais sont jugés tout aussi critiques (nickel par exemple).
La demande en cobalt devrait doubler d’ici 2030 pour atteindre 400 000 t (213 000 t en 2023, cf. Cobalt Institute). Près des deux-tiers du cobalt devrait être destiné aux batteries pour véhicules électriques de type NMC (nickel-manganèse-cobalt).
Le manganèse, nécessaire pour la production métallurgique, est aussi utilisé dans différents types de batteries. La demande de manganèse pour les technologies « propres » pourrait ainsi être de 11 à 17 fois plus élevée en 2050 qu’en 2023 selon l’AIE.
Les batteries utilisant du lithium rencontrent un succès grandissant car leur coût de production est moins élevé que celui des batteries traditionnelles NMC. La demande de lithium pourrait en conséquence être multipliée par 7 à 10 d’ici 2050 selon les différents scénarios de l’AIE.
Quant au cuivre, essentiel dans le cadre de la transition énergétique, l’AIE prévoit une demande de 40 Mt en 2040 contre 26 Mt en 2023 dans le scénario « Zéro émissions nettes (NZE) ».
L’Afrique sub-saharienne, un continent incontournable pour l’approvisionnement en certains minerais critiques
Le sous-continent joue déjà un rôle fondamental dans l’exploitation et la production de certains minerais, notamment le cobalt et le manganèse.
Les estimations du poids de l’Afrique sub-saharienne dans les réserves et la production mondiales des différents minerais critiques varient selon les sources mais toutes s’accordent sur son importance.
Poids dans les réserves identifiées mondiales (%)
Poids dans la production mondiale (%)
La République Démocratique du Congo (RDC), qui concentre près de 60% des réserves mondiales de cobalt, en est aussi le premier producteur, avec 70% de l’extraction de produit brut (source USCG). La RDC est également la principale source africaine de cuivre (8% des réserves mondiales, 11% de la production) devant la Zambie (2% des réserves et 4% de la production) et localiserait 65 % des nouvelles annonces de réserves de cuivre identifiées dans le monde en 2023 (selon S&P Global Market Intelligence).
L’Afrique du sud est un acteur majeur du marché du manganèse, premier producteur mondial (31% des réserves totales et 37% de la production) devant le Gabon (plus de 20% de l’extraction). Le Ghana (4% de la production) et Madagascar (2%) sont des acteurs plus marginaux.
Le poids de l’Afrique sub-saharienne dans l’exploitation de lithium, modeste à ce stade, pourrait progresser
Le Zimbabwe, 1er producteur africain, représente seulement 1% de la production totale de lithium dont il possède cependant d’importants gisements encore inexplorés. Par ailleurs, plusieurs pays d’Afrique ont annoncé leur volonté d’exploiter leurs ressources en lithium, en particulier la Namibie, la RDC, l’Angola, le Nigeria, l’Ethiopie ou le Ghana. Grâce à la multiplication des projets d’exploration qui devrait permettre d’augmenter l’exploitation des réserves au-delà de celles déjà identifiées, l’Afrique pourrait devenir la 3e région de production de lithium (après l’Australie et l’Amérique du Sud) d’ici 2027 selon S&P Global, avec une part dans l’approvisionnement mondial qui pourrait passer de 2% en 2022 à 12%. L’AIE prévoit que l’offre africaine de lithium pourrait atteindre 53 kt à 70 kt en 2030 (9kt en 2023), selon les scenarios de demande.
Projets d'exploration (nombre)
Les besoins croissants en minerais offrent des opportunités économiques aux pays producteurs
Des recettes d’exportation et fiscales attendues en hausse avec le développement de la production
Le poids des produits miniers dans les exportations est très élevé pour certains pays. Le cuivre représente près de 70% des recettes d’exportation de la RDC (moyenne 2012-22) et 74% de celles de la Zambie. Une progression des volumes, sous réserve de l’absence de baisse des prix, permettrait aux pays exportateurs d’augmenter leurs recettes en devises. Le FMI estime que l’extraction et l’exportation de quatre minerais (cuivre, nickel, cobalt et lithium) pourrait générer 16 000 Md$ de recettes mondiales1 au cours de la période 2024-2050, dont plus de 10% (près de 2 000 Md$ sur 25 ans, soit de l’ordre de 80 Md/an) en faveur de l’Afrique subsaharienne. A titre de comparaison, les recettes d’exportation des produits miniers de l’Afrique sub-saharienne étaient en moyenne de l’ordre de 57 Md$ pour la période 2018-22. Les prévisions de recettes seraient moins favorables pour les exportateurs de combustibles fossiles, à 625 Md$ pour les 25 prochaines années (25 Md$ par an).
Selon l’étude du FMI, la part la plus importante de recettes revenant à l’Afrique sub-saharienne proviendrait du cobalt, bénéficiant à son principal producteur, la RDC.
Afrique sub-saharienne : estimation des recettes réelles cumulées sur 2024-2050 provenant de la production de certains minerais et combustibles fossiles essentiels
Les pays producteurs bénéficient en outre de recettes provenant de la taxation des compagnies minières, de la TVA, ainsi que de redevances sur les droits d’exploitation
Le secteur minier représente de l’ordre de 45% des recettes publiques en RDC, en Zambie et au Gabon (Cf. EITI). Une étude réalisée en 2023 par l'agence allemande pour la Coopération Internationale (GIZ) évalue par ailleurs les potentiels revenus fiscaux2 pour les Etats de l’exploitation des minerais de la transition énergétique. L’Afrique sub-saharienne recevrait, selon cette analyse, 13% des revenus publics mondiaux provenant de l’exploitation des minerais de la transition (cuivre, cobalt, nickel et lithium), qui pourraient être compris entre 5 Md$ et 25 Md$/an d’ici 2040. La zone recevrait ainsi entre 0,6 Md$ et 3,25 Md$/an, soit moins de 0,2% de son PIB, à comparer aux recettes publiques annuelles de l’ordre de 17% du PIB/an (données FMI, moyenne 2015-23) Toutefois, ce supplément de revenus bénéficierait à un nombre limité de pays, essentiellement la RDC, la Zambie et le Gabon, qui concentrent la production des minerais concernés. Le montant des recettes supplémentaires varierait selon les Etats mais pourrait être compris entre 3 % et 8 % de leur PIB, à comparer à leurs revenus fiscaux actuels compris entre 13 % et 20 % du PIB. La part la plus élevée des recettes proviendrait de l’exploitation du cuivre (RDC, Zambie en particulier). L’étude souligne aussi le poids croissant attendu des recettes provenant du lithium, dont pourraient bénéficier non seulement le Zimbabwe mais aussi d’autres pays qui développent l’exploitation de ce minerai (Namibie, Nigéria, Ghana…).
Les retombées budgétaires sont cependant limitées par le poids de l’exploitation artisanale, représentant 18% à 30% du total la production de cobalt de RDC selon l’OCDE qui, de par sa nature informelle, échappe à la taxation.
Conscients des enjeux budgétaires, alors que les déficits ont eu tendance à se creuser depuis la crise Covid, les gouvernements tentent de maximiser les retombées fiscales des projets miniers
Afin d’accroître leurs revenus, certains Etats prennent des participations dans les projets miniers. C’est notamment le cas en RDC (participation de 20% dans la mine de cuivre de Kamoa Kakula) ou en Zambie, dont le gouvernement a annoncé en août 2024 sa volonté de détenir au moins 30 % des nouvelles exploitations de minéraux critiques. L’Etat zambien envisage également de commercialiser directement une partie de sa production, grâce à une entité ad hoc dont la création a été approuvée en juin 2024. Les dividendes seraient remplacés par un mécanisme de partage de production afin de favoriser la transformation locale et de mieux contrôler les prix.
Encourager la transformation locale pour créer davantage de valeur ajoutée
Les pays de la région pourraient fortement augmenter les retombées économiques du secteur en développant la transformation locale
L’activité de la plupart des pays miniers d’Afrique sub-saharienne est actuellement dominée par l’extraction et l’exportation de produits bruts dont la transformation est, pour l’essentiel, assurée par la Chine. Mais, depuis quelques années, plusieurs pays cherchent à développer la transformation locale. L’objectif est tout d’abord de favoriser l’emploi national et de bénéficier de retombées positives sur le plan technologique. L’exportation de minerais transformés permet également d’augmenter la valeur des exportations tout en limitant l’exposition à la volatilité des cours des minerais.
Le gouvernement du Zimbabwe a demandé aux compagnies minières de lui soumettre des plans d’installation d’unités de transformation locale de lithium. Au Nigeria, le gouvernement a annoncé que les permis d’exploitation minière ne seraient accordés qu’aux compagnies qui investissent dans la transformation sur son sol. Producteur relativement confidentiel de cuivre, la Namibie a réouvert en 2024 une unité de transformation pour créer des emplois locaux en privilégiant les entreprises nationales pour réaliser les travaux. La Zambie a renforcé ses exigences, obligeant les compagnies à se fournir auprès de sociétés zambiennes pour au moins 35 % de leurs coûts d’approvisionnement.
Pour contraindre les exploitants à transformer localement, certains pays producteurs n’hésitent pas à limiter voire interdire l’exportation de produits bruts
Le Zimbabwe, 1er producteur de lithium d’Afrique a imposé un embargo sur l’exportation de produit brut en décembre 2022. La Namibie a pris des mesures similaires en 2023 pour le lithium (comme le Ghana), ainsi que pour le cobalt et le manganèse. L’Indonésie avait agi de la sorte pour le nickel en 2014 mais le poids de ce pays dans la production mondiale a constitué un atout important, dont ne bénéficient pas la majorité des producteurs africains. A l’exception de la RDC pour le Cobalt (70 % de la production mondiale) et, dans une moindre mesure de l’Afrique du Sud pour le manganèse (1/3 de la production mondiale), les pays producteurs pris individuellement pèsent à ce stade peu sur le marché mondial. Leurs clients risquent donc de se tourner vers d’autres sources d’approvisionnement.
Les défis sont nombreux pour que les pays d’Afrique sub-sahariennes puissent tirer au maximum parti de la demande croissante en minerais critiques
Trouver le juste équilibre dans les mesures pour inciter à la transformation locale tout en préservant l’attractivité pour les investisseurs
Les pays d’Afrique sub-saharienne ont besoin de financements pour exploiter leurs ressources et développer les équipements de transformation. Or, sur la période 2019-2023, le secteur de la transformation des minéraux critiques en Afrique (y compris Afrique du Nord) a attiré 1,83 Md$ d’investissements directs étrangers (IDE), soit moins de 3 % du total destiné à ce secteur dans le monde (source Tralac). Sur la même période, le continent aurait reçu plus de 35 % des IDE mondiaux destinés à l’extraction des minéraux critiques.
A ce titre, les mesures, notamment fiscales, prises pour maximiser les retombées financières pour les Etats ne doivent pas décourager les investisseurs. En Zambie, la réforme du régime fiscal minier de 2019 a entraîné des conséquences négatives sur l’attractivité du pays, contraignant le gouvernement à prendre des mesures moins pénalisantes pour les compagnies dès 2022.
En outre, les pays doivent rester attractifs afin de diversifier leurs sources de financement. La Chine est en effet très présente dans le secteur minier africain, en particulier dans le cobalt congolais et continue à renforcer ses positions. Selon S&P Global Market, Pékin détiendrait au moins 50 % des actifs dans cinq des sept projets de production de lithium attendus en 2027.
Les défaillances en termes de gouvernance, de stabilité politique et de sécurité constituent déjà des freins aux investissements.
Une partie de la RDC est en proie à la guerre civile et les mouvements armés peuvent contrôler certaines zones minières. Au Gabon, les exportations de manganèse ont chuté de 13 % entre 2022 et 2023 en lien avec le coup d’Etat et le défaut de maintenance des équipements ferroviaires. Par ailleurs, les projets miniers peuvent provoquer des tensions sociales car ils peuvent impliquer des déplacements de population et /ou rendre inaccessible des terres agricoles. Des mouvements de contestation s’organisent aussi face aux risques environnementaux.
Les activités de transformation des minerais nécessitent en outre d’importantes quantités d’eau et d’électricité que les pays ne sont pas toujours capables de fournir
L’Afrique du Sud a connu depuis plusieurs années de fréquentes coupures d’électricité (335 jours de délestage en 2023). Malgré une amélioration notable en 2024, la situation énergétique du pays reste fragile. La Zambie, dont la production électrique repose pour l’essentiel sur l’hydroélectricité, est également confrontée à des difficultés liées à la sécheresse, qui ont conduit la compagnie d’électricité ZESCO à réduire de 40 % l’approvisionnement énergétique des compagnies minières en juin 2024.
La coopération régionale pourrait favoriser les retombées positives de la hausse attendue de la demande de minerais critiques
Les défis en termes d’infrastructures ou de capacités de transformation pourraient être plus faciles à relever grâce à des actions régionales. L’accès à des marchés plus larges pourrait également encourager les investisseurs.
Le Centre de Développement des Minéraux Africains (ADMC) a été créé dès 2016 par l’Union Africaine pour favoriser la coordination des projets dans le secteur minier. Le nombre de pays impliqués dans cette initiative reste limité à ce stade (en 2023, seuls trois pays avaient ratifié ses statuts) mais le cadre existe. En 2023, la RDC et la Zambie ont conclu un accord pour la création de Zones économiques spéciales communes pour la production de batteries et de véhicules électriques. La RDC, l'Angola et la Zambie ont par ailleurs relancé la rénovation du couloir de Lobito, une ligne ferroviaire qui facilite le transport des minerais pour l’exportation vers l’Europe et les Etats-Unis.
Le FMI souligne l’intérêt d’une stratégie régionale qui permet de mutualiser les ressources et d’offrir un marché plus large. A ce titre, les progrès d’intégration au sein de la Zone de Libre-échange Africain (ZLECA) devraient constituer un atout pour favoriser la coopération en matière d’exploitation et de transformation des minerais critiques.
Les perspectives de débouchés pour les pays de la région sont en outre renforcées par la volonté de l’UE de diversifier ses sources d’approvisionnement. A ce titre, le Rapport de M. Draghi sur la compétitivité européenne recommande la poursuite et l’approfondissement des partenariats existants avec certains Etats africains producteurs de matière premières stratégiques (Namibie, Zambie, RDC). L’initiative AfricaMaVal lancée en 2022 vise ainsi à garantir l’approvisionnement en ressources minérales de l’UE mais aussi à promouvoir le développement local durable.
1Prix mondial x quantités produites, estimés sur la base d’hypothèses relatives au scénario de transition à zéro émission nette de l’AIE (2023)
2 Estimations des revenus fiscaux sur les ventes et les profits des producteurs en fonction de différents scenarios de demande- (bmz.de)